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Comment des villageois ont sauvé leur station de ski

Par Nathania Cahen, le 1 mars 2019

Journaliste

Montclar, ses pâturages, son eau minérale et…sa station de ski ! Une drôle de rescapée, condamnée à mort en 2015 par une équipe municipale peu portée sur la godille et le tire-fesse. Sauvée in extremis par une poignée d’irréductibles, déterminés à sauver les emplois et l’économie locale du tourisme blanc. Désormais à la tête de la seule station auto-gérée d’Europe. J’ai enfilé mon anorak et farté mes planches…

 

Quand l'intérêt commmun sauve une station de ski 2Odile Quièvre, qui tient le Domaine de l’Adoux avec son mari, raconte. Née Savornin, elle est une pure Montclarine. Son père, Henri, maire de la commune pendant près de 50 ans, a joué un rôle actif dans la création de la station, au début des années 1970, pour enrayer l’exode rural et trouver des activités de report pour ceux qui ne pouvaient pas travailler la terre en hiver. Comme cela s’est fait à l’époque pour nombre de domaines skiables.

 

« Créée par les gens du pays pour les gens du pays » 

Quand l'intérêt commmun sauve une station de ski 9L’ensemble est pensé sans prétention, familial, convivial, à taille humaine. Une station « créée par les gens du pays pour les gens du pays », gérée par un GIE (groupement d’intérêt économique) constitué de jeunes villageois. Motivés, ils avaient acheté les parcelles de 40 propriétaires différents pour installer la structure sur un plateau qui s’y prêtait. Des doubles vocations étaient alors apparues : agriculteur-barman ou éleveur-hôtelier.

Le domaine skiable se développe au fil des années, finit par franchir la Brèche et devient Montclar-les 2 vallées, à cheval entre la vallée de la Blanche et la vallée de l’Ubaye. La station compte bientôt 5 000 lits, les résidences secondaires fleurissent, les habitués reviennent d’une année sur l’autre. La population locale passe de 260 à presque 500 habitants et le nombre de classes augmente à l’école primaire.

 

Les nuages noirs

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Mais voilà quatre ans, le ciel bleu de la carte postale se voile. La neige, moins abondante depuis quelques années, est l’alibi avancé par la nouvelle équipe municipale qui ne souhaite plus investir dans la station. Supprime le poste dédié à l’office de tourisme. Se désolidarise du projet de balnéothérapie. N’entretient plus les installations et équipements du domaine skiable. Le coup de grâce est donné par la chambre régionale des comptes qui, dans son rapport, évoque une station trop onéreuse.

Pour tous ceux qui vivent de l’économie du ski, c’est une catastrophe. Odile et Alain Quièvre, par exemple, ont investi près de 1,8 million d’euros dans une ancienne colonie de vacances dont ils ont fait un charmant hôtel 3 étoiles, ouvert en 2005. D’autres hôteliers, restaurateurs, loueurs et saisonniers sont impactés – soit 25 commerces et 300 équivalents temps plein. La résistance s’organise. Odile assure des permanences à l’office de tourisme. Les cerveaux s’activent, gambergent, conscients que la station ne présente pas grand intérêt pour des géants de l’exploitation comme La Compagnie des Alpes ou Labellemontagne. Quel plan B trouver ?

 

250 000 euros en 15 jours

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1ère assemblée générale, juillet 2017

Comme 50 ans plus tôt, la solidarité et l’intelligence collective vont jouer. Il faut trouver 250 000 euros pour tenter de remporter la délégation de service public (1) lancée en urgence par la préfecture. « Nous avons fait du porte-à-porte, sollicité tout le monde. C’est incroyable, en 15 jours, nous avons réuni 49 actionnaires et la somme voulue », raconte Odile Quièvre. Qui sont ces actionnaires qui ont mis au pot entre 5 000 et 30 000 euros ? Des habitants du village qui ont parfois emprunté, le pharmacien de La Seyne-les-Alpes, un notaire des environs, la commune voisine d’Ubaye-Serre-Ponçon via des subventions, « car des jeunes de chez Quand l'intérêt commmun sauve une station de skieux travaillent dans la station ». Mais aussi des habitués comme Laurent et Laurence Temim, qui vivent en région parisienne et fréquentent Montclar depuis dix ans. « Après avoir écumé toutes les grosses stations, nous avons découvert ce petit coin de paradis et y revenons hiver et été. Quand nous avons eu vent des difficultés de la station, il nous est apparu normal d’aider ceux avec qui nous avions sympathisé, hôteliers ou commerçants…, commente le cadre commercial. Même si notre engagement est paradoxal : comme tous les skieurs, nous préférons quand il n’y pas trop de monde, mais maintenant nous faisons le buzz ! »

 

Redistribution d’une partie des bénéfices

Quand l'intérêt commmun sauve une station de ski 8Et ils ont bien fait ! Le premier exercice, pour la saison 2017-18, s’est soldé par un chiffre d’affaires de 1,65 million d’euros (le seuil de rentabilité avait été fixé à 1,3 million) et un résultat net de 77 000 euros. Malgré les investissements pour remettre le domaine en état et l’équiper d’une nouvelle dameuse en leasing, de portiques ou de webcams. « Avec en prime une bonne surprise pour les salariés de la station puisqu’il était convenu qu’un tiers du résultat serait redistribué », se réjouit Alain Quièvre, président de la SAS Montclar Domaine Skiable. « C’est un travail d’équipe, une victoire collective, souffle-t-il. Ce n’est pas de tout repos, car nous restons quand même sur le fil du rasoir, avec juste de quoi amortir une mauvaise saison ». De fait, la nouvelle équipe n’a aucune prise sur l’enneigement, et le minimum nécessaire de 100 jours exploitables. Pour ce d♦sommes fiers d’avoir prouvé que c’était faisable ! » À telle enseigne que la préfecture suit attentivement l’expérience Montclar, car d’autres petites stations comme Le Sauze ou Allos sont à leur tour menacées.

 

Quand l'intérêt commmun sauve une station de ski 10(1)La DSP porte sur la gestion de sa station de ski et l’exploitation-maintenance de ses remontées mécaniques. Le contrat, d’une durée de 10 ans, a été conclu le 26 juillet 2017 avec la société Montclar Ski Développement et prévoit des investissements à la charge du délégataire. Cette DSP relève d’un programme de modernisation des équipements de la station (remplacement des enneigeurs et des réseaux hydrauliques, agrandissement d’une retenue collinaire…) avec le soutien de la région PACA, dans le cadre d’un contrat « Station de demain ».♦

 

Bonus

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  • La station de ski de Montclar culmine à 2 500 mètres et compte 50 km de pistes (33 pistes de tous niveaux, vertes, bleues, rouges et noires, principalement du bleu et du rouge). L’enneigement est désormais stable sur la partie basse de la station, grâce à de nouveaux canons à neige performants. Tout en haut, au fort de Dormillouse, le regard porte jusqu’au barrage de Serre-Ponçon.
  • Du lac collinaire récemment aménagé part une canalisation qui alimente un point d’eau pour les bêtes en alpage l’été.
  • Du locavore, oui ! La Ferme aux saveurs est une coopérative de produits du terroir : une trentaine d’agriculteurs et producteurs l’achalandent avec leurs spécialités et récoltes.