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Quand la réalité virtuelle aide à guérir les phobies

Par Agathe Perrier, le 26 novembre 2018

Journaliste

Le Dr Éric Malbos avec un patient équipé d'un casque de réalité virtuelle.

Claustrophobie, agoraphobie, aviophobie, glossophobie, ochlophobie, squalophobie*… 15% de la population souffre aujourd’hui d’une phobie, autrement dit d’une peur démesurée et irrationnelle vis à vis d’un objet ou d’une situation précise. Un trouble anxieux que même un psychologue ou un psychiatre peuvent avoir du mal à traiter. C’est là que la réalité virtuelle (VR) entre en jeu et ce n’est pas de la science-fiction, j’ai vérifié !

 

« Cette technologie présente de nombreux avantages : le traitement est personnalisé, les étapes sont répétées et progressives. Surtout, l’environnement dans lequel évolue le patient est maîtrisé. S’il a peur du vide, on va commencer par le mettre en situation au premier étage d’un immeuble, puis de plus en plus haut au fil des séances », explique le docteur Antoine Prospéri. Psychiatre à l’hôpital Montperrin d’Aix-en-Provence, il a recours à la réalité virtuelle depuis le printemps 2018 et peut agir sur 14 phobies différentes.

 

Une immersion totale, mais progressive

Le docteur Prospéri consacre deux matinées par semaine à ses sujets phobiques. Après un premier rendez-vous pour vérifier si le trouble est avéré, la thérapie démarre par quatre séances collectives. « Elles sont indispensables car la personne doit avant tout comprendre d’où vient son anxiété et s’approprier les techniques de gestion du stress », souligne le psychiatre.

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Le Dr Prospéri en consultation.

Leur succéderont six entretiens individuels, au cours desquels les patients utilisent les techniques de gestion du stress et de relaxation apprises en groupe. Seul avec le médecin, le patient installe le casque VR sur ses yeux et empoigne un joystick dans chaque main. Devant lui, un environnement virtuel en relation avec sa peur, celle du vide ici. L’immersion commence. Un couloir avec une porte au fond. Un panneau renseigne : 1er étage. Il s’approche, pousse la porte et se retrouve sur une passerelle menant à un autre immeuble. Sans se déplacer physiquement, en actionnant simplement les joysticks dans ses mains, il avance de façon virtuelle sur le pont. Le bruit de la circulation en contrebas rend l’atmosphère très réelle. Avec plus ou moins de difficultés, il réussit la première traversée, la plus compliquée. Puis rebelote, cinq, six, sept fois, avec de plus en plus d’aisance. « On va ensuite enlever les barrières de protection, remplacer le sol en béton par une grille, monter au 5e étage puis sur le toit… Tout cela progressivement, à son rythme et au fil des séances », précise le Dr Prospéri.

Pour espérer guérir de sa peur, les clés et techniques enseignées doivent également être travaillées et peaufinées de façon personnelle, en dehors des entretiens.

 

80% de réussite grâce à la VR

Il semble loin le temps où psychiatres et psychologues tentaient de vaincre les phobies par l’imagination. « Fermez les yeux et imaginez-vous dans un avion. À votre gauche, le hublot. Votre ceinture est bouclée. L’engin est sur le point de décoller… ». Mais à la réflexion, pas tant que cela en fait, si l’on considère que seulement 300 praticiens en France ont recours à la réalité virtuelle pour le traitement des troubles anxieux. Parmi eux, le docteur Éric Malbos, psychiatre spécialiste des thérapies par exposition à la réalité virtuelle à l’hôpital de la Conception à Marseille. « La méthode dite « traditionnelle » est tout de même efficace, avec un taux de réussite de l’ordre de 50% à 60%. Elle est par contre difficile à mettre en place en termes de temps, d’argent et de praticité », tempère-t-il.

En plus de soigner ses patients avec cette nouvelle technologie, il imagine et conçoit aussi les environnements virtuels utilisés. Il a déjà créé de toutes pièces l’univers correspondant à une trentaine de peurs différentes. La réalité virtuelle affiche 80% d’efficacité, avec des bénéfices qui se maintiennent un an après le traitement. « Pour les 20% pour qui ça ne marche pas, c’est parce que le patient ne travaille pas en dehors des rendez-vous les exercices et techniques apprises », s’accordent les deux psychiatres. Des acquis à consolider même après les séances en cabinet, quand la phobie est maîtrisée, par des mises en situation réelles : prendre l’ascenseur plusieurs fois dans la semaine pour les claustrophobes, traverser un pont pour les géphyrophobes… « C’est comme pour la pratique d’un sport, il faut s’entraîner régulièrement pour progresser », ajoute le docteur Prospéri.

 

Des séances à la maison dès 2019

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L’équipement de base.

Casque de réalité virtuelle et télévision sont les deux seuls équipements dont un patient a besoin pour suivre une séance… en direct depuis chez lui. Ce sera possible à partir du mois de janvier 2019 et l’arrivée dans les foyers d’environnements virtuels à télécharger. « Cela permet aux phobiques de s’exercer chez eux, dans des conditions plus difficiles que dans la vie quotidienne. Et aussi de réduire les rendez-vous en cabinet. Le but est d’optimiser au mieux la thérapie et de permettre aux thérapeutes de disposer de plus de temps, pour aider davantage de personnes », confie Éric Malbos. Cette pratique restera toutefois encadrée par le médecin, qui acceptera, ou non, que ses patients utilisent la technologie immersive à la maison.

L’usage de la VR pour le traitement des troubles anxieux n’a d’ailleurs pas fini d’évoluer. Grâce à des casques encore plus grands pour plus d’immersion. Intégrant par exemple des banques d’odeurs diffusées via des enceintes spéciales pour stimuler l’odorat. Améliorant la locomotion des utilisateurs, à l’aide d’un sol à la surface lisse qui donne l’impression de marcher sans que ce soit le cas. « Ces innovations sont déjà en vente. À nous de les acquérir pour les tester dans le domaine médical », se réjouit le praticien.

 

Peurs mais aussi addictions, TOC, stress post-traumatique…

La réalité virtuelle est également utilisée pour soigner les addictions, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), l’anxiété chronique ou encore le stress post-traumatique. Le docteur Malbos travaille actuellement sur l’analyse d’une étude clinique qu’il a menée sur 120 fumeurs. « La différence avec le traitement des phobies se trouve dans les environnements choisis. Pour les dépendances, on crée des univers à haut niveau d’incitation. Par exemple, un bar où tout le monde fume, une pause-café au travail, etc ».

Ses premiers résultats sur 63 sujets montrent que 72% d’entre eux n’ont pas rechuté après la thérapie par VR. « On est toutefois au tout début de l’usage de la réalité virtuelle pour guérir les addictions. Il n’y a pas encore assez d’études cliniques sur de larges échantillons pour avoir suffisamment de recul. La mienne sera une des premières. Mais d’autres essais sur l’utilisation de cette technologie pour le traitement de l’alcool ou de l’héroïne ont des résultats déjà très prometteurs ». A.P.

 *Peurs de l’enfermement, de certains lieux, de l’avion, de la prise de parole publique, de la foule, des requins.

 

Bonus

  • Les rendez-vous avec les docteurs Prospéri et Malbos sont entièrement pris en charge par la sécurité sociale et les mutuelles. Pour des séances avec un psychiatre libéral ou un psychologue, tout ou partie peut être à régler par le patient.
  • L’usage de la réalité virtuelle pour le traitement des phobies est peu répandu car encore très peu connu, y compris des thérapeutes. Le coût élevé de cette technologie a aussi longtemps été un frein (12 000€ pour le premier casque il y a environ cinq ans contre 300€ environ aujourd’hui).

Pour découvrir, comprendre et pratiquer la thérapie par exposition à la réalité virtuelle, le docteur Éric Malbos a coécrit, avec Rodolphe Oppenheimer et le professeur Christophe Lançon, le livre « Se libérer des troubles anxieux par la réalité virtuelle » (éditions Eyrolles 2017, 10€).