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Des molécules de requin contre les infections

Par Hervé Vaudoit, le 20 février 2019

Journaliste

Créée dans la cadre de l’IHU Méditerranée Infection, qui en est co-actionnaire, la petite start-up Biosqual développe des produits pharmaceutiques innovants à partir d’une molécule produite naturellement par un petit requin turbulent.

 Comme souvent dans la recherche, c’est une simple observation qui a éveillé la curiosité d’un scientifique et qui a, in fine, permis cette découverte. En l’occurrence celle d’une nouvelle molécule antiseptique potentiellement capable de limiter très fortement l’impact des maladies nosocomiales, c’est-à-dire des infections contractées à l’hôpital par des patients admis pour une autre raison.

 

Leurs plaies ne s’infectent jamais

« A l’origine, explique le professeur Jean-Marc Rolain, c’est le comportement d’un petit requin d’une espèce particulière, squalus acanthias, ou chien de mer, qui a attiré l’attention des scientifiques. » Dans leur milieu, ces animaux ont en effet l’habitude de beaucoup se chamailler, de se mordiller et de se blesser la peau. Sauf que leurs plaies ne s’infectent jamais et ne dégénèrent jamais en cancer, comme c’est souvent le cas pour d’autres espèces, y compris de requins.

Une caractéristique qui a intrigué un immunologiste et généticien américain, Michael Zasloff, qui a découvert au début des années 1990 le responsable de cette hyper-résistance aux infections et au cancer. Il s’agit d’une molécule de la famille des aminostérols, la squalamine, que les requins de cette espèce synthétisent en quantité infinitésimale dans leur foie. Une molécule aux propriétés antibactériennes très puissantes, mais également antifongiques qui ont bien évidemment intéressé les chercheurs. En dépit d’un obstacle de taille : la difficulté à produire de la squalamine de synthèse.  A la suite de la découverte de Michael Zasloff, une procédure avait certes été mise au point, mais elle comprenait 16 ou 17 étapes complexes et ne permettait de produire que de petites quantités de squalamine de synthèse, à un coût très élevé. Sans compter le fait que la molécule obtenue présentait un niveau de toxicité très élevé pour l’homme, rendant délicate la mise au point d’un médicament efficace sans effets secondaires lourds.

Des applications très prometteuses en médecine
Des requins contre l’infection 1
Olivier Blin et Jean-Marc Rolain

Une dizaine d’années plus tard, c’est un chimiste marseillais, Jean-Michel Brunel, qui a trouvé la parade. A partir de cholestérol, il est parvenu à synthétiser, non pas de la squalamine, mais des analogues amino-stéroïdiens de cette molécule à la structure chimique très proche. Brevetées à partir de 2009, plusieurs séries de molécules dotées des mêmes caractéristiques que la squalamine ont ainsi été produites, avec des applications très prometteuses en médecine humaine et vétérinaire. Une licence a d’ailleurs été octroyée au laboratoire Virbac pour produire un médicament contre les infections du pis chez la vache laitière.

 

Une pommade antiseptique

En médecine humaine, la première application, envisagée est une pommade capable de décontaminer le nez de patients en attente d’intervention chirurgicale. Elle sera produite par Biosqual, la start-up créée en 2015 pour porter ces projets de développement au sein de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection, dirigé par l’un des plus brillants virologues et infectiologues de la planète, le Pr Didier Raoult, co-fondateur de Biosqual avec Jean-Marc Rolain et un autre professeur de médecine et de microbiologie, Olivier Blin. « Entre 15 et 20% de la population est porteuse de staphylocoques dorés qui se logent dans le nez », explique ce dernier, précisant qu’en cas d’opération, le risque est grand de voir ces germes contaminer la plaie chirurgicale du patient et compromettre sa guérison. « Chaque année, les contaminations nosocomiales de cette nature coûtent plus de 100 millions d’euros à l’assurance maladie », rappelle Jean-Marc Rolain pour souligner l’intérêt économique des produits imaginés chez Biosqual. Autre caractéristique intéressante des analogues de squalamine, le fait qu’ils ne génèrent pas de résistance au fil du temps, comme c’est le cas avec les antibiotiques classiques, et leur capacité à entraver l’angio-génèse, c’est-à-dire la création naturelle de nouveaux vaisseaux sanguins, ce qui ouvre de nouvelles perspectives de traitement pour certains cancers.

« Toutes ces voies sont très prometteuses, admet Olivier Blin, mais nous ne voulons pas brûler les étapes. Pour l’heure, poursuit-il, nous nous concentrons sur cette pommade antiseptique pour laquelle une étude va débuter sur des volontaires sains. » Financée par la société d’accélération de transfert de technologies (Satt) Sud-Est à hauteur de 700 000 €, cette étude s’inscrit dans le processus de maturation de Biosqual et devrait durer 15 à 18 mois. Suivront les différentes phases d’études cliniques et d’évaluations préalables à une autorisation de mise sur le marché, que Jean-Marc Rolain et Olivier Blin espèrent à l’horizon 2022/2023. D’ici là, leurs équipes prévoient de plancher sur les autres propriétés des analogues de squalamine, avec l’espoir de trouver de nouvelles solutions dans la lutte contre les infections de toute nature, contre les cancers et même contre l’obésité. Ces petits requins ont des talents insoupçonnés.

 

Bonus

  • D’autres équipes de chercheurs investiguent autour de la squalamine, dans le traitement de la maladie de Parkinson cette fois. La protéine bloquerait le processus moléculaire en jeu dans cette pathologie. Tel est le résultat publié dans les PNAS par une équipe internationale composée de plus de vingt chercheurs des universités de Cambridge (Grande-Bretagne), Groningue (Pays-Bas), Georgetown (États-Unis), Florence (Italie) et Saragosse (Espagne) ainsi que les National Institutes of Health (NIH) américains (article de Sciences et Avenir).