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Le cinéma, une fantastique porte d’entrée sur le monde arabe

Par Nathania Cahen, le 28 mars 2019

Journaliste

Le déjeuner, de Lucien Bourjeily.

 

En plus de donner du plaisir au spectateur cinéphile ou curieux, c’est un excellent moyen de rassembler tous les publics, par-delà les origines, milieux et identités. Pour ébaucher ce coriace vivre ensemble. L’association AFLAM l’a bien compris et milite dans ce sens, au moyen notamment d’un festival très riche. La 6e édition démarre justement lundi, prenez vos places !

 

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Delphine Leccas.

Les Rencontres internationales des cinémas arabes, c’est maintenant. Contrairement à nombre de festivals existants, pas de compétition à la clé, mais la présentation d’une quarantaine de films qui, bien souvent, n’auraient pas eu accès aux salles de la région. « C’est un petit festival, intervient Delphine Leccas, la directrice artistique. Mais avec un ancrage fort, et la volonté de permettre au public local de découvrir un cinéma qu’ils connaissent forcément peu ou mal car ce marché du film arabe peine à percer. De rencontrer des réalisateurs habités par leur amour du cinéma ». Les critères de sélection ? « Des films récents, esthétiques et artistiques. Engagés. Ce qui veut dire des propositions qui ne sont pas toujours faciles à défendre ». Par exemple ? « Par exemple « Le jour où j’ai perdu mon ombre », de Soudade Kaane, très confidentiel, qui évoque la guerre en Syrie, sans jamais la montrer. Nous ne donnons pas dans le tape-à l’œil. Nombre de films sont peu commerciaux car nos considérations ne sont pas celles des programmateurs traditionnels, et nous voulons donner une vision différente. Nous apprécions les regards sensibles, vrais, réalistes, sur des sujets d’actualité ». Rares sont les films comme « Mon cher enfant », de Mohamed Ben Attia, qui ont eu les honneurs de la presse et des grandes salles.

La famille et la séparation, des thèmes forts

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Of Fathers and sons @BASISBERLIN

Évidemment, beaucoup de sujets sont graves : guerre, djihad, condition de la femme ou familles déchirées sont des thèmes récurrents. Même sans thématique donnée, il s’en dessine toujours une en filigrane. Pour cette édition, c’est sans conteste la famille, dans sa dimension séparation notamment – le départ à la guerre, les pressions sociales, le tabou de l’homosexualité, la fuite vers l’Occident… La migration est un sujet brûlant, car peu de familles du monde arabe sont aujourd’hui épargnées. Chaque année, une fenêtre s’ouvre également sur un pays dans la séquence « Au-delà des frontières », consacrée cette année à la Bosnie. « Ça n’est pas un pays arabe, concède Delphine Leccas, mais son histoire récente, la reconstruction en cours apportent un écho, une profondeur à la situation de nombreux pays. Même si les modèles et les histoires ne sont jamais les mêmes. Quand on visionne les cinq films proposés, il n’est pas rare d’avoir l’impression de se trouver dans le monde arabe ». Et d’évoquer le film « Teret », (« La charge » pour la version française), long métrage dans le sillage de Vlada, chauffeur de poids-lourd qui, sur la route du Kosovo vers Belgrade, réalise la nature de son chargement : les corps de victimes de crimes de guerre commis par les forces serbes. « Cela interpelle forcément, résonne avec ce qui se passe en Syrie ».

 

Le pluriel, dans la forme comme dans le fond

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I signed the petition.

Il n’y a pas une mais des formes : long, court, doc, fiction, vidéo pour le genre expérimental, comme « I signed the petition » de Mahdi Fleifel – Kammerspiel (genre allemand qui favorise une atmosphère très intimiste) sans acteurs avec juste des voix sur les états d’âme d’un Palestinien qui a signé une pétition contre un concert de Radiohead en Israël… S’ajoute un hommage au réalisateur égyptien Youssef Chahine (1926-2008, auteur de quelque 35 longs métrages) dans la section « Un cinéaste, un parcours ».

Le festival regorge ainsi de propositions particulières, de pépites inédites, de regards en biais. Qui sont d’autant plus accessibles que les lieux de diffusion sont multiples et les tarifs plutôt petits (précisions en bonus).

Les occasions d’approcher réalisateurs et professionnels pour discuter ou échanger sont multiples. De nombreux débats succèdent aux projections. Des café-ciné et une master-class sont organisés ainsi qu’une journée d’échange sur la place des femmes dans le cinéma. Des passerelles particulières sont par ailleurs jetées entre le festival et les détenus de plusieurs prisons : sous forme d’ateliers audio avec l’association Lieux fictifs, qui développe des pratiques artistiques dont le sujet et le champ d’intervention sont la « frontière ». Différents films sélectionnés seront par ailleurs projetés, aux Baumettes notamment.

 

Un travail de fou pour les subventions

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SOFIA © Wiame Haddad.jpg

Delphine Leccas, qui vit à Athènes après 13 ans passés en Syrie, a pris la direction artistique d’AFLAM en 2016. Mais l’association date, elle, de 2000 et du désir d’un groupe de Marseillais enthousiastes, férus de cinéma et d’histoire, de faire connaître la diversité des cultures arabes à travers les œuvres de cinéastes du Maghreb, du Moyen-Orient et des diasporas arabes. Au-delà de la découverte, c’est un excellent moyen de rassembler tous les publics, quelles que soient les origines, milieux, et identités. De dépasser ces héritages pour façonner ce vivre ensemble si complexe.  À force d’espaces d’expression personnelle, de dialogues, d’ateliers, de Rencontres, L’ensemble reste toutefois fragile. « Chaque année, l’équipe se demande comment tenir, admet-elle. On n’imagine pas le travail de fou pour demander et trouver des subventions. C’est souvent périlleux car on s’engage en amont, parfois sans être sûrs d’avoir le budget. Mais toujours assorti de très beaux moments ».

Il ne faut surtout pas passer sous silence le précieux travail accompli par l’association Aflam en marge du festival. Dans son ADN, figure en bonne place la volonté d’intervenir tout au long de l’année au sein des quartiers, des établissements scolaires, et des centres sociaux afin de sensibiliser de nouveaux publics et surtout transmettre aux jeunes l’amour du cinéma.

Au total, entre les Rencontres et les interventions ou ateliers qui ponctuent le reste de l’année, Aflam totalise ainsi 10 000 spectateurs, 100 films, 60 bénévoles, 50 journées de projections et 40 réalisateurs. Une sacrée caravane ! ♦

 

Bonus

  • Le budget du festival se monte à 140 000 euros. Parmi les financeurs figurent la Région Sud-PACA, l’Unesco-Maghreb, l’Arab fund for arts and literature. Également des soutiens de différentes ambassades de France, des Instituts Français, l’Institut Goethe International (car de nombreux réalisateurs arabes vivent à Berlin) et le Mucem pour la coproduction.

 

  • Les rencontres se déroulent en différents lieux de Marseille : au Mucem tout d’abord, mais aussi au Gyptis, à la Baleine, au Vidéodrome, l’Alhambra, le Miroir à la Vieille Charité, le Polygone Etoilé. Les tarifs sont très abordables : pass de 4 séances à 20 euros. A l’unité, entre 4 et 6 euros.

 

 

  • Très intéressant, l’article sur AFLAM et les cinémas de Michel Serceau, écrit en 2012. Docteur d’État, ce dernier a enseigné le cinéma aux Universités de Paris 3, Paris 4, et Paris 10. Il est l’auteur de nombreux articles et de livres sur le cinéma.