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Donner un peu de temps à ceux qui ne voient plus

Par Agathe Perrier, le 4 mars 2019

Journaliste

1,7 million de Français sont aveugles ou présentent des problèmes de vue. Un handicap de naissance ou qui survient brutalement, généralement avec l’âge. Cette rupture est souvent difficile à vivre au niveau personnel, à fortiori dans une société peu adaptée au handicap. L’association Valentin Haüy (prononcer « A-U-I ») en a fait son cheval de bataille depuis plus d’un siècle. Intriguée, je me suis rendue dans les locaux de l’antenne marseillaise.

 

Voir. Quoi de plus naturel pour le commun des mortels. Observer, contempler, admirer. Mais quand la réalité s’assombrit au fil des jours, il faut l’accepter, et en même temps s’adapter. « Il paraît qu’on n’est jamais complètement dans le noir », souffle Michèle, le regard perdu. Atteinte de DMLA, acronyme de Dégénérescence maculaire liée à l’âge, elle bascule petit à petit vers une pénombre inéluctable. Pour se préparer et s’acclimater, elle a adhéré depuis plusieurs années à l’association Valentin Haüy.

Créée il y a bientôt 121 ans, la branche marseillaise a été l’une des premières en région, neuf ans après la création de la maison-mère, à Paris. « Notre but est le même qu’au début de l’institution, à savoir aider les personnes malvoyantes et aveugles à sortir de leur isolement et devenir autonomes », explique Dominique de Garam, présidente de l’antenne marseillaise. De nombreuses activités de loisir sont ainsi proposées aux membres : sessions piscine, goûters littéraires, cours de gym, d’anglais, de relaxation… Mais aussi des formations en informatique et braille numérique, très demandées par les adhérents.

 

L’informatique pour gagner en autonomie

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Michèle suit des cours de numérique pour se familiariser avec les fonctionnalités de son smartphone dédiées aux déficients visuels © AP

Les cours d’informatique et de numérique, c’est justement la raison de la présence de Michèle dans les locaux de l’association ce mardi matin. « Je viens me familiariser davantage avec mon iPhone et avec les technologies parlantes », explique la sexagénaire. Une formatrice l’aide à apprivoiser les fonctionnalités de son smartphone spécialement dédiées aux déficients visuels. Une nécessité pour cette professeure de lettres retraitée, dont la situation s’est aggravée depuis le 31 décembre dernier. « Jusque-là, j’avais une certaine autonomie, mais elle s’est réduite. Je me suis réveillée un jour et j’étais toujours dans la pénombre alors que je venais d’allumer la lumière. C’est dur, mais il faut s’y faire ».

Pour son heure et demie d’apprentissage, Michèle débourse neuf euros par session, en plus de son adhésion annuelle de 30 euros. C’est l’une des rares activités payantes de la structure, justifiée par l’investissement matériel. « Ça coûte très cher. Heureusement on bénéficie de subventions des collectivités, comme le département des Bouches-du-Rhône et les mairies, mais 50% du prix reste à notre charge », précise Dominique de Garam.

Ces cours permettent d’améliorer la vie personnelle des aveugles et malvoyants mais également leur sphère professionnelle. Car certaines des formations dispensées par l’association peuvent être financées par Pôle Emploi ou la formation professionnelle des entreprises. À noter qu’en France, plus de la moitié des handicapés visuels sont au chômage. « C’est très difficile aujourd’hui pour une personne atteinte de cécité d’intégrer une entreprise, ou pour d’autres qui le deviennent, de garder leur poste. C’est un gros chantier sur lequel il faut se battre », pointe la présidente.

 

Le braille s’ouvre aussi au numérique

L’un des fondamentaux pour gagner en autonomie, selon Dominique de Garam, reste la maîtrise du braille. Raison pour laquelle les cours pour apprendre à le lire et à l’écrire sont très accessibles. Marie-Thérèse, adhérente de l’association depuis qu’elle a perdu la vue en 2000, s’y est mise il y a quelques années. Si l’apprentissage des lettres est plutôt rapide, seul l’entraînement régulier assure la progression. « Il faut s’y mettre un peu tous les jours. C’est pareil que lorsqu’on apprend à lire et à écrire à l’école, sauf que là, cela implique d’autres facultés que la vue », souligne-t-elle. Pour autant, seulement 15% des personnes aveugles l’utilisent. « Beaucoup considèrent aujourd’hui que les outils numériques, notamment les commandes vocales, sont suffisants », pointe Marie-Thérèse. Michèle, elle, ne s’est pas résolue à apprendre le braille. Amoureuse de littérature, elle tente d’assouvir sa soif de lecture en piochant dans la bibliothèque sonore de la structure. « Malheureusement, il n’y a pas beaucoup de littérature. Même dans les livres audio de l’Alcazar (ndlr : bibliothèque publique à Marseille) », regrette-t-elle, reconnaissant qu’elle est tout de même « un peu difficile ». L’offre peut toutefois être pointée du doigt lorsque l’on sait que seulement 7% des livres sont adaptés à l’usage des aveugles et malvoyants en France.

Sensibiliser la sociétéTendre la main à ceux qui ne voient pas

Certaines actions du réseau Valentin Haüy concernent aussi les voyants, notamment les jeunes. L’association intervient par exemple dans des collèges ou encore en écoles d’infirmières. « C’est intéressant dans le cadre de leur travail. On n’accoste pas une personne aveugle comme on aborderait n’importe qui ! Il faut apprendre à établir le contact sans faire peur », souligne Dominique de Garam. Un « petit guide pour ouvrir les yeux sur les aveugles et les malvoyants » a donc été édité, consultable sur le site national de l’organisation. Il y est expliqué comment s’adresser à eux, les aider ou encore se comporter dans tout un tas de situations différentes. Instructif.

L’association œuvre également pour que tous les établissements publics soient rendus accessibles aux déficients visuels. Et, encore une fois, sensibiliser les institutions sur le sujet. « L’avantage avec la déficience visuelle est que l’équipement de départ n’est pas spécialement onéreux. Par contre, s’il n’est pas intégré dès l’origine, le changement peut s’avérer coûteux ». La présidente prend en exemple les cabines d’ascenseur, où « il n’est pas difficile d’installer des boutons avec écriture en braille ». « Il y a beaucoup de choses à faire, c’est un travail gigantesque », reconnaît-elle, sans se sentir pour autant accablée.

 

Un réseau qui s’étend encore

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L’un des outils de sensibilisation de l’association : une palette de contraste, avec les couleurs à préférer intégrer dans les établissements publics pour permettre aux déficients visuels de mieux voir les écritures © AP

En 130 ans, l’association Valentin Haüy s’est installée dans une soixantaine de départements français. Dans les Bouches-du-Rhône, en plus de l’antenne marseillaise, on compte trois dépendances qui lui sont rattachées (Salon-de-Provence, Provence Verte et Aix-en-Provence). La dernière en date, l’aixoise, est opérationnelle depuis quelques semaines. « Ça se met en place doucement. On a pour l’instant une permanence une fois par mois dans des locaux où nous sommes hébergés et les adhérents organisent des événements en extérieur », met en avant Dominique de Garam. Comme, par exemple, des visites au musée Granet. Cet établissement, justement, met sur pied des visites adaptées aux personnes malvoyantes, avec la possibilité de toucher certaines œuvres ou reproductions directement avec les mains.

Prochaine étape, l’ouverture de correspondances à Martigues et Arles, où les besoins de structures comme Valentin Haüy sont plus qu’attendues. Mais il faut trouver des bénévoles (trop peu à Martigues) et des locaux (rien en vue à Arles). « Nous avons mis un an pour ouvrir celle d’Aix », relativise la présidente, montrant par là que l’attente ne lui fait pas peur. À terme, l’idée serait aussi de s’installer à Aubagne. Affaire à suivre. A.P.

 

Bonus

  • L’association marseillaise est toujours à la recherche de bénévoles. Pour plus d’informations, un mail : marseille@avh.asso.fr ou un appel : 04 91 37 47 90.
  • Depuis novembre 2018, l’antenne marseillaise Valentin Haüy dispose d’un magasin. Y sont vendus tout un tas d’appareils adaptés aux déficients visuels : réveil sonore et parlant, plaques à induction, balance de cuisine et autres thermomètre parlants, téléphone portable, loupe, téléviseur agrandisseur, jeux de société… Avec la possibilité de tester le matériel avant de l’acheter, d’autant plus utile que les prix sont souvent conséquents.
  • Qui était Valentin Haüy (1745-1822) ? Pédagogue, il est l’un des premiers à s’intéresser au devenir socio-culturel des aveugles. Il a fondé à Paris la première école pour aveugles, en 1785, devenue depuis l’Institut national des jeunes aveugles (INJA). Il a également mis au point leur matériel de lecture et s’est attaché à promouvoir leur insertion par le travail. L’association porte son nom mais a été fondée en 1889 par Maurice de La Sizeranne, ancien élève et professeur de l’INJA.