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Les papillons, un baromètre de la biodiversité urbaine 

Par Agathe Perrier, le 3 août 2021

Journaliste

Image par Susanne Jutzeler, suju-foto de Pixabay

[relire] Niché entre les quartiers de Sainte-Marthe et Saint-Jérôme, au nord de Marseille, le parc urbain des papillons est un labo à ciel ouvert. Il a notamment mis en évidence que laisser faire la nature permet de voir arriver de nouvelles espèces de lépidoptères… Premier volet de notre série dédiée aux petites bêtes qui attestent de la bonne santé de nos espaces verts.

 

On connaît tous l’histoire des quartiers nord de Marseille qui, avant de voir érigées ses nombreuses cités, étaient le lieu de villégiature des bourgeois du centre-ville. Ces derniers prenaient du repos dans leurs belles bastides, entourées de jardins arborés et de terres agricoles. Une carte postale aujourd’hui disparue… ou presque. Du côté du Merlan, la bastide de Montgolfier a survécu au temps – et à l’urbanisation (voir bonus). Mieux encore, ses terrains ont aussi été sauvegardés, et certains ont retrouvé leur utilité d’antan puisqu’une ferme pédagogique y est installée. Et c’est sur un petit hectare, sur les douze que compte le site, que le Parc Urbain des Papillons (PUP) a été créé en 2012, d’abord dans un but de recherche.

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Magali Deschamps-Cottin, écologue au sein du LPED (Laboratoire Population – Environnement – Développement) et à l’origine du Parc Urbain des Papillons de Marseille © AP

 

Une redistribution des espèces

Le projet résulte d’une thèse menée à partir de 2008 à Marseille, par Marie-Hélène Lizée, une jeune chercheuse en sciences de l’environnement. Magali Deschamps-Cottin, écologue au sein du LPED (Laboratoire Population – Environnement – Développement) et à l’origine du PUP, en explique les raisons : « Cette thèse a montré qu’il y avait moins d’espèces de papillons dans les espaces verts du centre-ville de Marseille qu’en périphérie. Et, surtout, que l’on perdait les espèces méditerranéennes. On y trouvait principalement des espèces très généralistes, présentes dans toute la France. On a donc voulu savoir pourquoi ».

Car, rappelons-le, les papillons sont d’excellents indicateurs biologiques. La disparition des insectes était-elle liée à la multiplication des bâtiments ? À un manque de ressources alimentaires ? À une gestion des parcs non compatible avec la vie des lépidoptères ? Des questions auxquelles les scientifiques ont voulu avoir des réponses.

 

Des études préalables 

Les recherches démarrent donc en 2008, soit quatre ans avant la création du PUP. Elles ont d’abord consisté en un échantillonnage de toutes les espèces de papillons présentes dans les parcs urbains de Marseille : 44 ont été trouvées, contre 144 dans les Bouches-du-Rhône et 250 en France. Cette opération, jusqu’alors inédite, se répète depuis tous les deux ans.

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Les papillons sont capturés pendant une heure maximum pour être identifiés, avant d’être relâchés © AP

Comment les chercheurs procèdent-ils pour réaliser ce comptage au PUP ? « On capture les insectes pendant une heure, on les identifie, puis on les relâche », explique Magali Deschamps-Cottin. Pour ce faire, ils utilisent des filets à papillons. Ils les attrapent ensuite délicatement par leur thorax, à la naissance des ailes. Puis les immobilisent dans des « papillotes », des fines feuilles de papier dans lesquels ils tiennent en place sans se blesser. Il ne faut d’ailleurs jamais enfermer un papillon dans une boîte, même celles vendues exprès dans le commerce. Car les lépidoptères vont voler à l’intérieur, taper contre les parois et abîmer leurs ailes, ce qui peut leur être fatal.

 

 

Un lieu aménagé au goût des papillons

En 2010, un échantillonnage est également réalisé à l’emplacement du futur parc : 17 espèces de papillons sont dénombrées sur ces terrains qui se trouvaient à l’état naturel. Deux ans plus tard, ils changent de physionomie avec les aménagements dédiés : « On a érigé des massifs avec des plantes florifères et nectarifères comme des valérianes, du romarin, du thym, de l’origan… Ce sont des essences très attractives pour les papillons, dont certaines fleurissent au printemps, à l’été et à l’automne, de sorte qu’il y en ait toute l’année », précise l’écologue.

Cinq massifs sont irrigués quand le reste n’est jamais arrosé. On trouve des plantes sèches, méditerranéennes, exotiques. Des herbes hautes ainsi que des poteaux élevés, car les papillons aiment se poser en hauteur et observer. Mais aussi des zones d’ombre où ils peuvent se cacher, et des zones ensoleillées pour qu’ils puissent se réchauffer.

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Le parc urbain des papillons s’étend sur un hectare du côté du quartier du Merlan © AP
Deux fois plus d’espèces au PUP

Sept ans après les premières installations, le bilan est positif puisque de 17 espèces de papillons, le PUP est passé à 31. Sur cette petite trentaine, six seulement ont été au rendez-vous chaque année. Les autres ont été comptabilisées par intermittence. Rien d’alarmant pour autant. L’objectif des chercheurs est que les 44 espèces recensées dans les espaces verts marseillais s’installent au PUP. « On a attiré pas mal d’espèces grâce à nos pratiques, dont cinq ou six méditerranéennes. Certaines sont toutes proches d’ici, mais toutes ne viennent pas encore car elles ont besoin d’habitats diversifiés », constate Magali Deschamps-Cottin. Pas de quoi désespérer les scientifiques. Le pacha à deux queues par exemple, attendu depuis les débuts du parc, n’a montré le bout de ses antennes qu’en août 2018. Alors que son essence favorite, l’arbousier, a été plantée en 2012 ! « Les papillons n’arrivent pas du jour au lendemain, il faut être patient », sourit la chercheuse.

 

Moins d’arrosage, moins d’espèces ?

A contrario, dans les espaces verts de Marseille, les résultats des échantillonnages bisannuels se sont révélés surprenants. « On a constaté une diminution du nombre des espèces, y compris chez ceux passés en gestion différenciée (ndlr : mode d’entretien plus écologique et respectueux de l’environnement) », souligne Magali Deschamps-Cottin. Une baisse qui pourrait s’expliquer par le fait qu’il y ait moins d’arrosage et donc moins de fleurs. Mais tout reste à étudier.

Face à tous ces constats, le LPED souhaite désormais déployer le dispositif du PUP dans une partie des parcs marseillais. « Cela nous permettrait de voir si on peut attirer plus d’espèces. On sait qu’on ne peut pas le dupliquer exactement de la même manière, mais on peut l’envisager dans quelques zones de différents jardins municipaux », met en avant l’écologue. Des plantations spécifiques devraient être installées cet hiver. Peut-être le premier pas vers le développement futur du PUP dans les parcs marseillais ?

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© AP – Source : LPED
Sensibiliser et former

Le PUP a d’autres casquettes que celle de terrain de recherche. Il sert également de lieu de formation pour les élèves du lycée d’aménagement paysager des Calanques, qui en assurent l’entretien. Une trentaine de futurs gestionnaires d’espaces verts s’y forment chaque année. Ils y découvrent comment une gestion différenciée et raisonnée peut préserver la biodiversité et favoriser l’implantation et le maintien de la nature urbaine.

Le parc a la forme d’un parcours informatif, accessible aux visiteurs. C’est le collectif d’artistes marcheurs-cueilleurs Safi qui en a eu la charge. Des panneaux se dressent au niveau des massifs pour décrire les papillons qu’ils attirent, les bons gestes à avoir sont détaillés, des plaquettes de présentation distribuées.

Depuis son aménagement en 2012, 3 464 personnes sont venues au PUP. Inutile toutefois de prévoir d’y faire un tour le week-end prochain. Il n’ouvre que quelques jours par an et à de rares occasions. Première à regretter que la fenêtre soit aussi étroite, Magali Deschamps-Cottin espère qu’une personne sera pleinement dédiée au site pour qu’il ouvre au moins quatre mois par an.  ♦

*article publié le 25 juin 2019
Les insectes, baromètre de la biodiversité urbaine : les papillons
Le parc a la forme d’un parcours informatif pour les visiteurs © AP
Bonus 
  • Le PUP a pu voir le jour grâce à un mécénat de 24 000 euros de GrDF, ce qui a permis la création du parc et le suivi scientifique des trois premières années. Le terrain d’un hectare est mis à la disposition du LPED par la ville de Marseille, qui fournit également l’eau nécessaire à l’irrigation. L’association Proserpine, pionnière dans la réalisation de jardins à papillons, aidée de Jean-Pierre Vesco, horticulteur spécialiste dans l’élevage des lépidoptères, ont sélectionné et fourni les espèces végétales qui ont été plantées.
  • Le domaine de la Tour des Pins, où se trouve le PUP, s’étend sur 12 hectares. On y trouve la Bastide de Montgolfier, construite au milieu du 19e siècle, inscrite partiellement au titre des monuments historiques depuis 1993. Les parties concernées sont les façades et les toitures de l’ensemble, le parc paysager ainsi que les moulins et le belvédère. L’extérieur de la bastide a été rénové à l’été 2018. C’est l’une des dernières bastides marseillaises encore entourée de son terrain arboré, qui se compose notamment de cyprès chauves, magnolias, ginkos, ifs, cèdres ou encore tilleuls. Un parc municipal devrait y voir le jour, d’après une délibération adoptée par le Conseil municipal de février 2012. Sept ans après, le projet et les travaux se font toujours attendre.
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La bastide de Montgolfier, après sa rénovation de l’été 2018 © AP
  • Le Laboratoire Population – Environnement – Développement. Il est rattaché à l’Observatoire des sciences de l’institut PYTHEAS d’Aix-Marseille Université et au département sociétés et mondialisation de l’Institut de recherche pour le développement. Ses chercheurs travaillent sur les questions de population, d’environnement et de développement et sur leurs interactions réciproques.
  • D’autres parcs des papillons existent en France. À Digne-les-Bains (04) se trouve par exemple le Sentier des Papillons, créé par l’association Proserpine. Des restanques anciennement cultivées accueillent une végétation mixte alpine et méditerranéenne qui accueille 139 espèces de papillons. Il est accessible au public de mi-avril à mi-septembre. Un Jardin des papillons existe aussi à Flassans-sur-Issole (83) au parc de l’Aoubré, non loin de la commune du Luc, un Jardin des découvertes, la ferme aux papillons à Die (26) entre Gap et Valence, ou encore un Jardin des papillons exotiques vivants à Hunawihr (68) près de Colmar.
  • Pour attirer les papillons dans son jardin. Il faut laisser faire la nature, bannir les pesticides, favoriser les plantes locales, diversifier les variétés, jouer sur les couleurs (de fleurs notamment), avoir des zones d’ombre et de soleil.