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Les scientifiques du CEA jouent les Géo Trouvetou

 

Par Hervé Vaudoit, journaliste

Depuis 2016, le CEA de Cadarache promeut les solutions innovantes développées par les scientifiques maison lors d’un concours annuel d’invention, qui ne concerne pas que le nucléaire mais s’intéresse à toutes les énergies renouvelables. La 3e édition vient de livrer ses résultats, porteurs d’avenir et d’espoirs dans de nombreux domaines.

 

Sur le podium des plus importantes structures de recherche scientifique du pays, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) abrite une belle collection de génies. Certains déjà révélés, d’autres qui s’ignorent et ne demandent qu’à éclore, pour peu qu’on leur offre des conditions propices. C’est justement dans ce but qu’a été créé le concours « Trois minutes pour une invention », un rendez-vous lancé à Cadarache en 2016 et désormais ouvert à tous les collaborateurs du CEA – ils sont près de 16 000, dont 1400 doctorants et post-doc.

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Le show des lauréats du prix de la créativité.

L’idée de ce concours interne est non seulement de faire émerger des solutions applicables dans le domaine nucléaire et des énergies renouvelables, mais aussi d’encourager la créativité au sein de l’institution, pour multiplier les innovations et les dépôts de brevets qui feront l’industrie française et les revenus de demain. En 2018, plus de 700 demandes de brevets ont ainsi été déposés par le CEA et ses chercheurs auprès de l’Institut national de propriété intellectuelle (INPI), afin de protéger leurs trouvailles contre le pillage extérieur.

Cette année, 14 dossiers ont été retenus. Leurs 17 auteurs – 15 hommes et 2 femmes – ont eu trois minutes chrono, le 25 avril dernier, pour défendre leur innovation face à un jury d’experts et une grosse centaine de collaborateurs et d’invités du CEA, tous amenés à voter à la fin des présentations pour les deux inventions à leurs yeux les plus convaincantes. Deux directions du CEA, celles de l’énergie nucléaire et de la recherche fondamentale, se sont associées à Aix-Marseille Université pour l’organisation de l’édition 2019. Dans son discours d’ouverture, Jacques Vayron, nouveau directeur du site de Cadarache (il est en poste depuis le 1er avril), a rappelé que le CEA figurait, pour la 8e année consécutive, dans le Top 100 mondial des organismes et entreprises innovantes, un palmarès où figurent également, côté français, Airbus, Alstom, Safran, Total et Saint-Gobain, faisant ainsi le lien avec ce concours qui récompense les projets les plus novateurs et les plus prometteurs, parmi tous ceux qui germent dans les têtes bien faites des scientifiques maison. Pour étendre les effets stimulants de cette compétition intellectuelle, il a même souhaité que puisse être créé un salon des inventions issues des organismes de recherche publics. « Ce serait une bonne idée », a-t-il conclu avant le début des présentations, sur un mode voisin des fameuses conférences TedX chères aux start-upers.

 

And the winners are….

Au terme de ces 17×3 minutes, les lauréats ont été désignés.

Les scientifiques du CEA jouent à Géo Trouvetou 2Les deux dossiers élus par le public sont ceux portés par :

  • Damien Sorigue, qui a découvert les capacités d’une enzyme à induire chez certaines micro-algues la transformation de leurs acides gras en hydrocarbures sous l’effet de la lumière. Sur cette base, il a développé un procédé pour produire rapidement et à coût réduit des carburants « verts », sans consommer la moindre parcelle de terre agricole. Mises en culture dans des bacs translucides et exposées au soleil, les micro-algues ainsi dopées seraient capable de produire 10 litres de biocarburant par jour pour 100 m3 de solution circulant dans les bacs où elles se développent.
  • Dominique Lepeigneul, qui a mis au point un dispositif électronique capable de simuler une source radioactive dans les capteurs d’irradiation déployés sur toutes les installations nucléaires –plus de 900 recensés par exemple sur le site de Cadarache. Ces capteurs ont pour fonction de détecter toute fuite inopinée de radioactivité dans l’environnement et contiennent tous une source radioactive qu’il faut remplacer tous les 10 ans. À 1 000 euros pièce, leur remplacement par le dispositif électronique du lauréat, qui coûtera a priori moins cher et aura une durée de vie plus longue, permettrait de substantielles économies.

Les deux dossiers retenus par le jury d’experts sont ceux de :

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  • Sébastien Morilhat et Julien Trincal, qui ont développé un système de prévision des variations de niveaux qui affectent les nappes phréatiques, en fonction de la nature du sous-sol concerné et des prévisions météorologiques. Sans capteur ni dispositif particulier pour surveiller les nappes, le système des deux jeunes chercheurs serait capable de prédire avec exactitude les épisodes de remontée des eaux dans les nappes souterraines 72 heures avant qu’elles ne se produisent. Pour les bâtiments et les installations susceptibles d’être affectées par ces remontées, cela permettrait d’anticiper l’événement et d’en limiter, voire en annuler les conséquences.
  • Michel Havaux, qui a mis en évidence les propriétés très intéressantes d’une molécule présente naturellement dans les végétaux, l’acide béta-cyclocitritique. En étudiant cette substance que les plantes produisent en quantité infinitésimale, ce scientifique a observé qu’elle déclenchait des mécanismes de défense contre le manque d’eau chez les plantes auxquelles une dose supplémentaire de cette molécule avait été administrée au préalable. À l’heure du changement climatique et des périodes de sécheresse plus longues et plus intenses que l’on nous prédit à brève échéance, cette molécule pourrait aider les végétaux à mieux résister à la soif et permettre à l’agriculture de maintenir de bons rendements en dépit du manque d’eau.

Pour récompenser la présentation très originale d’une autre invention, en l’occurrence une mini caméra suffisamment petite et résistante pour être fixée sur la pince d’un télémanipulateur blindé, offrant un champ de vision plus précis et sans angle mort, le directeur de Cadarache, Jacques Vayron a décidé de décerner un prix supplémentaire, celui de la créativité, à François Gobin et Mickaël Gennisson, qui auraient pu songer à une carrière d’acteurs s’ils n’avaient pas fait le choix de la science. ♦