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Coexister, mouvement laïque actif, fait de la différence une richesse commune

Par Marie Le Marois, le 22 mai 2019

Journaliste

Ensemble, ils sont allés à la mosquée Malaval et à l’abbaye Saint-Victor, ils ont trié des denrées pour la Banque Alimentaire et visité une exposition sur les écritures bouddhiques. Pâques, Aïd et Yom Kippour sont à chaque fois pour eux une belle occasion de faire la fête. Eux ? Des jeunes de 15 à 35 ans, juifs, chrétiens, musulmans, athées, agnostiques… qui œuvrent pour une coexistence active par le biais du dialogue, de la sensibilisation et de la solidarité.

 

Leurs objectifs ? Créer des liens entre les communautés, casser les préjugés fondés sur la méconnaissance et la peur, favoriser le ‘’vivre ensemble’’ et la paix. Un dimanche matin, j’ai retrouvé le groupe de Marseille en présence du rabbin Michel Liebermann, dans sa synagogue. Un échange riche qui s’est prolongé par un pique-nique partagé au parc Borély.

Qui a dit que la différence était nuisible ? La preuve que non avec Coexister, mouvement laïque et actif 2L’image est forte. Deux musulmanes voilées sont assises devant le rabbin, toutes ouïes à ce qu’il raconte. Elles ne sont pas les seules, une trentaine de personnes se sont déplacées pour cette rencontre inédite. Des personnes de convictions différentes.Avant de pénétrer dans ce lieu de culte, les hommes ont revêtu la kippa. Moi aussi d’ailleurs, par ignorance. En fait, il y a de nombreux aspects du judaïsme que j’ignorais. Et j’ai pu questionner sans tabou le rabbin. Ashkénaze, fils de rescapé, révolté par le repli et modéré, partisan de l’ouverture interreligieuse – « ma maison est une maison de prière pour tous » -, Michel Liebermann nous explique ce que sont le shabbat, les trois prières journalières, le casher et le hallal, la raison pour laquelle les juifs ne mangent pas de cochon et ne mélangent pas la viande avec le lacté, le lien entre Torah, Évangiles et Coran. Mais aussi l’eau comme symbole de purification dans plusieurs religions. Enhardie, je me risque à souligner que le carême, le ramadan et Yom Kippour sont tous des périodes de jeûne, lien confirmé par le religieux. L’ambiance est studieuse mais le rabbin, plein d’humour, nous fait rire à plusieurs reprises, notamment lorsqu’il évoque ses séminaires interreligieux où l’on sert végétarien pour éviter tout impair.

 

Dialogue, Sensibilisation et Solidarité : les trois axes de Coexister

Qui a dit que la différence était nuisible ? La preuve que non avec Coexister, mouvement laïque et actifCet échange de deux heures tire à sa fin. Clic-clac, une photo est prise avec Coexister Marseille et l’association EMD (Étudiants Musulmans de France), partenaire de cette journée ‘’Dialogue’’, un des trois axes de Coexister qui permet de découvrir la conviction de l’autre. Sabrina, l’une des deux musulmanes voilées, est venue « sans préjugés », curieuse de connaître la religion judaïque et consciente que « nous avons tous le même Dieu, mais chacun son interprétation ». Et Soraya, 20 ans comme elle, d’ajouter : « nous sommes tous frères d’humanité ».

Toutes deux rejoignent le pique-nique au Parc Borély. Point de garçons, « mais il y en a bien ! », lâche Sarah, 22 ans, membre de Coexister depuis plus de trois ans. Née d’un père musulman et d’une mère catholique – tous deux pratiquants –, elle a fréquenté une école catholique avant de rejoindre le groupe de dialogue interreligieux de Gap puis Coexister à Marseille, en même temps que ses études de maths. « Mon identité, c’est le multiculturalisme ! »

 

Auriane, déiste : « la coexistence me parle beaucoup plus que les religions elles-mêmes »

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En première ligne, Laura, Sarah et Camille. En seconde ligne, Sabrina, une amie, Auriane et Pauline.

Autour d’une salade composée, le groupe partage ses impressions sur l’échange avec le rabbin. Sarah a retenu que l’interdiction du cochon chez les juifs était liée non pas à l’histoire de ce peuple mais « juste » au fait que cet animal n’est pas un ruminant. « Il faut que je demande à mon père si c’est la même raison chez les musulmans ».

À ses côtés, Auriane, 18 ans, des parents athées, une enfance protestante avec les Éclaireurs de France et déiste aujourd’hui. Elle croit en l’existence d’un Dieu en dehors de toute religion, « la coexistence me parle beaucoup plus que les religions que je trouve de plus en plus fermées ». Laura, elle, est agnostique, « plus en mode : je ne sais pas, je ne me prononce pas ». Cette responsable de Coexister Marseille, actuellement en service civique au CRIJ et autoentrepreneuse dans la vidéo, estime ne pas avoir la connaissance nécessaire pour se positionner. Quant à Amélie, issue d’une famille catholique, « baptisée par tradition », elle a rejoint Coexister après un voyage humanitaire en Israël, où elle a œuvré aux côtés de juifs et de musulmans.

 

S’ouvrir aux convictions de l’autre et enrichir les siennes

Créé à Paris il y a dix ans, ce mouvement laïque a essaimé en France avec 45 groupes dont certains à Avignon, Aix, Toulon et Marseille. Ici, personne ne fait de prosélytisme. C’est le contraire qui se produit : en s’interrogeant sur sa propre pratique, chacun renforce sa croyance ou sa non-croyance. Et change son regard sur l’autre, sa différence. Un levier nécessaire pour combattre préjugés et à priori, entrer dans le dialogue et l’action. « Ne pas se comprendre amène beaucoup de malentendus. Si l’on se connaît, coexister est plus facile », souligne Pauline, agnostique, étudiante en sociologie politique. Elle a créé une page Instagram Crois-moi ou pas, sur laquelle elle explique pratiques religieuses, rites, récits d’origine… « Pour comprendre l’Aïd, par exemple, il faut décoder l’histoire d’Abraham qui a préféré sacrifier son mouton plutôt que son fils ».

Une famille catholique pratiquante, un grand-père juif, Pauline a vécu neuf mois en colocation avec des étudiants musulmans. Son intérêt pour les religions est né d’une prise de conscience : le lien entre les trois religions monothéistes, toutes abrahamiques.

 

La différence est une richesse

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Visite à la mosquée Malaval

De toutes les différences, peut-on lire sur le site de Coexister, la diversité religieuse, philosophique et spirituelle est l’une des plus taboue, complexe et instrumentalisée. Cette diversité, lorsqu’elle est mal comprise peut être source de discriminations et de marginalisation. Elle est bien souvent perçue comme négative.

Or, elle peut être au contraire une richesse. Samuel Grzybowski, catholique pratiquant et cofondateur de Coexister France, ne cesse de le marteler, comme il l’a fait lors du TEDxVaugirardRoad, ‘’Peut-on vivre ensemble quand on a des religions différentes?’’ : « Pour permettre un véritable équilibre et une harmonie entre les personnes profondément différentes, il faut apprendre à gérer ses paradoxes , entre l’identité et l’altérité, l’unité et la diversité, la ressemblance et la différence, le commun et le singulier, les racines et les branches ».

 

Sensibilisation : démonter les idées reçues et mettre en avant les similitudes

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Sensibilisation dans un lycée.

Solidarité et Sensibilisation sont les deux autres axes de Coexister. La solidarité, pour manifester au-delà de la diversité leur union au service de la société. La sensibilisation, pour diffuser un message de coexistence, bien plus fort et positif que tolérance : « pour nous, tolérance voudrait dire : ‘’je te tolère mais je t’ignore’’. Alors que la coexistence, c’est plutôt ‘’tu es différent et ça m’intéresse, vivons ensemble !’’ », précise Laura.

Les coexistants, après avoir été formés, interviennent dans des collèges et lycées. Ils tentent de répondre aux nombreuses questions que les ados se posent sur les trois religions monothéistes, démonter les idées reçues et mettre en avant les similitudes (il y en a tellement !). Leur faire comprendre, par exemple, qu’on peut être arabe et chrétien, que 80% des musulmans ne sont pas arabes, que les musulmans peuvent manger casher (mais pas l’inverse), que Noël n’est pas lié au Père Noël mais à la naissance du Christ…

Parfois, les élèves posent des questions auxquelles les coexistants n’ont pas de réponse, comme de savoir si Hitler était croyant ou pas. Il arrive également que des sensibilisations se déroulent dans des centres sociaux comme celui de Mazargues, auprès des femmes. Un moment où elles ont pu aborder sexualité, voile ou autres sujets, sans tabou.

 

Donner son sang

Qui a dit que la différence était nuisible ? La preuve que non avec Coexister, mouvement laïque et actif 11Depuis sa création en 2011, Coexister Marseille a connu des hauts et des bas. Les problèmes ne sont pas liés aux convictions, « quand on rejoint le mouvement, on est d’emblée coexistant », précise Sarah. Non, ils sont d’ordre personnel, une histoire de place et de positionnement au sein du groupe. Comme toute association, en somme.

Et comme toute association également, il leur est difficile de trouver des bénévoles. « Résultat, on n’est pas aussi actif qu’on devrait l’être », se désole la responsable de Coexister Marseille. Aujourd’hui, comme les autres membres du groupe, elle se mobilise pour une belle opération : ‘’Ensemble à SANG %’’. À l’occasion de la semaine de la fraternité, musulmans, chrétiens, non croyants donnent leur sang. Le même sang. ♦

 

Bonus

  • Coexister Marseille est hébergée par le CCFD (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement)
  • Née en 2009, à l’initiative de Samuel Grzybowski, jeune catholique alors âgé de 16 ans, «Coexister» constitue aujourd’hui une association forte de 1 800 adhérents et 600 membres actifs, répartis dans 25 grandes villes françaises. Chaque semaine, elle accueille de nouveaux jeunes qui s’engagent à porter ses messages et à assumer les nombreuses responsabilités liées à la création d’une nouvelle antenne dans leur région. Elle a remporté le prix ‘’La France s’engage’’ en 2015. Pour connaître l’origine de Coexister, reportage ici.
  • Pourquoi ‘’mouvement interconvictionnel’’ et pas ‘’interreligieux’’ ? Car il y a des athées et agnostiques dans les groupes. Pourquoi faut-il avoir entre 15 et 35 ans ? Car c’est un mouvement de jeunesse, convaincu que les jeunes peuvent agir dès aujourd’hui sur la société.