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Coco Velten, c’est qui celle-là ?

Par Nathania Cahen, le 9 avril 2019

Journaliste

On est bien d’accord : dire que Coco Velten est un nouveau tiers-lieu ne rime pas à grand-chose. D’où l’idée d’éclairer vos lanternes sur l’origine et l’usage de ce labyrinthe de 5 000 qui ouvre ses portes pour trois ans, en plein cœur de Marseille. Je l’ai visité et rencontré les premiers locataires.

 

Coco Velten, c’est qui celle-là ? 5Procédons par ordre. Qu’est-ce qu’un tiers lieu ? Ce terme de sociologie désigne un lieu de sociabilité qui n’est, ni la demeure (le premier lieu) ni le lieu de travail (le second lieu). C’est un lieu de relation, de médiation et d’innovation, d’émergence pour des significations nouvelles (Laurence Dahan-Gaida, Logiques du tiers : littérature, culture, société, Presses Univ. Franche-Comté, 2007). En 1989, le sociologue américain Ray Oldenbourg le définit comme un lieu où l’on prend plaisir à se rassembler, où l’on tient des conversations, où l’on échange : agora publique ou privée, lavoir, ou café du commerce !

Coco Velten, c’est qui celle-là ? 2Sauf que celui-ci sème le trouble avec un cocktail spécial qui contient du logement, du bureau et tous les ingrédients cités plus hauts. Pour autant, Coco Velten n’est pas inconnu de tous puisque nous en avons parlé par bribes dans nos articles sur le Lab Zero et Yes We Camp, qui co-portent ce projet avec le groupe SOS et l’accélérateur Marseille Solutions. Son modèle, c’est Les Grands voisins, projet parisien qui a coché toutes les cases et attaque sa saison 2.

Coco Velten, c’est quoi ce nom ? Pour ceux qui ne connaissent pas Marseille, ou qui connaissent mais ne se baladent pas forcément du côté de la porte d’Aix, Velten est une rue qui porte le nom d’un Alsacien installé à Marseille, de la trempe des entrepreneurs sociaux (toute sa bio dans nos bonus). Et Coco, c’était pour donner du glamour au projet, un petit mot pour faire porte-voix. Quant aux locaux investis, il s’agit des anciens bureaux de la DIR (Direction interdépartementale des routes) Méditerranée.

Cet hiver, quand nous avions rencontré Marthe Pommié, directrice de la modernisation et des mutualisations à la Préfecture de région, elle avait évoqué un « espace intermédiaire mixant les usages et les publics. Site multi-usages, à même d’établir des ponts et de faire cohabiter bureaux, restaurant et quelque 80 chambres destinés à des SDF primo-résidents. Un labo à ciel ouvert, lieu de solidarités et d’expressions diverses ».

Dans le ventre de Coco Velten

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Yassine et Erick-Daniel Damagnez.

À l’invitation du groupe SOS, j’ai visité cette vaste chose. Nous avons commencé par la partie habitat social, une résidence hôtelière de 80 places. Se réclamant de la philosophie du “Logement d’abord”, Coco Velten permet la mise à l’abri immédiate d’hommes de femmes de tout âge, seuls, en couple ou en famille, accueillis dès leur sortie de rue et orientés vers un dispositif transitoire avant l’accès à un logement durable. « Mais sans fractionner le parcours avec une nuit en hébergement ici et la suivante ailleurs. C’est ici, tant qu’un vrai logement n’est pas attribué », insiste Erick-Daniel Damagnez, qui chapeaute la structure sociale. Priorité est donnée aux familles avec enfant, à la rue depuis peu. C’est Yassine, premier locataire du 2e étage, qui nous sert de guide. Il a 37 ans, est originaire d’Agadir, a connu moult galères, rue comprise. « C’est un rêve d’avoir un toit après une galère d’un an et demi. La chambre 8, c’est aujourd’hui mon paradis », confie-t-il tout en menant la visite, de chambres en espaces modulables, de la cuisine commune au salon partagé. Rien de tape à l’œil mais du fonctionnel : propretés, mise aux normes, un coup de peinture quand nécessaire et un mobilier disparate fait de dons et d’Emmaüs. « Il fallait faire du neuf avec du vieux, pour trois ans », explique la porte-parole du groupe SOS.

L’accompagnement repose sur « l’approche rétablissement » : permettre à la personne d’être actrice de son parcours et de faire ses propres choix. La mettre en capacité de construire son projet de vie global en mobilisant ses propres ressources. D’où un partenariat avec France Assos Santé, reposant sur le libre choix de la personne tout en encourageant les usagers de drogues ou d’alcool à arrêter de consommer de manière excessive. « Nous faisons du cousu-main. Et essayons surtout de les remettre au cœur de leur parcours », confirme Erick-Daniel Damagnez, qui chapeaute la structure sociale. « Si m’en sors, je laisserai la place à quelqu’un d’autre. Je ne suis pas le style qui reste sans rien faire », assure Yassine.

S’inscrire dans le projet global

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La Halle.

Passé une double porte, nous voici dans l’espace coworking. Plus de 90 candidatures ont été reçues pour les 40 espaces créés. Les start-ups, associations, scops ou artistes présentes ont été retenues pour ce qu’ils pouvaient apporter au projet global – « au lieu comme au quartier, propices à la mixité des usages. Et en fonction des besoins », informe Océane Vilbert, de Plateau Urbain, coopérative associée au projet. Chacun s’acquitte d’une redevance mensuelle de 10 euros/m² pour les charges (gaz, électricité, Internet) et l’animation de communauté. Parmi ces locataires, les associations Ancrages et Le Carillon, déjà évoquées dans Marcelle.

Entre deux niveaux, un ancien gymnase est devenu une « Halle » polyvalente pour des spectacles, des séminaires, des cours de yoga, bref de quoi faire appel d’air vers l’extérieur et amener de nouveaux usagers. Et une cantine, la Parchita (fruit de la passion en espagnol) ouvrira incessamment. De quoi vous mettre en appétit, non ? ♦

 

Bonus

  • Geoffroy Velten (1831-1915) s’installe à Marseille en 1848, où il travaille dans l’entreprise de son oncle, Coco Velten, c’est qui celle-là ? 6négociant et brasseur. En 1861, il fonde son propre établissement, à l’origine des Brasseries de la Méditerranée. Il fabrique également de la glace pour les navires de commerce et installe la première malterie pneumatique de France. Mais en 1881, il revend son entreprise pour se consacrer à la politique. Républicain militant, à l’instar de certains protestants réformés, il soutient la candidature de Gambetta en 1868. En 1870, il crée une caisse de secours destinée aux familles des soldats mobilisés par la guerre avec la Prusse, qu’il s’engage à alimenter à hauteur de 1 000 francs par mois durant la durée du conflit. Geoffroy Velten finance aussi les journaux républicains marseillais et participe, en 1876 et avec Clovis Hugues à la création de La Jeune République, première version du Petit Provençal (1880). En juillet 1880, il fonde Les Pionniers de l’avenir, une organisation de jeunesse à visées patriotique et militaire. Il a été conseiller municipal de Marseille et sénateur des Bouches-du-Rhône pour le parti Républicain radical.

 

  • En appui de la résidence sur site, un service de logements accompagnés, avec 60 appartements individuels, familiaux ou en colocation, répartis en diffus sur la ville de Marseille. En attente de financement, cette partie du projet n’est pas encore ouverte.

 

  • Les travaux ont été financés par l’État et la métropole. Le coût global de fonctionnement se montera à 600 000 euros annuels, dont deux-tiers pourraient être autofinancés par la location d’espaces, notamment pour le restaurant Parchita. Le reste sera du financement public, préfecture de région, Caisse des dépôts et consignations et Euroméditerranée.