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Des produits locaux et de saison jusqu’à la cantine

Par Agathe Perrier, le 11 juin 2019

Journaliste

Les cantines et collectivités aussi adoptent peu à peu la cuisine locale et de saison. La plateforme AgriLocal facilite le contact avec les producteurs locaux. C’est meilleur, et dans les assiettes, et pour la planète !

 

À Mallemort, au nord des Bouches-du-Rhône, la station expérimentale arboricole La Pugère (voir bonus) cultive prunes, pommes et poires sur neuf hectares. Dans un rayon de 20 kilomètres alentour, on compte une bonne vingtaine de collèges, lycées, écoles ou encore maisons de retraite. Pourtant, jusqu’à il y a encore trois ans, la ferme maraîchère ne fournissait aucun de ces établissements. « Je n’avais jamais essayé de répondre à un de leurs appels d’offres, c’était trop compliqué », souffle Éric Delareux, responsable de l’exploitation. Il faut dire que pour fournir en matières premières des restaurants collectifs, de nombreuses règles doivent être respectées.

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Éric Delareux, responsable de la station expérimentale arboricole La Pugère, adhérente au réseau AgriLocal © AP

La première d’entre elles : l’obligation pour ces structures de passer par un processus de marché public. Difficile pour un producteur d’y répondre, aussi bien en termes administratifs que techniques : les lots sont souvent globaux, quand un agriculteur est généralement spécialisé (fruits et légumes, viande, produits laitiers…). Résultat : seuls les industriels se positionnaient sur ces appels d’offre. Et conséquence : les repas à la cantine, et en restauration collective globalement, étaient boudés par les enfants et sévèrement critiqués. Mais ça, c’était avant ! Car depuis juillet 2013, la plateforme AgriLocal a changé la donne en facilitant la mise en relation entre restaurants collectifs et producteurs locaux, pour les amener à travailler ensemble.

 

Créer du lien entre acheteurs et producteurs

Tout est parti d’une initiative presque de chez nous. AgriLocal a été lancé par les départements de la Drôme et du Puy-de-Dôme. Pour rappel, ce sont ces institutions qui ont en charge la gestion des collèges et de leurs cantines – celles des écoles élémentaires et primaires étant sous tutelle des mairies tandis que celles lycées dépendent des régions. « On est partis de l’objectif de garantir des repas de qualité dans toute la restauration collective », se souvient Jean-Yves Gouttebel, coprésident d’AgriLocal. Pour celui qui est aussi président du Conseil départemental du Puy-de-Dôme, cela consistait à rapprocher les gestionnaires de restaurants collectifs des cultivateurs, pour mettre en place des circuits courts. « Cela représente un double avantage : la garantie de la qualité des produits, puisqu’on connaît les fournisseurs, et une dimension développement durable car on évite les transports importants », ajoute-t-il.

Mais comment résoudre le problème de la mise en concurrence obligatoire pour les marchés de restauration collective ? Avec une plateforme simple d’utilisation, où les acheteurs posteraient leurs commandes, et où les producteurs et les industriels pourraient répondre en quelques clics. « Les premiers indiquent les quantités dont ils ont besoin, par exemple 50 kg de pommes, et le temps laissé aux seconds pour répondre. Ils doivent aussi préciser quels sont leurs critères de choix pour une totale transparence », explique Nicolas Portas, directeur d’AgriLocal. Grâce au critère de la proximité, les fournisseurs locaux tirent facilement leur épingle du jeu face aux industriels.

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Un tiers des départements français adhérents

Aujourd’hui, près de 2 000 acheteurs et 3 500 producteurs de 36 départements font partie du réseau au niveau national. Ils sont respectivement 68 et 117 dans les Bouches-du-Rhône, territoire adhérent depuis janvier 2017. Pourquoi « si peu » ? « On est en phase de croissance. Jusqu’à présent, on n’a pas fait de démarches pour inciter les départements à adhérer, ce sont eux qui sont venus nous voir », tempère Jean-Yves Gouttebel. Car il faut impérativement qu’un Conseil départemental adhère au dispositif pour qu’il puisse se déployer sur son périmètre. Seule cette institution peut ouvrir le service en ligne de marchés publics. Et, pour qu’il fonctionne, des restaurants collectifs et des producteurs doivent être prêts à l’utiliser, l’outil informatique seul n’ayant pas d’utilité. Ce qui induit de changer quelques habitudes et dépasser des préjugés souvent bien ancrés.

 

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Jean-Yves Gouttebel et Nicolas Portas, co-président et directeur d’AgriLocal, aux côtés des membres de l’association et des arboriculteurs de La Pugère © AP

« Y’a pas de volumes et c’est plus cher ! »

Pour beaucoup, traiter avec un agriculteur est synonyme de coûts plus élevés. Les faits prouvent toutefois le contraire. « Les producteurs peuvent être très compétitifs sur certains produits par rapport à des industriels. On peut en plus garantir à un restaurant collectif un prix identique pendant plusieurs mois », met en avant Éric Delareux, l’arboriculteur de l’exploitation La Pugère. Et Nicolas Portas d’ajouter : « Même si le prix unitaire est parfois plus élevé, une denrée issue d’un fournisseur local est entièrement valorisée contrairement à celle d’un industriel où il y a plus de pertes. Donc les établissements commandent moins et jettent aussi moins ».

Faire tomber les préjugés est un travail long et fastidieux. Des animateurs à temps plein – généralement un par département – en sont chargés. Pour aider les producteurs à se positionner sur les appels d’offres, mais également faire changer les habitudes des acheteurs. « D’ordinaire, ils adressent une seule commande comprenant tout ce dont ils ont besoin pour les repas (fruits, légumes, viandes, laitages, etc). On aiguille donc les gestionnaires des cantines pour qu’ils fassent des achats différenciés. En prenant aussi en compte l’offre qui se trouve près de chez eux », précise Nicolas Portas. Dans le Puy-de-Dôme par exemple, les besoins en viande et produits laitiers peuvent être assurés par les producteurs. Ce qui n’est pas le cas pour les fruits et légumes. « Pour ces produits-là, on conseille aux établissements de continuer à se fournir comme ils le faisaient auparavant. Leur intérêt est de travailler sur les groupements d’achat pour ce qui n’existe pas localement, mais d’en sortir pour ce qui peut être approvisionné près de chez eux ».

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La carte des producteurs d’AgriLocal dans les Bouches-du-Rhône.

Encore des freins à lever

Les premières années après l’adhésion au réseau sont celles du rodage. Et avec elles, leur lot de « problèmes techniques ». On est encore en plein dedans du côté des Bouches-du-Rhône puisqu’il faut environ trois ans pour que le rythme de croisière soit atteint. Les commandes se font encore au coup par coup, alors que les producteurs souhaiteraient du long terme pour plus de garanties et une meilleure organisation. « Ça marche comme ça au début, c’est une sorte de période d’essai pour rassurer les acheteurs et les agriculteurs », mesure Nicolas Portas.

Pour l’arboriculteur Éric Delareux, la difficulté est également de trouver une tournée « cohérente ». « En dessous de 50 à 60 kg de fruits à distribuer, dans un ou plusieurs établissements, ce n’est pas rentable. Jusqu’à présent je m’adapte. Quand je livre un acheteur pour la première fois, je fais des efforts, quitte à ne pas être rentable tout de suite, pour installer une confiance. Mais c’est un travail fatigant et de longue haleine », confie-t-il. Pour le moment, seulement 1% de la production de la station expérimentale part dans le réseau AgriLocal. Une goutte d’eau. Mais le producteur est optimiste. « Ça se développe et je veux faire partie des premiers à y contribuer. Je suis content de savoir ce que mangent les enfants, et notamment mon fils qui est au collège d’à côté. Encore plus quand ce sont mes pommes ! ». Comme pour tout, il faut bien des pionniers pour débroussailler les sentiers. Sentiers qui deviendront, un jour, des chemins de réussite. ♦

 

*— Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité, mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et soutenir l’engagement de Marcelle – le Média de Solutions —

 

Bonus

  • L’accès à la plateforme est entièrement gratuit pour les acheteurs et les fournisseurs. Indispensable pour les inciter à s’y inscrire. Les départements doivent par contre payer une adhésion annuelle de 2 000€ (à laquelle s’ajoute une part variable en fonction du nombre d’habitants), ce qui permet de payer les coûts informatiques. Les animateurs sont également payés par les conseils départementaux.
  • La Pugère, une station « expérimentale » ? Outre la culture d’amandes, prunes, poires et pommes sur une totalité de 11,5 hectares – dont 30% en bio – le domaine mène des tests pour répondre aux besoins des professionnels. « On doit anticiper la demande future des producteurs pour leur apporter les solutions dès qu’un problème apparaît », explique Éric Delareux. De nouvelles variétés de fruits naissent ici, certaines plus résistantes que les actuelles ou plus goûteuses. De nouvelles techniques de cultures y sont aussi testées.
  • L’association AgriLocal a mis en place des trophées pour récompenser les acteurs inscrits dans la démarche. Après les fournisseurs en novembre 2018, ce sont les acheteurs qui ont été mis en lumière ce 6 juin 2019. La cérémonie nationale s’est déroulée à Marseille. Sur 46 candidatures, cinq établissements ont reçu un prix : le collège Anne Frank de Miribel (01), le lycée Jean Moulin de Pézenas (34), la cuisine centrale de la ville d’Avignon (84), la résidence de la Miotte de Belfort (90) et le village vacances la Châtaignerie de Maurs-la-Jolie (15).
  • Certaines cantines scolaires ne font pas appel à AgriLocal et proposent tout de même des repas à base de produits locaux, autant que faire se peut. C’est le cas par exemple à Mouans-Sartoux (06) qui dispose d’une régie agricole pour fournir ses trois écoles primaires en légumes (à hauteur de 85% de ses besoins). Au total, 70% des denrées proviennent des régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et du Piémont tout proche. À noter également que les écoliers de Mouans-Sartoux profitent de repas 100% bio à la cantine depuis 2012. Cela représente chaque année 152 000 repas. Pour comparaison, à Marseille, 50 000 repas à la cantine sont servis quotidiennement. Dupliquer le modèle de Mouans-Sartoux relève donc d’un vrai challenge pour les grandes villes.