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Des soins spirituels pour les patients en soins palliatifs

Par Marie Le Marois, le 29 janvier 2019

Journaliste

Eric Dudoit

Des soins spirituels au sein de l’hôpital public ? L’info paraît tellement dingue qu’elle titille ma curiosité. Effectivement, l’Unité de Soins et de Recherche sur l’Esprit (USRE) existe bel et bien officiellement au CHU La Timone. Après 13 ans d’existence, elle fait toujours figure de précurseur dans l’accompagnement des patients en fin de vie. Et nous montre que soigner une âme est aussi importante que soigner le corps. J’ai interviewé son cofondateur, Eric Dudoit, par ailleurs responsable de l’Unité de Psycho-Oncologie en Soins Palliatifs et en Oncologie Médicale. Un homme paisible et chaleureux au look de grand sage.

 

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Eric Dudoit

Chaque jour qu’il passait dans son service, Eric Dudoit constatait que les patients exprimaient un besoin impérieux de sens et de profondeur, que les questions qu’ils se posaient sur la mort étaient source d’angoisses. « Le sens est fondamental pour l’humain, c’est ce qui le tient vivant. Sans cela, il devient malheureux et perdu », observe ce Docteur en psychologie clinique et psychopathologie, psychanalyste, théologien, proche de Jung et de la physique quantique.

 

« Les médecins mettent les patients sous chimio ; nous, on s’occupe de leur âme »

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David, psychologue de l’équipe formé à la méditation

Pour apaiser leur souffrance, les aider à réconcilier corps-esprit, à retrouver un sens à leur vie et à appréhender la mort plus sereinement, il a co-créé en 2005 une unité avec le Dr Geneviève Botti, médecin du service (élève pendant trois ans du moine Rinpoché) et Eliane Lheureux, sophrologue, thérapeute ayurvédique et férue des maitres indiens. « Nous avons eu l’idée de mettre en place des groupes de méditation et de lecture de textes spirituels. La direction a donné le feu vert pour créer cette unité, et continue aujourd’hui à la reconnaître et à la soutenir ». l’équipe se compose de six professionnels ayant chacun leur spécificité : David, psychologue formé à la méditation, Christelle, infirmière hypnothérapeute, Thierry, aide soignant aromathérapeute…« Le Dr Botti n’est plus avec nous mais nous continuons à travailler étroitement en coopération avec les médecins du service, dans un profond respect mutuel et une réelle complémentarité : eux mettent les patients sous chimio ; nous, on s’occupe de leur âme ». L’équipe intervient également dans d’autres services (stomato, gastro, dermato, neuro, chirurgie…), dès qu’il y a un souci au niveau de la douleur. Et il n’est pas rare qu’elle suive le patient lorsqu’il est pris en charge temporairement dans un autre hôpital.

 

« Retrouver un sens à leur nouvelle existence »

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Juliette, infirmière de l’équipe formée aux massages

Les patients concernés par cette unité sont en soins palliatifs, c’est à dire qu’ils sont traités pour une maladie incurable. Ils peuvent être en fin de vie, comme avoir encore quelques années devant eux. « Pour ces derniers, la difficulté est de retrouver un sens à leur nouvelle existence avec ce nouveau corps amputé et ce visage sans cheveux et sans sourcils ». Ceux qui consultent ont tous les âges, mais il y a davantage de femmes que d’hommes. « Il est toujours plus difficile pour eux d’accorder de l’attention à leurs émotions ; accoucher de soi demande un vrai travail qui peut être difficile et douloureux ». Ces soins s’adressent également aux proches pour les aider à reprendre leur respiration, à trouver une juste posture vis à vis du malade mais aussi d’eux-mêmes. Le personnel hospitalier peut également en bénéficier. « Quand un soignant va bien, le patient va mieux ».

 

 

Un espace de discussions spirituelles pour aborder les questions existentielles

Les soins que proposent l’Unité ? Méditation guidée de type Mindfulness ou Vipassana en chambre*, sophrologie, ‘’toucher-détente’’, hypnose Ericksonienne, soins énergétiques, aromathérapie. Et, bien-sûr, discussions spirituelles menées par Eric Dudoit. Ce qu’il entend par spiritualité, c’est la quête de sens et par conséquent toutes les questions existentielles que se posent les patients : qu’est ce qui me fonde en tant qu’être humain ? Qu’est ce qui donne sens à ce que je vis ? La question du spirituel est bien-sûr abordée hors des dogmes, de manière aconfessionnelle et dans un grand souci de laïcité. L’accompagnement individuel se fait « à travers les grands maîtres spirituels et personnalités qui participent à notre éveil : chrétiens, hindous, laïcs… Je m’appuie aussi bien sur le moine bouddhiste Thich Nhat Hanh que l’historienne et philosophe Marie-Madeleine Davy, l’écrivain Eckhart Tolle, Saint-François d’Assise, la mystique Etty Hillsum morte en camp de concentration ou encore le poète persan Rûmî ».

 

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Moine bouddhiste Thich Nhat Hanh

La posture d’Eric Dudoit est ‘’d’être’’ »

Le sujet n’est pas de parler de métaphysique, si le patient lui-même ne l’y invite pas et quand bien même il le ferait, il ne s’agit pas de répondre logiquement point par point par une argumentation pour que le patient éprouve du réconfort. « Notre posture est ‘’d’être’’ et de le laisser démêler les fils de sa pensée, de ses affects. De tenir bon le chemin d’une vérité. La sienne ». Lorsque des personnes se déclarant pratiquantes, Eric Dudoit leur propose toujours de voir le représentant de leur culte. À la Timone officient un rabbin, un pasteur, un prêtre et un aumônier musulman. « Aux bouddhistes, je suggère un médecin bouddhiste qui travaille à l’hôpital Nord ».

 

La Méditation permet de se dégager de ses pensées négatives – notamment celles liées à la mort -, de faire confiance à son être et de diminuer la douleur

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La méditation est un autre point fort de l’Unité. Faire silence et laisser les pensées suivre librement leur cours permet d’être dans l’ici et maintenant. « C’est au contact des patients en situation de mort imminente que j’ai appris ce qu’était réellement la qualité de l’instant présent, l’état de paix qu’elle procure et le gain pour l’appareil psychique ». Pour lui, elle contribue à ouvrir le champs de la conscience de l’individu, à trouver son fondement, à se dégager de ses pensées négatives – notamment celles liées à la mort -, à faire confiance à son être. Mais aussi à arrêter de tout vouloir saisir et régir avec son mental, « le plus grand commentateur de notre vie ». Le fait de cesser de croire nos pensées et nos jugements permet d’être au plus près des faits et des perceptions que des représentations. « Nous avons également observé que la méditation agissait sur la douleur. La plupart du temps, quand elle est trop élevée, on veut s’en échapper. C’est une perte d’énergie importante et celle-ci ne diminue pas du tout, au contraire ». Méditer permet d’accueillir cette douleur et de la diminuer subjectivement, de mieux supporter les traitements (chimio, radiothérapie, chirurgie…).« Mais aussi de devenir acteur de sa maladie, au sens où elle va aider à ressentir son corps et à écouter ce qu’il a à dire ».

 

Les discussions autour de l’Expérience de la Mort Imminente aident le patient à parler de la mort et de sa mort

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Documentaire de Sonia Barkallah sur les EMI

Eric Dudoit utilise également les récits sur l’EMI (Expérience de la Mort Imminente) de personnes ayant échappé à la mort. Ces récits présentent souvent des similitudes : impression de décorporation, conviction d’être mort mais conscient dans un corps immatériel, déplacement dans un long tunnel, lumière intense, rencontres avec des personnes décédées ou des ‘’êtres de lumière’’… Les discussions sont menées autour de différents supports, notamment le DVD Faux départ de la réalisatrice Sonia Barkallah ou les travaux du Dr Raymond Moody.Traitée comme une fiction, l’expérience menée ne vise pas la croyance mais à créer un espace d’échange. « Nous avons constaté qu’elle permettait de diminuer le syndrome anxio-dépressif du patient, de faire le lien entre lui et sa famille, de l’aider à parler de la mort et de sa mort. Mais aussi de vivre plus sereinement le moment du dernier souffle, primordial pour la suite ». Son intention n’est pas de déjouer la mort, mais de la regarder comme un fait – ‘’je dois mourir’’- et non à travers le prisme des représentations mentales qu’on peut avoir à son propos : l’abîme, le vide, le néant, la séparation… « Et si ce passage n’était pas si difficile ? ».

 

*Le groupe de méditation se trouve à l’Espace Rencontre Information Cancer, commun à l’ensemble de l’hôpital Timone

 

Bonus

  •  Témoignage d’Isabelle, en thérapie ciblée pour des métastases au cerveau

« Quand le médecin m’a annoncé mon cancer du sein, pour moi, c’était clair, j’allais mourir. La majorité des personnes que je côtoyais à l’hôpital de jour vivaient des rechutes. Pendant des mois, des milliards de questions se sont bousculées dans ma tête. Sur la vie, la mort… Qu’est ce que je vais devenir après ? Pourquoi je suis là ? A quoi je sers ? Qui suis-je finalement ? Je ne trouvais aucune réponse, plus de sens à mon existence. J’étais paumée, dans le flou total. En dépression. Difficile d’avoir l’envie de vivre quand on n’a pas de désir, rien auquel se raccrocher. Uniquement des émotions négatives. Eric Dudoit a calmé cette tempête dans ma tête. La première fois que je l’ai vu, j’ai été surprise par son ouverture d’esprit. Nous avons parlé du bouddhisme, de l’hindouisme et de toutes ces choses en isme. Il n’enferme pas la spiritualité dans une boite. J’ai compris que pour percevoir la vie autrement, trouver un sens, il fallait que je me libère de mes représentations et trouve ma propre voie spirituelle. S’il était là, il me dirait : « c’est encore ton mental qui parle ! » C’est vrai, je me bats contre mon mental. Pour m’aider à le freiner, je participe au groupe de méditation pleine conscience. C’est difficile, très fatiguant, mille fois je dois ramener mes pensées. Le groupe me permet de ne pas me perdre ; écouter le souffle des autres me recentre. Après trois séances et quelques pratiques chez moi, j’observe déjà des effets. Je découvre cette sensation de temps ralenti, de vivre dans l’ici et maintenant. Plus que ça : je prends conscience de mon corps, ce corps qui m’encombrait, et de son importance. J’ai envie d’en prendre soin, de l’écouter et le respecter. Je commence à m’accepter et à accepter le monde qui m’entoure tel qu’il est ; je me sens plus complète, plus reliée. Même s’il me manque la moitié de mon corps ».

  •  Dans son dernier livre* ‘’La Porte à franchir. Témoignages d’un passeur d’âme’’ (Ed. le passe-Monde),

Des soins spirituels pour les patients en soins palliatifs 10Eric Dudoit exprime publiquement pour la première fois ses convictions profondes : « il n’y a pas de tension entre psychologie et spiritualité, les deux se potentialisent ». L’auteur nous le montre à travers son expérience auprès de patients, très souvent en phase terminale, et des réflexions qu’il nous fait partager à la fois en tant que psychologue et théologien. Son livre nous parle d’amour universel, cet amour enveloppant évoqué par les grands maîtres et qui est pour lui la seule chose qui soigne. Et témoigne de l’importance de guérir une âme pour que celle-ci parte légère. Loin d’être triste, ce livre est plein d’espoir.

*Egalement auteur de ‘’Au cœur du cancer, le spirituel’’, éd Glyphe, et ‘’ces EMI qui nous soignent’’ avec Eliane Lheureux (Ed. S17 Production).

  • La partie ‘’recherche’’ de l’Unité de Soins et de Recherche sur l’Esprit

Eric Dudoit est égalementchargé de cours à l’université pour le DU et le DIU Soins Palliatifs et Ethique. Avec ses étudiants en master de psychologie clinique, ils mènent des recherches sur des thèmes précis « pour faire avancer le ‘’schmilblick’’ ». En ce moment, les travaux portent sur la représentation de la spiritualité en cancérologie à partir d’un recueil de données réalisées par ses étudiants auprès des patients, et de recherches cliniques. « Les étudiants ont une appétence pour la spiritualité, à partir du moment où ils ne sont pas ennuyés par la morale et les rites ».

 

  • Son auteur inspirant : Daniel Meurois, ‘’Le grand livre des thérapies Esséniennes et Égyptiennes’’ et ‘’Le labyrinthe du Karma – Déchiffrer et comprendre notre contrat d’âme’’ (Ed Passe Monde)