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La scolarisation des enfants roms, une cause comme une autre ?

Par Nathania Cahen, le 15 mai 2019

Journaliste

L’association marseillaise L’école au présent de Jane Bouvier a reçu le 14 mai un trophée et un prix spécial des Lauriers régionaux de la Fondation de France. Une belle récompense pour cette pasionaria chouchoutée par les médias, qui a su faire de la communication le fer de lance de sa cause. Et mis un cartable sur le dos de quelque 400 enfants roms.

 

La scolarisation des enfants Roms, une cause plus difficile qu'une autre ? 4
@Fondation de France

Fixer un rendez-vous avec Jane Bouvier n’est pas une mince affaire et passe par quelques SMS : « Je récupère une fratrie de 3 fillettes sourdes à la Belle-de-Mai à 8h, on a rdv pour des bilans et préadmissions à l’institut Les Hirondelles de 8:45 à 12h. L’après-midi je vais voir un spectacle sur une enfant rom dans une école à la Corderie ». « J’ai un rdv à Handimômes à 11:15 pour une enfant que j’accompagne depuis des années et qui entre en ULIS 3ème. Je cherche une solution pour elle, pour l’après collège. Je pense que je serai dispo vers 13:30 car je dois déposer la famille sur squat à Saint Antoine après le rdv ». Regard doux mais volonté d’airain. Ses journée surchargées démarrent à fond de cale dès qu’elle a déposé sa fille au collège, s’interrompent à l’heure de la récupérer en fin d’après-midi, pour reprendre après 21 heures, avec les mails et dossiers traités depuis la maison.

La scolarisation des enfants Roms, une cause plus difficile qu'une autre ? 1Et cela fait bientôt six ans que cela dure. Jane Bouvier – de mère et de naissance anglaises, puis enfance, adolescence, études et première vie professionnelle à Bruxelles, mais un mari français – s’est installée à Marseille à l’âge de 30 ans et y a d’abord travaillé comme psychologue clinicienne. En 2012, un fait divers sordide fait dévier sa trajectoire : des habitants de la cité marseillaise des Créneaux mettent le feu au squat de Roms voisin. « Les propos tenus par les riverains et certains élus m’ont ulcérée. J’ai ressenti le besoin urgent de faire quelque chose ». Elle rejoint un collectif solidaire, participe à la réquisition d’une caserne. Elle fait remarquer que les enfants ne sont pas scolarisés et que c’est une priorité ? On lui répond « fais-le », et depuis elle ne fait plus que cela. Grâce à son association L’École au présent, plus de 400 enfants Roms ont ainsi pris le chemin de l’école. Elle est aujourd’hui rompue à l’exercice, maîtrise parfaitement les phases administratives (« mener à bien une inscription sans adresse ni numéro de sécu, se battre pour la gratuité à la cantine sans justificatif ni RSA… »), sait à quelles portes frapper, salue l’efficacité de la mairie et ne tarit pas d’éloges sur tous les enseignants fabuleux qu’elle a rencontrés. Évidemment, elle est sollicitée par des familles autres que Roms, mais se concentre sur cette population d’un bon millier de personnes « parce que personne ne s’en occupe vraiment et qu’ils ont besoin d’être accompagnés vers le droit commun ». Elle rappelle aussi qu’aller à l’école sous-entend « rendre l’école possible » : convaincre les familles, assurer le suivi sanitaire et scolaire, mettre les parents qui sont en capacité sur les rails de l’emploi…

 

Le coffre ras bord de fournitures scolaires et de vêtements

Idéaliste et déterminée, ces deux traits de caractère la portent dans son road trip quotidien, quand elle sillonne Marseille la voiture chargée d’enfants et parfois de parents, le coffre rempli à ras bord de fournitures scolaires ou de sacs de vêtements récupérés ici et là (en la suivant sur Facebook vous connaîtrez en temps réel les besoins des familles ainsi que ses états d’âme et coups de gueule).

La scolarisation des enfants Roms, une cause plus difficile qu'une autre ? 2Au fil des errances et des démembrements de squats, elle s’efforce de ne pas perdre de vue les gamins, aujourd’hui répartis dans 26 lieux différents, dont certains comptent 250 personnes quand d’autres abritent une seule famille. Elle a connu de belles histoires. Comme celle de Dorina, SDF en Roumanie puis à Marseille, où elle a longtemps squatté les abords de la gare avec ses trois enfants. « C’était les seuls SDF de Marseille avec des enfants scolarisés. L’école maternelle Parmentier, extraordinaire, était devenue leur phare ». Et puis Dorina a accepté d’être accompagnée vers l’emploi, et après six mois à l’ADAP 13 « et un coup de fil pour me dire qu’elle était fantastique », elle a été embauchée par la Régie 13. Depuis, sa famille et elle ont un logement. Mais Jane Bouvier connaît des histoires moins belles, sordides, « parce que la misère y conduit ». Elle-même reçoit régulièrement des menaces, qui augmentent après un passage à la télé ou un article dans la presse. « Le rejet des Roms est tenace, ancré. Ces gens sont vraiment déshumanisés. Ce ne sont pas mes amis, mais je les aime ».

« Je veux faire à ma manière »

La scolarisation des enfants Roms, une cause plus difficile qu'une autre ? 3Pourquoi ne pas travailler avec d’autres bénévoles, s’entourer ? « Je n’ai pas le temps de faire de la gestion de personnes, sourit-elle. Je veux faire à ma manière, prendre le temps d’écouter, de comprendre, de répondre aux appels, même le soir ou le week-end. Faire en sorte que les gens aient le sentiment d’être respectés, reconnus ». Mais elle a un réseau, qui compte la fondation OM dans ses rangs mais aussi un Benoît Bouchier, ancien ingénieur EDF qui accompagne les adultes vers l’emploi puisque, depuis 2014, Roumains et Bulgares peuvent travailler librement dans l’ensemble de l’Union européenne, des associations relais comme l’Ampil (Action méditerranéenne pour l’insertion sociale par le logement). Et des subventions, allouées par la fondation Abbé Pierre, la Fondation de France et une fondation internationale mais discrète. « Pas de fonds publics, je ne veux pas renoncer à ma liberté et à mon indépendance ».

À la fin de notre entretien, Jane Bouvier consulte son téléphone. Une myriade de SMS se déroule. Dorina, comme beaucoup d’autres, parents et enfants, lui envoient chaque jour des SMS : un cœur, un émoticon, un message vocal, la photo d’un document qu’elle doit lire et expliquer… Et plusieurs messages d’une école où un enfant ne s’est pas présenté. Elle doit déjà filer, il faut rappeler la directrice, et récupérer sa petite princesse au collège. ♦

 

Bonus

  • À paris, à l’initiative d’Anina Ciuciu (première femme Rom candidate au sénat en France), le collectif École pour tous a vu le jour pour défendre les droits de TOUS les enfants.
  • Les besoins de l’École au présent. Aux dons financiers, Jane Bouvier préfère des fournitures scolaires, des trousses remplies ou des kits brosses-à-dents/dentifrice. Pour prendre contact avec elle : lecoleaupresent@gmail.com