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[forêt #2] Décrocher le label « Forêt d’exception » est-il un atout ?

Par Hervé Vaudoit, le 2 août 2022

Journaliste

La Sainte-Baume @Angelina Blais ONF

Série d’été // Remarquables par leur composition et leur profil atypique, La Sainte-Baume et Boscodon sont les deux premiers – et seuls – massifs forestiers de la région à bénéficier d’une telle distinction. Une bonne ou une mauvaise nouvelle ?

[article initialement publié le 14/05/2019]

 

Au fil des siècles, elles ont miraculeusement échappé aux coupes sauvages, aux destructions et aux incendies qui ont toujours malmené la forêt méditerranéenne. Une singularité qui vaut aujourd’hui à la Sainte-Baume et Boscodon, deux forêts emblématiques de Provence-Alpes-Côte d’Azur, d’être classées « Forêt d’exception », un label que leur a décerné l’Office national des forêts (ONF) en septembre et novembre 2018.

 

Qu’est-ce qui justifie semblable distinction ?

La Sainte-Baume et Boscodon décrochent le label « Forêt d’exception » 5
@ONF

Pour la Sainte-Baume, c’est sa situation géographique particulière et la composition très originale de sa forêt qui a emporté la décision. Comme un îlot de fraîcheur et d’humidité perdu au milieu d’un territoire aride, elle abrite en effet des espèces végétales a priori inadaptées aux rigueurs du climat provençal. Hêtres, chênes et ifs plusieurs fois centenaires y côtoient ainsi houx, tilleuls et frênes. Là où on ne devrait pourtant trouver que du pin d’Alep, du pin parasol et de l’arbousier. Une forêt d’exception, donc.

Il est vrai qu’ici, aux confins du Var et des Bouches-du-Rhône, une barre rocheuse qui s’étale d’ouest en est sur une dizaine de kilomètres et d’abruptes falaises calcaires tournées vers le nord et hautes de 300 mètres offrent une protection très efficace contre le dessèchement. D’autant qu’au pied de ces falaises, une épaisse couche de terre argileuse et une pléiade de sources d’eau fraîche offrent à ces grands arbres les conditions idéales à leur développement.

Mais les caractéristiques naturelles du site n’expliquent pas tout. Les protections dont a bénéficié cette forêt à travers les siècles ont également joué un grand rôle dans la préservation de cette relique végétale parvenue quasiment intacte jusqu’à nous. Des protections à caractère religieux pour l’essentiel. Qui lui valent aujourd’hui ce statut de forêt d’exception.

 

Haut-lieu de pèlerinage chrétien et site sacré

Selon la légende, c’est en effet dans la célèbre grotte qui s’ouvre à flanc de falaise que Marie-Madeleine, premier témoin de la résurrection de Jésus-Christ, aurait passé les 30 dernières années de sa vie en recluse, après avoir commencé d’évangéliser la Provence. Dès le XIe siècle, cette grotte et les chemins pour y accéder devinrent un haut-lieu de pèlerinage pour les chrétiens, un site sacré où les coupes de bois étaient rigoureusement proscrites.

Au XIIIe siècle, Saint-Louis vint même en personne s’y recueillir, offrant alors aux 138 hectares de la forêt originelle la protection royale qui la préservera jusqu’à la révolution. C’est au cours de cette période qu’elle fut presque entièrement rasée, « à l’exception des ifs qui étaient déjà vieux et creux, souligne Grégory Dron, le technicien forestier de l’ONF attaché à la forêt domaniale de la Sainte-Baume. « Ces ifs sont les plus vieux arbres du massif, poursuit-il, et même si on ne peut pas les dater très précisément, il est plus que probable que certains  d’entre eux ont dépassé le millénaire, vu leur taille et leur diamètre. »

 

Des arbres de plus de 40 mètres

La Sainte-Baume et Boscodon décrochent le label « Forêt d’exception » 3
@ONF

Après la révolution, la forêt a retrouvé la paix. Les arbres ont pu à nouveau y grandir paisiblement. Jusqu’à dépasser aujourd’hui les 40 mètres pour les plus beaux spécimens. Les plus gros hêtres du massif datent d’ailleurs de cette époque-là. « Ces arbres vivent environ deux siècles à deux siècles et demi », poursuit Grégory Dron. Ce dernier a, entre autres missions, celle de permettre la régénération naturelle des espèces emblématiques de la Sainte-Baume.

À ce titre, l’ONF cherche également à tirer le meilleur parti génétique de cette forêt, histoire de préparer le futur de la forêt française dans son ensemble. « Ces hêtres sont implantés très au sud de leur aire de répartition naturelle », rappelle ainsi François Ferraina. Le responsable territorial des collines varoises à l’ONF précise que cette spécificité les a soumis à des écarts de températures très importants, de plus de 35° en été jusqu’à -15° ou – 20° en hiver, et à de longues périodes de sécheresse atmosphérique.

« Ce sont sans aucun doute les hêtres les mieux préparés aux changements climatiques », estime Grégory Dron. Il a donc récolté les graines de plusieurs d’entre eux pour les replanter dans d’autres massifs à titre expérimental. En prévision du réchauffement annoncé, justement. « Celui-ci à des petits dans la forêt domaniale de Verdun, indique le jeune technicien en passant devant un splendide spécimen âgé de plus de deux siècles,  au début du chemin dit « du canapé », un des plus connus – et un des plus courus – par les quelque 500 000 promeneurs, pèlerins, vététistes, pique-niqueurs et randonneurs qui fréquentent chaque année la Sainte-Baume.

 

♦ Lire aussi : Le bois alpin s’impose dans la construction en circuit court

 

Une abbaye pour ange gardien

La Sainte-Baume et Boscodon décrochent le label « Forêt d’exception » 4
Vallon de Castelette. @F.Ferraina /ONF

À Boscodon, ce n’est pas une grotte sacrée mais une abbaye qui a permis à la forêt environnante de se développer à la marge des massifs voisins, essentiellement composés de mélèzes et de pins. Peuplée de sapins plantés par les moines cénobites dès le XIIe siècle, cette forêt offre ainsi une biodiversité exceptionnelle pour un massif d’altitude et des sites naturels remarquablement préservés, comme la Fontaine de l’Ours, à plus de 1500 mètres d’altitude, et le vallon de Bargousse, où la géologie des lieux se lit comme sur les pages d’un livre.

Déjà très connues et fréquentées par le grand public, ces deux forêts vont, avec ce label, bénéficier d’une attention renouvelée et de protections renforcées, mais leur nouveau statut risque aussi de les soumettre à une pression plus forte de la part de visiteurs sensibles aux classements de ce type.

Autre danger dont on a mesuré ces derniers temps la réalité, les réseaux sociaux, qui permettent à un nombre considérable de gens d’échanger des informations diffusées jusqu’alors de façon quasi confidentielle. Le splendide vallon de Castelette, qui abrite les sources de l’Huveaune, dans le massif de la Sainte-Baume, a connu récemment un pic soudain de fréquentation, après la diffusion par des promeneurs de magnifiques photos d’un site pourtant excessivement fragile. Un nouveau défi à relever pour les protecteurs de la nature. ♦

 

Bonus

  • La Sainte-Baume et Boscodon décrochent le label « Forêt d’exception »
    Chemin du Canapé @F.Ferraina /ONF

    Créé en 2008 par l’ONF, le label « Forêt d’exception » a pour but d’identifier des forêts domaniales où la gestion a été particulièrement remarquable et où des actions de développement seront mises en œuvre. Il ne correspond donc pas à un nouveau statut de protection mais vise à concilier les objectifs de développement et de compétitivité de la filière bois avec la préservation et le renforcement de la protection du patrimoine (écosystèmes naturels), de l’histoire et de l’archéologie. Par ailleurs, l’objectif de cette politique Forêt d’Exception® est de constituer un réseau de référence en matière de gestion durable des forêts. Afin de faire de ces forêts labellisées des leviers du développement économique local.

 

  • Depuis 2008, 19 forêts, choisies parmi les forêts domaniales gérées par l’ONF sur l’ensemble du territoire, sont officiellement engagées dans la démarche Forêt d’Exception®. On peut citer entre autres la forêt de Fontainebleau, 1ère labellisation « forêt d’exception » en juin 2013. Plus récemment, en janvier dernier, la Martinique et ses forêts du Nord, celle de la Montagne pelée et des Pitons du Carbet, l’ont également été.

 

  • Gérées par l’ONF, les forêts publiques couvrent 4,6 millions d’hectares en métropole et 8 millions en Outre-Mer. En métropole, elles représentent un quart des forêts, le reste appartenant à des privés. Une partie de ces forêts publiques est incluse dans le réseau Natura 2000 qui vise à protéger les oiseaux et les habitats.