Fermer

Déchets marins, basta !

Par Marie Le Marois, le 13 décembre 2018

Journaliste

À chaque coup de mistral, c’est le même scénario : des amas de déchets viennent s’agglutiner dans l’anse du petit port de Malmousque. Un conglomérat de plastiques nappe la surface de ce petit paradis, quand il ne glisse pas entre deux eaux. Verres, pailles, bouchons, sachets de chips. Des macro-déchets. Ni trop gros, ni trop petits, solides et visibles à l’œil. Ce sont eux que traque l’association MerTerre.

 

Scientifique spécialiste des macro-déchets, expert auprès de l’État, Isabelle Poitou les connaît par cœur à force d’en scruter les moindres contours. Depuis vingt ans, avec son association MerTerre, elle les ramasse Déchets marins, basta ! 1inlassablement pour les identifier et comprendre leur parcours. Sa prise de conscience s’est produite en 1994, lors de ses études supérieures à Marseille, « une des villes les plus sales de France ». Avec son diplôme en biologie marine, sa thèse en Aménagement et Urbanisme, et son penchant pour la complexité, elle était vouée à consacrer sa vie aux macro-déchets. Aujourd’hui, son expertise est sollicitée partout. Le 10 décembre, elle était au Comité France Océan, groupe de concertation sur l’environnement marin dirigé par le Ministre de la Transition écologique et solidaire. Cette jeune quinqua nous reçoit dans son bureau du centre-ville, parle tous azimuts de ses nombreux projets. Avec, à l’appui, graphiques, camemberts et photos désolantes de déchets. À pleurer.

 

« Un objet banal pour nous peut être un piège pour l’animal »

Grâce à sa persévérance, elle a contribué au classement des déchets sur le littoral comme une pollution majeure et non plus comme une simple nuisance au tourisme. Une différence de taille. Il faut dire que les pouvoirs publics ne peuvent plus faire l’autruche : tout le monde a pris conscience de leurs méfaits sur la faune marine. Certaines photos sur Facebook sont devenues virales : un oiseau le ventre remplis de déchets divers, une tortue coincée dans un anneau. Et que dire de cette baleine morte, qui fait le tour de la toile, avec six kilos de plastique dans l’estomac ? « Un objet banal pour nous peut être un piège mortel pour l’animal ». Et quand ces macrodéchets se désagrègent en microparticules de plastique, ils influencent la biodiversité, notamment la fertilité de certaines espèces, et donc la reproduction.

 

Du plastique à 87%

142 m³ de déchets par kilomètre sont récupérés chaque saison sur les plages de PACA ! 87% sont du plastique, 36% des déchets en mer et sur le littoral sont des emballages alimentaires et liés au tabac. Le top 10 ? Les cotons tiges, suivis des bouchons et couvercles en plastique, des mégots et filtres, des emballages… Reste 22% non identifiés.

 

« La mer vomit ce qu’elle n’arrive pas à digérer »

Bon sang, mais qui jette ces satanées mini-gourdes de jus de fruit en aluminium qu’on retrouve même au fond, entremêlées aux algues ? Des plaisanciers je-m’en-foutistes ? Même pas, c’est la terre qui les a entraînés là. Isabelle Poitou ne cesse de démontrer que les déchets descendent vers la mer par les bassins versants, notamment par l’Huveaune et les Aygalades. Le prouver, le comprendre, le décortiquer, telle est sa mission. « De la qualité de la ville dépend la qualité de la plage : la mer vient vomir ce qu’elle n’arrive pas à digérer ». De fait, tous ces déchets sont non biodégradables.

 

Coopérer avec les responsables

En cas de pluies diluviennes comme en novembre, les rivières débordent, charriant avec elles tous les détritus laissés sur leurs rives. Ce n’est pas pour rien que la plage de l’Huveaune se nomme également ‘’Épluchure Beach’’. Autre phénomène en cas de grosses pluies : dans les caniveaux, les eaux pluviales emportent les déchets vers la mer. Les grilles, notamment celles de Malmousque, sont assez larges pour éviter la pression des eaux pluviales mais pas suffisamment étroites pour retenir les macrodéchets véhiculés dans ce flux d’eau. Et ils sont légion, car « une partie de la population continue à considérer les égouts comme des poubelles. Beaucoup ne font pas le lien entre caniveau et mer ».

 

Former les cantonniers

Pas question de sortir le bazooka et de tirer sur les pollueurs. Isabelle Poitou préfère « éveiller les consciences pour responsabiliser les acteurs ». Les cantonniers, par exemple. Elle a mis en place un pilote sur le littoral marseillais, par et pour les services techniques qui nettoient plages et plans d’eau. « Pendant deux ans, je leur ai demandé, par exemple, les volumes quotidiens récupérés flottants dans les eaux du Vieux Port et échoués sur les plages, en saison estivale et au cours des périodes de crue. Ainsi que le pourcentage du plastique, verre, papier/carton, métal et bois. Cette photographie m’a permis de comprendre l’origine des déchets ». Et les cantonniers de prendre conscience de leur rôle fondamental dans la protection de l’environnement et de la mer. Les déchets, qui finissaient habituellement dans le caniveau, chassés par leurs jets d’eau, sont davantage poussés par les balais vers les poubelles. « 50 % des boîtes de lavage (NDLR : robinets à clé dans la rue) ont été fermées dans le cadre d’un programme d’économie d’eau et de lutte contre les pollutions », se réjouit-elle.

Le ramassage collectif, bon, bien et fun

Déchets marins, basta ! 6Isabelle Poitou entend démultiplier les opérations de nettoyage collectif. Les bénéfices sont immédiats – moins de déchets en vue –, mais surtout, ce type de ramassage « bon, bien et fun » permet de créer du lien entre les participants et provoque du bien-être. « Ils tirent une fierté de leur action et la partagent avec leur entourage. Ils contaminent ainsi ceux qui ont envie d’agir et sensibilisent les autres à ne plus jeter leurs déchets dans la rue ». Par l’action, les ramasseurs font de la prévention. Un cercle vertueux et contagieux dont elle est l’ambassadrice par son côté expert et passionné. Alors, elle y va. Depuis 2008, elle anime l’opération Calanques Propres (vidéo si tu peux). Et accompagne différentes opérations pour caractériser les déchets, dont Huveaune Propre (2018 : 1378 participants et 49 m³ de déchets ramassés en trois jours sur 15 km de cours d’eau) et Vieux-Port Propre (2018 : 700 participants et 91,5 m³ de déchets ramassés en une matinée). Respectivement coordonnées par le Syndicat de l’Huveaune et par la Fédération nationale départementale des sociétés nautiques.

 

Travailler avec les fabricants

Évidemment, la solution la plus efficace serait d’interdire tout plastique. « Envisageable dans une stratégie sur le long terme. Mais difficile dans un contexte socio-économique qui vise plutôt la croissance. En attendant, la biodiversité a besoin que nous agissions vite sur ces déchets déjà dans l’environnement et qui aboutissent en mer ». Certains le lui reprochent mais Isabelle Poitou n’est pas une radicale de la cause anti-plastique. Elle met son énergie à travailler « avec et pas contre ». Elle croit en « ces multitudes de petites actions réparatrices », comme ce fabricant de bouteille en plastique qui a compris qu’il fallait fixer le bouchon pour éviter qu’il ne se retrouve en mer.

 

Donner aux personnes sur le terrain les moyens d’agir

Le Grenelle de l’Environnement 2009 a constitué les prémices de sa reconnaissance nationale. Et 2017 a été l’année des contrats : Euromed 2 l’a mandatée pour diagnostiquer les macrodéchets dans le ruisseau des Aygalades et le Syndicat Intercommunal de l’Huveaune, dans le fleuve éponyme (une horreur qui démontre la responsabilité de la population, notamment de certains artisans). Suez l’a également missionnée pour analyser le type de déchets dans les dégrilleurs (dispositif de prétraitement des eaux pluviales et cours d’eau) de la station d’épuration. Le numéro 1 est bien-sûr le coton tige. La compagnie entend ainsi améliorer son réseau SERAMM (Service d’assainissement Marseille Métropole).

 

Réseau national de ramassage de déchets

2018 enfin voit la consécration de son travail titanesque : l’État lui a commandé la stratégie d’animation d’un réseau national de ramassage de déchets pour mutualiser les énergies (clubs de plongées, associations type Surfrider, entreprises qui nettoient plages et rivières, gestionnaires de zones protégées …). Cette plateforme nationale, qui s’appellera VIGI Déchet sauvage, devrait être opérationnelle en mars.

Ce petit film résume bien les initiatives et actions mises en place par MerTerre.

Une plateforme régionale

Au sein de cette plateforme nationale, Isabelle Poitou développe REMED Zéro Plastique, une plateforme régionale pilote, toujours avec cette intention de fédérer les bonnes volontés sur le terrain. « L’idée est d’inciter ceux qui agissent à se structurer, à utiliser une méthode homogène de ramassage et de caractérisation des macro-déchets, à éviter que des actions de ramassage ne se superposent, et à aller là où ce n’est jamais nettoyé… » Mais aussi à établir une cartographie des macro-déchets pour mieux sensibiliser les responsables et agir à la source.

 

« Adopte 1 Spot »

Ces plateformes l’ont conduite à développer l’outil d’implication ‘ »Adopte 1 Spot ». L’idée ? S’engager, par exemple, trois fois dans l’année à nettoyer une zone définie en suivant le protocole n°1 : quantifier le volume et le poids sur 100 mètres de long. Moi, je m’attellerai spécialement à l’Anse de Maldormé, mon paradis et le pendant du petit port de Malmousque, régulièrement envahi de déchets par vent d’Est.

 

Bonus

  • Les besoins : Des bénévoles quatre fois par an pour faire des relevés et des comptages de déchets sur trois sites (îles de Frioul, Port-St-Louis-du-Rhône et Beaulieu-sur-Mer). Et des bénévoles pour trier les cinq sacs poubelles de déchets marins qui trainent dans son bureau au milieu des ordinateurs… et les trois containers restés sur les Îles du Frioul.
  • Le 24 octobre, l’Union Européenne a voté en faveur de l’interdiction complète d’ici 2021 des produits en plastiques à usage unique pour lesquels des alternatives durables existent. L’Australie, elle, a déjà interdit les sacs plastiques à usage unique.
  • MerTerre a été choisie par Ody’C, un fonds de dotation pour la protection de la Méditerranée qui va l’aider à consolider sa structure et accroître sa capacité à mener tous ses projets d’envergure.
  • Déchets marins, basta ! 8Un programme solidaire pilote de Lemontri suit actuellement son cours dans deux Casino Proxi à Marseille. Chaque bouteille en plastique insérée dans une machine génère un bon d’achat ou un don pour l’association Mer Terre.
  • En projet : un partenariat avec Yoyo pour « Adopte un spot » : les habitants seront récompensés, lorsqu’ils recycleront leur bouteille en plastique, mais aussi lorsqu’ils ramasseront les déchets dans le cadre de nettoyages bénévoles.
  • On aime le « Jellyfishbot« , robot-aspirateur capable d’amasser les détritus flottant dans les ports, mis au point par Iadys, une start-up aubagnaise.