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Maîtriser la parole pour préparer sa sortie de prison

Par Marie Le Marois, le 18 janvier 2019

Journaliste

Tout le monde connaît le centre de détention des Baumettes. Au moins de nom. Ce qu’on ne sait pas, c’est que bénéficiant depuis le 29 juin dernier du plan prison de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, il a été doté d’un ‘’SAS’’ (Structure d’Accompagnement vers la Sortie). Expérimental, aménagé dans l’ancienne maison des femmes, il est réservé à Marseille aux personnes condamnées à une peine ou un reliquat de peine de moins de deux ans (trafic de stupéfiants, violence sur personnes représentant l’autorité public…). Une première en France.

 

 

Le SAS des Baumettes possède 101 places et met tout en œuvre pour amener le détenu sur la voie de l’autonomie et la responsabilisation, comme l’indique sa devise ‘’un pied dedans, un pas dehors’’. Ses spécificités ? Les détenus bénéficient d’un régime de liberté dans un cadre précis (ils ont par exemple la clé de leur cellule), d’un suivi global et renforcé, d’un conseiller pénitencier d’insertion et de probation pour 40 personnes (quand c’est le double dans le reste de la prison) et d’un travail sur leurs différents ‘’Besoins d’Intervention’’ : emploi, logement mais aussi communication.

 

Les détenus n’ont pas confiance en eux

Maîtriser la parole pour préparer sa sortie de prison 3En réponse à ce dernier besoin, l’association Toastmasters intervient au sein du SAS pour leur apprendre la prise de parole en public et développer la confiance en soi. Car contrairement à ce qu’on pourrait penser, les détenus, en grande majorité, n’ont pas confiance en eux. Bruno Palazzolo, le fondateur de Toastmasters Marseille, se souvient de sa surprise lors de sa première intervention en septembre. « Je pensais tomber sur des gens fiers, des ‘’caïds’’. Au contraire, les détenus ont une image faible d’eux-mêmes. Ils ont le regard baissé, l’attitude fuyante, les épaules rentrées, la voix effacée ». Cet entrepreneur de 37 ans a également touché du doigt « leurs émotions bouillonnantes et l’exercice de la parole, difficile ». Une réalité qui, selon lui, peut expliquer la violence qui règne en milieu carcéral : « la violence advient quand il n’y a plus de mot pour s’exprimer. C’est un raccourci, une autre forme de communication ».

 

Être plus à l’aise en prison et préparer la sortie

Maîtriser la parole pour préparer sa sortie de prison 4Bruno, qui s’est formé avec un psychologue pénitentiaire, intervient auprès d’un groupe d’une quinzaine de détenus pendant dix séances. Ils ont été sélectionnés par la direction sur leur motivation et leurs manques (pas de projet de sortie, pas d’ancrage à l’extérieur, pas de ressources sur lequelles ils peuvent s’appuyer…). La séance débute toujours par question à laquelle chacun doit répondre : « Comment je me sens depuis la semaine dernière ? ». Un thème différent est ensuite abordé : savoir utiliser son corps, apprivoiser sa voix, structurer son discours. Les outils sont la vidéo, le PowerPoint et beaucoup d’exercices : l’improvisation sur un sujet donné, d’abord, pour travailler l’agilité d’esprit et dépasser sa peur. Ensuite, un discours préparé par chacun (qui je suis, ce que je fais en prison et que je compte faire après). Et enfin, un feedback de Bruno et des autres participants (ce qui a été bon, moins bon et comment tu peux t’améliorer).

 

« Ils ont tous un gros potentiel »

En donnant les codes pour s’exprimer avec clarté et assurance, Bruno vise deux objectifs : permettre aux participants d’être plus à l’aise en milieu pénitencier. Et préparer leur sortie. « Savoir structurer un discours est en effet important pour chercher un emploi, trouver un logement et même créer des relations stables ». A l’entendre, ce groupe de prise de parole semble se dérouler sans heurts. « L’exercice est génial. Ils ont tous un gros potentiel : ils aiment s’exprimer, ont une grande vivacité intellectuelle, ‘’catchent’’ vite. Ils ont juste besoin d’être accompagnés. Le seul point compliqué est d’arriver à établir une continuité d’une séance à l’autre, alors certains détenus entrent et d’autres sortent, mais ça va, on y arrive ».

 

Une ambiance plus sereine au sein de la prison

Maîtriser la parole pour préparer sa sortie de prison 5Il est compliqué de parler de résultats quand on évoque l’humain. Mais les retours de l’encadrement du SAS sont positifs. Les participants ont appris à se connaître eux-mêmes et entre eux. À mettre des mots sur leurs ressentis. L’ambiance est devenue plus sereine et les rapports plus apaisés avec les surveillants. Les bienfaits se font également ressentir au niveau des ‘’Débats Contradictoires’’, dix minutes pendant lesquelles le détenu défend auprès du JAP (Juge des Applications des Peines) son projet de sortie. Pour bénéficier, par exemple, d’une sortie anticipée avec un bracelet électronique.

 

Mourrad : « j’ai appris à me connaître »

Maîtriser la parole pour préparer sa sortie de prison 6Kamel*, 24 ans, raconte que ces 10 séances lui ont appris « à réduire le tract », gérer son timbre de voix pour qu’il y ait « une sonorité constante », devenir plus sûr de lui avec « le regard, la posture, l’espace à prendre ». Il confie que lui « n’a pas l’habitude de tout ça », qu’il a toujours « employé des mots à nous ». Et que ces séances vont lui servir en mars, à sa sortie de prison, lorsqu’il cherchera du travail. José, condamné pour avoir roulé sans détention de permis, lui raconte qu’il se « languissait toute la semaine que la séance avec Bruno arrive », qu’au tribunal, il était timide « j’ai bredouillé que du noir, je n’ai pas réussi à parler devant les juges. Maintenant je me sens bien, je suis moins timide ». Mourrad, 31 ans, explique qu’il a eu une période un peu difficile, où il s’est replié sur lui-même », et que, grâce aux séances avec Bruno, il a réussi un peu à s’en sortir, à savoir qui il était et à construire un projet.

 

Quatre détenu ont participé à ‘’Prison Break’’

Maîtriser la parole pour préparer sa sortie de prison 7Le 11 décembre, Kamel, José, Mourrad et Sam ont participé à un événement très spécial à la Cité des Métiers : ‘’Prison Break’’. Accompagnés par un surveillant et la directrice du SAS, ils sont montés tour à tour sur scène devant une soixantaine de personnes dans les conditions d’une soirée Toastmasters : discours de trois minutes, pas plus. Et à chaque fois, un feedback par écrit du public et cinq évaluations sur scène de membres du club Toastmasters. « L’idée était de changer le regard sur soi-même mais aussi celui des autres », explique Bruno. Pari réussi. Le premier était trop timide, le second trop ‘’one man show’’, le troisième pas assez clair, le quatrième les yeux rivés au sol. Mais tous ont eu le courage de prendre la parole devant 80 personnes et de raconter leur histoire. Avec authenticité et simplicité. M.M.

*Les prénoms des détenus ont été modifiés

 

Bonus

  • L’un des objectifs du SAS est de lutter contre la surpopulation carcérale et de donner une chance aux prisonniers qui le souhaitent de se réinsérer. La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, souhaite généraliser le centre expérimental des Baumettes et construire 2 000 places d’ici 2020 dans d’autres villes françaises, pour des peines de moins d’un an.

 

  • Toastmasters Marseille est un club de prise de parole en public rattaché à Toastmasters International, présent depuis 90 ans à travers le monde avec plus de 350 000 membres et quelque 15 000 clubs présents dans + 125 pays. Le club marseillais rassemble une quarantaine de membres de tous âges et toutes origines confondus. Il a pour vocation de développer les aptitudes en prise de parole en public et leadership. Les réunions, ouvertes aux adhérents et aux non adhérents, se déroulent tous les mardis soirs, de 19h à 21h30 à la Friche de la Belle de Mai. Il existe également un programme spécifique destiné aux jeunes lycéens et étudiants. Du 10 au 12 mai aura lieu à Marseille le championnat européen de prise de parole en public en français et en anglais.