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Un retour de la consigne pour les vins de Provence ?

Par Agathe Perrier, le 21 février 2019

Journaliste

Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître… Celui où il fallait payer un petit supplément à l’achat de sa bouteille en verre – de lait, bière, vin –, restitué en échange du contenant. Autrement dit, la consigne. Ce dispositif qui dominait les années 1960 perdure à la marge aujourd’hui, et pourrait bien faire son retour. Car l’association Ecoscience Provence le relance auprès des producteurs de vins. Coup de projecteur (et de cœur) pour ce projet opérationnel depuis peu.

On la croyait disparue mais voilà qu’elle renaît de ses cendres : la consigne. Depuis le 10 décembre 2018, la filière a redémarré du côté de la Crau, dans le Var. Et plus précisément au sein du domaine La Marseillaise, partenaire du projet. « On a commencé à prévenir tout le monde en mars 2018, lorsque l’on a relancé notre production après 40 ans d’arrêt. Entre 2 000 et 3 000 bouteilles nous sont déjà revenues depuis, soit 15% de notre production. C’est microscopique dans le monde viticole, mais c’est autant de déchets qui ne partent pas à la décharge », met en avant Gaël Vial, l’un des trois associés.

Concrètement, les clients du domaine achètent leurs bouteilles et les rapportent au vignoble lorsqu’elles sont vides. Elles partent alors chez un spécialiste du lavage pour un coup de propre. Puis retour à la case départ pour les remplir de nouveau et les remettre à la vente. Et ainsi de suite pour une vingtaine de cycles. « Lorsque les contenants sont trop usés (ndlr : à force d’être réutilisé, le verre est marqué), ils sont envoyés au recyclage. C’est une bonne solution pour lutter contre les déchets, mais elle arrive aujourd’hui trop tôt dans le process. Il faut d’abord faire appel au réemploi avant de l’utiliser », souligne Marie Robin, chef de projet au sein de la « Consigne de Provence », dispositif porté par Ecoscience Provence, association à caractère scientifique pour la préservation de l’environnement..

 

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La consigne se pratique pour le moment au domaine de La Marseillaise dans le Var, et bientôt chez d’autres producteurs © DR

Consigne vs recyclage : y’a pas photo

L’association sait de quoi elle parle. Ce problème de gestion des rebuts, elle en a fait sa vocation depuis presque 15 ans sur le territoire varois. Et si elle en est venue à envisager le retour de la consigne, c’est que de nombreux producteurs qu’elle accompagne ont fait remonter ce besoin. Une réflexion a été lancée auprès des acteurs économiques locaux pour évaluer la pertinence d’un tel projet. C’était en 2009. « Aujourd’hui, après 10 ans d’études sur le sujet, la réponse est oui », répond du tac au tac Marie Robin.

La chargée de projet avance deux arguments : laver une bouteille consomme quatre fois moins d’énergie et 33% moins d’eau que de la refabriquer. « Dans le circuit du recyclage, le verre est cassé en morceaux et expédié chez un verrier. Les débris sont ensuite fondus à l’intérieur un four à 1 500°C pendant 24h. La facture énergétique est donc conséquente ». À cela s’ajoute également le coût du transport, financier et environnemental, puisqu’aucun verrier ne se trouve en Provence. Rien à ajouter, la consigne met le recyclage KO.

 

Vers une usine de lavage en Provence

La problématique du transport n’est toutefois pas encore réglée par la Consigne de Provence. Car, pas plus que de verrier, il n’y a de spécialiste du lavage sur le territoire. « Lorsque la consigne a commencé à décliner (ndlr : pendant les années 1980 avant de disparaître une dizaine d’années plus tard), les centres de nettoyage ont fermé les uns après les autres. On fait appel au moins éloigné, qui est très performant, mais se trouve en Bourgogne », explique Marie Robin. « Ce n’est l’histoire que d’un ou deux ans, le temps d’amorcer le dispositif localement », rassure-t-elle. Le but de l’association est en effet de construire sur les terres provençales une usine de lavage. Elle table sur une mise en place en 2021. « C’est un gros travail et un projet à plusieurs dizaines de milliers d’euros. On ne veut pas se précipiter et risquer de mettre à mal tout le dispositif ». On peut tout de même se consoler en se disant que cette solution de transition chez le spécialiste bourguignon a malgré tout moins d’impacts que son alternative le recyclage.

 

Un système qui permet de créer du lien

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Laver une bouteille présente des avantages environnementaux, financiers et… humains © DR

Financièrement parlant, la consigne présente aussi des avantages. Sur le papier en tout cas, le lavage revient à 0,20 euro par bouteille. Quand l’achat d’une unité neuve à usage unique s’échelonne entre 0,25 et un euro pour les plus belles, souvent personnalisées (!). Mais, pour le moment, Gaël Vial n’en a pas encore ressenti les effets. « Quand la boucle aura été faite plusieurs fois oui, mais là c’est encore trop tôt ». Cet aspect est d’ailleurs plutôt « secondaire » pour le domaine de La Marseillaise, qui a même choisi de ne pas faire payer de supplément à ses clients pour l’achat des contenants consignés. « Par contre, quand ils nous les rapportent régulièrement, on leur offre une bouteille. Ça leur fait toujours plaisir, même si je pense qu’ils le font avant tout pour le côté éco-responsable ». Quant aux producteurs, cela leur permet de créer des liens avec leurs clients et partenaires. De « remettre de l’humain » dans le simple fait d’aller acheter son vin auprès du producteur, comme aime le souligner Gaël Vial.

 

Une solution facile pour tous

Bien que de plus en plus de personnes soient sensibles à la nécessité du zéro déchet – ou du moins à leur diminution –, l’association sait qu’il lui faut associer d’autres protagonistes. C’est pourquoi le retour des bouteilles ne se résume pas au domaine de La Marseillaise. « L’idée est que les magasins qui vendent du vin deviennent également des lieux de collecte. On est justement en train de l’organiser », précise Marie Robin.

Ecoscience Provence travaille aussi sur la création d’un kiosque de collecte qui sera installé, en 2020, sur le parking d’un supermarché varois. Chacun pourra y rapporter tous ses contenants en verre. Le kiosque se chargera lui-même de faire le tri entre les bouteilles et pots consignés et ceux à recycler. En contrepartie, le consommateur obtiendra un bon d’achat à utiliser dans le supermarché. Un premier test avant de déployer ensuite le dispositif. « Entre les retours au vignoble, en magasin et en kiosque, on va proposer de nombreux moyens de collecte. Le reste du travail consistera à multiplier ces points pour être au plus près des consommateurs », ajoute la chargée de projet.

 

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1 400 bouteilles du domaine de La Marseillaise ont déjà réalisé une première rotation © DR

Cinq nouveaux producteurs en 2019

Seul le coteau de La Marseillaise fait pour le moment partie de la Consigne de Provence. Sur ses 2 000 à 3 000 bouteilles rapportées, 1 400 ont déjà connu une première rotation. Des chiffres qui devraient augmenter dès cette année. L’association souhaite en effet intégrer cinq autres vignobles au programme et rêve, à terme, de convaincre l’intégralité des producteurs de la Provence d’en faire partie. « On préfère rester prudent et y aller doucement car notre but est de proposer un accompagnement qualitatif aux différents domaines. Beaucoup ont, d’ailleurs, déjà pris contact avec nous ! », se réjouit Marie Robin. Lorsque l’on sait que 40 millions de bouteilles sont produites et consommées chaque année sur le territoire, d’après les chiffres d’Ecoscience Provence, nul doute que ce dispositif s’attaque à un marché utile et prometteur. A.P.

 

Bonus 

  • La Consigne de Provence compte plus de 30 partenaires techniques et financiers. Ses financements proviennent de l’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, la fondation Daniel et Nina Carasso et le SIVED NG, syndicat de traitement de déchets du territoire.
  • L’ADEME a publié en 2018 un rapport intitulé « Analyse de 10 dispositifs de réemploi-réutilisation d’emballages ménagers en verre ». Y est évalué l’intérêt environnemental de la consigne des bouteilles en verre. L’étude mène une comparaison entre des unités consignées et des bouteilles en verre gérées par le système habituel : le recyclage pour 3 bouteilles sur 4, l’enfouissement ou l’incinération sinon. Les résultats montrent que le lavage et la réutilisation des bouteilles est bénéfique pour les 7 cas de consigne concernés, sur tous les critères environnementaux étudiés, et consomme jusqu’à 4 fois moins d’énergie.