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Peut-on reprocher à un média d’être optimiste ?

Par Marc Rosmini, le 26 septembre 2018

Agrégé de philosophie

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Dans un contexte mondial où les mauvaises nouvelles s’accumulent, et alors que la plupart des gouvernants ne prennent aucunement la mesure des problèmes à résoudre, certains pourraient être tentés de porter un regard condescendant, voire moqueur, sur Marcelle.

Mettre l’accent sur les solutions et focaliser l’attention sur des initiatives locales ne relèverait-il pas d’une forme d’angélisme, d’excès d’optimisme, voire de naïveté béate ? Pour mesurer la pertinence d’une telle critique, je crois qu’il est nécessaire de proposer une rapide tentative d’analyse des concepts de « pessimisme » et d' »optimisme ».

 

En effet, si l’on reproche à quelqu’un – ou à une ligne éditoriale – son « optimisme », c’est sans doute parce qu’on considère le pessimisme comme la seule attitude réaliste et rationnelle. On peut citer ici ce savoureux proverbe russe : « Un pessimiste, c’est un optimiste bien informé ». La formule est certes plaisante, mais rien ne prouve qu’elle soit vraie. On pourrait au contraire soutenir qu’un individu « bien informé » ne peut être ni pessimiste, ni optimiste. Car ces deux états d’esprit ne concernent pas les connaissances objectives que nous avons sur le passé et le présent, connaissances qui, dans les deux cas, sont en effet relatives à la qualité de notre « information ». Être pessimiste ou optimiste, c’est en effet prétendre que l’on sait à l’avance ce qui va se passer – un déclin, dans le premier cas et, dans le second, un progrès.

 

Or, l’étude de l’histoire nous prouve surtout que les humains se sont, la plupart du temps, trompés dans l’anticipation de ce qui allait advenir. Dans le domaine des décisions et des comportements humains, il est très difficile de prévoir ce qu’il adviendra. On peut tout d’abord faire l’hypothèse que les humains disposent d’une certaine liberté, ce qui par définition introduit aléa et contingence. Mais même si l’on récuse l’existence d’un libre-arbitre, les paramètres en jeu dans les choses humaines sont tellement nombreux qu’il est très présomptueux de prétendre décrire avec précision ce que sera le futur. En ce qui concerne les tendances observables dans le passé récent, et dont on voudrait tirer des conséquences pour le futur, rien n’assure qu’elles vont nécessairement se poursuivre. Là aussi, l’histoire nous montre que des mouvements considérés à telle ou telle époque semblaient irréversibles ne se sont en fait pas prolongés. Dans ce domaine, par conséquent, une grande prudence s’impose.

 

Pour le dire autrement, le pessimisme et l’optimisme ne sont pas des thèses qui peuvent être rationnellement fondées. Il faudrait pour les prouver pouvoir accéder au futur, ce qui est impossible. Ce sont plutôt des tournures d’esprit qui peuvent, notamment, être le résultat de nos affects, de nos émotions, de notre « tempérament », ou encore de notre histoire personnelle : rien d’objectif dans tout cela. Elles reposent entre autres sur notre représentation de l’être humain. Si l’on croit que, par nature, l’homme est en même temps égoïste et autodestructeur, à la fois centré sur ses intérêts privés et incapable de comprendre ce qui lui est vraiment utile, alors nous serons « pessimistes ». A l’inverse, si nous pensons que l’homme est bon par nature, et que le mal qu’il produit n’est lié qu’à des causes qui lui sont extérieures et sur lesquelles on peut agir, alors nous serons « optimiste ». Mais nous savons bien qu’il est impossible de prouver de manière indiscutable qu’une de ces deux visions de l’humanité est vraie.

 

C’est donc moins dans leur « vérité » qu’il faut penser le pessimisme et l’optimisme que dans leurs effets performatifs. Car, si nous sommes incapables de prévoir le futur avec certitude, on peut par contre faire l’hypothèse que notre tournure d’esprit – individuelle et plus encore collective – est capable de l’infléchir. Dans son ouvrage titré Vers la paix perpétuelle, Emmanuel Kant critique les théories politiques qui considèrent que les hommes étant mauvais, égoïstes, crédules et irrationnels, ils ne pourront jamais être gouvernés que par la ruse et la force. A leur propos, il écrit ceci : « une théorie aussi corrompue produit elle-même le mal qu’elle prédit ». On peut parler ici de prophétie auto-réalisatrice : si je parviens par exemple à convaincre les humains que l’homme est violent par nature, je peux par mes paroles générer et même légitimer des actes violents. En effet, en les commettant, les individus penseront qu’ils ne font qu’exprimer leur « nature ». De la même manière, le catastrophisme produit des catastrophes ou, du moins, il décourage ceux qui voudraient les stopper. Si le pire est inéluctable, pourquoi s’épuiser à vouloir l’empêcher ?

 

Selon moi, Marcelle n’est donc pas un média « optimiste », si l’on entend par ce terme une confiance naïve envers le futur, et donc une prétention à en prévoir le cours. Si Marcelle valorise les initiatives qui proposent des solutions, ce n’est ni pour nier l’existence des problèmes, ni pour s’inscrire dans une variante de l’ « idéologie du progrès ». Et si l’on peut parler d’ « optimisme » à propos de l’équipe de Marcelle, il ne participe pas d’une croyance, encore moins d’un dogme, mais plutôt d’un pari, et d’un principe pragmatique. Ce dernier peut se résumer par la célèbre formule qu’Antonio Gramsci, dans une lettre écrite depuis une cellule de prison, emprunta à Romain Rolland : il faut allier le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. D’une part, donc, voir le réel tel qu’il est, et non tel que nous souhaiterions qu’il soit ; ne pas voiler notre regard sur l’ampleur des problèmes ; cultiver notre méfiance, et ne pas être dupes d’initiatives qui voudraient se présenter comme positives et altruistes et qui, en réalité, masquent des intentions moins nobles. Mais, d’autre part, croire en la force d’inspiration des « femmes et hommes de bonne volonté », et parier sur l’effet d’entraînement des actions réparatrices. Car le journalisme n’est pas seulement un reflet de la réalité : il est aussi, directement ou indirectement, une manière d’agir sur elle. M.R.