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Du sur-mesure vers l’emploi pour les jeunes de trois cités sinistrées

Par Marie Le Marois, le 30 mai 2019

Journaliste

Depuis deux ans, Julie arpente les cages d’escalier à la rencontre des 13-30 ans et cherche des dispositifs ajustés pour les conduire vers l’emploi. Cette trentenaire énergique est l’un des trois ‘’boosters’’ déployés sur trois cités pilotes dont le taux de chômage avoisine les 40%. Porté par Apprentis d’Auteuil, le projet Impact Jeunes (détaillé dans les bonus) fait du sur-mesure .

 

J’ai retrouvé Julie aux pieds de la barre de la cité des Lauriers qui se dresse sur treize étages dans le 13e à Marseille. Cette ingénieure de formation, passée par Centrale Marseille, m’invite à la suivre dans sa mission de ‘’booster’’. Elle a beau avoir marché vingt minutes pour relier Le Cloître (où se nichent ses bureaux) à la cité des Lauriers, elle ne se départ pas ni de son sourire ni de sa vigueur. Il en faut pour tisser le plus finement possible un maillage pour chaque jeune : comprendre ses besoins, ses freins, ses projets, l’informer des dispositifs existants (formations, aides, opportunités d’emploi…). Et trouver la bonne solution en faisant intervenir les acteurs locaux (associations, services publics…). Le spectre des profils est large : du décrocheur qui veut reprendre ses études à l’étudiant en Master, en passant par le jeune en situation de handicap ou la mère de famille qui cherche du travail. Julie est également chargée de mobiliser les entreprises désireuses d’agir à différents niveaux : stages collégiens, coaching recherche d’emploi ou, le Graal, recrutement.

 

440 jeunes suivis par Julie

13 h 30. La première étape de l’après-midi pour Julie est de faire le point avec l’équipe de MassaJobs, un de ses précieux partenaires installé dans la Maison Bernadette (voir Bonus) en contrebas de la Cité des Lauriers. « Ils représentent une ressource inestimable, c’est avec eux que j’ai frappé aux portes pour rencontrer les jeunes ». Eux lui apportent leur connaissance de la cité et elle, son lien étroit avec les institutions comme Pôle Emploi. Ils accompagnent les jeunes dans la durée. Julie, elle, leur apporte sa maîtrise des dispositifs et son réseau d’entreprises. Sur les 440 jeunes que suit actuellement la jeune femme, 272 vivent aux Lauriers, les autres aux Oliviers A, une autre cité du quartier Malpassé, aujourd’hui coupée par la rocade L2.

 

Des solutions sur mesure
Impact Jeunes : du sur-mesure vers l'emploi 5
Julie avec Benoît de MassaJobs à la Maison Bernadette

Avec Benoît, un des accompagnateurs à l’emploi de MassaJobs, Julie passe en revue la trentaine de jeunes qu’ils suivent ensemble. Quelques exemples : K.* ne passe pas le cap de l’inscription à Pôle Emploi, Benoît va l’accompagner dans cette démarche. Une entreprise est prête à prendre A. en alternance mais il doit améliorer sa moyenne au troisième trimestre, surtout en maths, Julie va lui proposer d’intégrer ses cours de soutien scolaire. H. cherche du boulot, Julie va le mettre en lien avec Transdev qui cherche des chauffeurs-livreurs. G. veut développer un ketchup à la sauce comorienne, Julie propose qu’il suive la prochaine session Déclic chez Inter-Made, pour tester ses idées. M. a intégré Acta Vista et ça se passe super bien. Des Terminales galèrent avec Parcoursup, Julie, qui s’est formée à l’Onisep, va les aider. T. a complètement décroché, Benoît continue à lui proposer des rendez-vous même s’il ne vient pas, « comme ça, le jour où il en aura vraiment besoin, on sera là ».

 

Une étroite collaboration avec les acteurs locaux

15 h. La seconde étape pour Julie passe par le Centre Social de Malpassé où l’attendent Aboubakar du MOVE (Mobilisation Orientation Vers l’Emploi) et Maurice de la Mission Locale. Avec eux, elle travaille également « main dans la main » et échange « les bons tuyaux ». À nouveau, cette pugnace ouvre ses tableaux Excel, déroule les noms, dégaine une solution. Elle propose pour A. un BP JEPS (Brevet Professionnel Jeunesse, Éducation Populaire et Sport) dans un centre de formation qui vient d’ouvrir et dont elle a justement entendu parler la veille. Pour K., un tutorat avec l’Institut Télémaque qui vient de s’installer à Marseille. Pour L., un suivi au sein de Parcours d’Avenir proposé par l’AFPA. Et pour C., SKOLA, un dispositif d’insertion par les métiers de la vente proposé par… Apprentis d’Auteuil.

 

Bichonner les entreprises et booster les jeunes
Impact Jeunes : du sur-mesure vers l'emploi 3
Julie avec Aboubakar au Centre Social Malpassé

Les opportunités que déniche Julie ne ‘’matchent’’ pas toujours avec les jeunes. Le stage qu’elle avait trouvé pour untel ne correspondait pas finalement à ce qu’il cherchait. Il faut savoir« bichonner l’entreprise » pour qu’elle continue la collaboration et booster les jeunes qui manquent de motivation. Une double casquette que Julie gère aisément. Elle n’hésite pas, par exemple, à donner son numéro de téléphone et à user de Facebook et Snapchat pour être au plus près des jeunes. « Mais aucun n’en abuse ».

Le rendez-vous avec Aboubakar se termine par l’évocation d’une session recherche de job d’été proposée par Kamal, qui est en apprentissage avec Julie en parallèle de son Master 1 ‘’Intervention et développement social’’. L’idée de ce natif des Lauriers ? Accompagner un groupe de jeunes pour se présenter auprès des commerces du centre-ville. MassaJobs et MOVE sont de la partie pour les former en amont aux techniques de recherche d’emploi.

 

Des liens étroits avec les collèges du quartier

Citons en vrac les autres actions de Julie. La création d’un groupe de réflexion avec des lycéennes, mené par une animatrice sur la question de ‘’l’orientation professionnelle quand on est une fille’’. Sont intervenues notamment la webmaster de l’OM, une Second Maître Sapeur Pompier et la responsable des Tables de Cana. L’objet ? Lever les freins qu’elles peuvent avoir, particulièrement dans les cités. Les filles ont même tourné un film qui sera diffusé fin juin pour leurs familles. Aux collèges Renoir et Rostand, Julie a proposé aux troisièmes de créer une micro-entreprise Eco Déco : ils ont réalisé de l’Upcycling* avec des gourdes de jus de fruit. Impact Jeunes a offert la machine à coudre et les bénéfices ont été versés à l’Internat de la fondation Apprentis d’Auteuil. Elle a également impulsé un forum sur la Ville de Demain avec Les Petits Débrouillards. « À travers ça, fait découvrir les métiers d’architecte, d‘urbaniste, de la gestion de l’eau… ».

 

Des cours de soutien scolaire pour les post bac
Impact Jeunes : du sur-mesure vers l'emploi 4
Aicha et Ramy, étudiants accompagnés par Impact Jeunes

16 h. Julie revient à la Maison Bernadette pour aider Aïcha, étudiante en fac de droit. Elle vient de réussir les écrits de Sciences Po et souhaite être aidée pour les oraux. Quant à Ramy, il est en fac de bio et aimerait profiter de la passerelle pour basculer en médecine, il a besoin de travailler son CV. Ces deux jeunes font partie des ‘’Numéros 10’’, projet incubé par Apprentis d’Auteuil (voir bonus).

17 h. Julie rend visite à un jeune de la Cité des Oliviers A qui ne peut pas se déplacer. Avant d’animer un groupe de soutien scolaire pour les post bac au collège Rostand qui lui prête une salle. La jeune femme est inépuisable. Elle envisage même d’organiser à nouveau un dîner de rupture de jeûne avec la Maison Bernadette. « Les parents, qui étaient venus à reculons la dernière fois, nous ont demandé de recommencer ! » Inépuisable, vraiment. ♦

 

*ou surcycling : récupération d’objets ou de matériaux dont on n’a plus l’usage pour les transformer en objets de qualité supérieure

 

Bonus
Impact Jeunes : du sur-mesure vers l'emploi
Les trois boosters d’Impact Jeunes : Julie aux Lauriers/Oliviers A, Ismail à Tarascon et Lucille à Félix Pyat
  • Cela fait deux ans qu’Impact jeunes, projet porté par Apprentis d’Auteuil et lauréat du Programme Investissement d’Avenir (PIA) est sur les rails. Soutenue par une centaine de partenaires (État, collectivités locales, chambres consulaires, fondations…), l’idée est de fédérer tous ces acteurs autour de la réussite professionnelle des jeunes des quartiers, à l’image du programme américain Harlem Children’s Zone.

« Avec du sur mesure, de quoi les accompagner qu’ils soient proches ou éloignés de l’emploi, motivés ou pas trop. Et avec l’implication des entreprises du secteur », précise la coordinatrice du programme, Nathalie Gatellier. Pas de saupoudrage mais une démarche inégalitariste assumée puisque trois quartiers pilotes ont été choisis : Saint-Mauront (cité Félix Pyat) et Malpassé (cités les Lauriers et les Oliviers) pour Marseille, ainsi que Tarascon. Sur les 2 000 jeunes de 13 à 30 ans identifiés sur ces sites, près de 800 ont été véritablement approchés. « Nous souhaitons capter les invisibles, les démotivés, les décrocheurs pour les valoriser, leur ouvrir un champ de possibles et monter un projet professionnel. Beaucoup d’entre eux ont des talents qu’ils ignorent. Avec un coup de pouce et de la motivation, ils peuvent s’en sortir, même s’ils vivent avec des parents au chômage et toute une fratrie dans 50 ! ».

Également pistés, les hauts potentiels, orientés vers « L’école des n°10 » (le numéro du tee-shirt de Zidane) afin qu’ils puissent devenir ce qu’ils portent en eux.

 

  • Le budget pour cette première phase se monte à 3 millions d’euros sur trois ans, abondés par l’État et les collectivités. C’est beaucoup à première vue. Mais la somme devient relative quand on sait qu’un « neets » (jeune sans emploi, sans diplôme et sans formation) coûte 12 000 euros par an à la collectivité, soit une économie de 600 000 euros sur ces premiers 18 mois grâce à la dynamique collective Impact jeunes.

La phase d’essaimage interviendra en 2020, sur d’autres sites sélectionnés à travers les Bouches-du-Rhône, après appel à manifestation d’intérêt.