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Mobilité partagée pour les petits trajets ? Chiche !

Par Rémi Baldy, le 8 juillet 2019

Journaliste

Offrir un moyen de mobilité partagé, efficace, et plus écologique, c’est l’idée de Totem Mobi. Depuis 2015, la start-up a déployé dans Marseille plus d’une centaine de petites voitures électriques. Mais pour se développer et concrétiser ses projets, elle a besoin de financeurs.

Mettre fin à la double peine. C’est ce qui a poussé Emmanuelle Champaud à se lancer dans le défi de la mobilité partagée en créant Totem Mobi, une solution de location de voitures électriques en libre-service. « J’hésitais entre plusieurs secteurs liés à l’écologie. Mais celui de la mobilité pose deux problèmes avec l’hyper pollution en ville et les embouteillages. Certaines choses apportent un confort en échange d’une nuisance, mais là ce n’est vraiment pas le cas. C’est pour cela que j’ai décidé de m’orienter vers la mobilité partagée », explique-t-elle. En bonne ex-gérante d’une agence Havas, elle note : « Il fallait mettre du marketing dans l’écologie pour rendre cela plus attirant ».

Totem Mobi espère démocratiser la mobilité partagée des petits trajets 1L’aventure Totem Mobi débute donc en 2013 à Marseille avec Cyrille Estrade, cofondateur. Une ville-laboratoire idéale : des transports en commun régulièrement critiqués, un titre de ville la plus embouteillée de France et une pollution importante à l’image de l’épisode que vient de connaître la cité phocéenne. Pour Emmanuelle Champaud, le pari est clair : « Demain il y aura plusieurs modes de transport, nous ne voulons pas tout prendre, seulement le dernier kilomètre avec une solution de qualité ». L’idée est donc de proposer des véhicules pour réaliser des courtes distances en milieu urbain. Là où l’usage des transports en commun est loin d’être un réflexe. En effet, selon l’Insee au moins les trois-quarts des trajets de plus de 5 kilomètres entre le domicile et le travail se font… en voiture individuelle. Le type de distances qui tombe parfaitement dans la cible de Totem Mobi.

Pour se concentrer sur les courtes distances, cela passe par des véhicules adaptés. Les 184 voitures qui circulent sur le bitume phocéen sont des Twizy de Renault. Étroites, disposant de deux places l’une derrière l’autre, avec des ouvertures en guise de fenêtres, le modèle n’est pas conventionnel. « On n’imagine pas vraiment les utiliser pour une longue distance ou aller chercher un meuble », sourit Emmanuelle Champaud. Les Autolib’ parisiennes disposaient par exemple d’un coffre et proposaient même des modèles « utilitaires ».

 

À Montpellier, l’expérience a tourné court

Pour débloquer une Twizy, il faut compter un euro puis chaque quart d’heure de trajet coûte un euro de plus. Comme il est possible de garer les voitures sur n’importe quelle place -légale- de stationnement, les gentils conducteurs qui les déposent à des bornes de chargement se voient offrir du temps de trajet. Un moyen de garder les véhicules chargés. Ce sont ensuite dix salariés qui s’occupent de faire tout fonctionner. « L’une de nos grandes difficultés est le vandalisme, nous perdons quasiment un véhicule par mois depuis un an », regrette Emmanuelle Champaud. Si les Twizy ne terminent pas dans l’eau, à l’instar de beaucoup de trottinettes, elles peuvent subir des dégradations à cause d’une conduite trop rapide ou être dégradées si elles sont mal garées. « Nous avons un accéléromètre qui contrôle la conduite et rappelle à l’ordre le conducteur, avance la dirigeante. Nous avons également une vingtaine d’ambassadeurs : des clients engagés qui vont par exemple déplacer une voiture s’ils voient que son stationnement gêne ».

Après une expérience réussie à Marseille, où Totem Mobi est à l’équilibre financièrement, la société marseillaise a tenté de s’exporter. À Montpellier d’abord, avec 30 voitures lancées en juillet dernier. Mais un an après, les Twizy quittent l’Hérault. Au grand dam de certains utilisateurs puisqu’une pétition en ligne pour soutenir Totem Mobi compte près de 5 000 signatures. « Il y avait déjà des bornes, mais pas dans des endroits très dynamiques, explique Emmanuelle Champaud. Et pour être visible, il faut venir avec beaucoup de véhicules ». 

Toujours l’été dernier, Paris a lancé un appel d’offres pour des solutions de mobilité partagée. Intéressée, Totem Mobi n’a pourtant pas pu monter à la capitale faute d’investisseurs. « Trouver des financeurs est clairement la plus grande difficulté que je rencontre », souffle l’entrepreneuse. Il faut dire que le marché n’a pas encore trouvé de modèle économique stable, à l’image de ce qui est arrivé aux Autolib’ à Paris (lire en bonus). L’arrivée des trottinettes électriques risque-t-elle de mettre à mal les voitures ? « Cela peut-être un concurrent sur les trajets très courts, mais je trouve que c’est plutôt positif car cela vulgarise la mobilité partagée », juge-t-elle encore.

 

Vers un déploiement métropolitain

« La difficulté de cette activité est qu’elle demande beaucoup de cash, explique Emmanuelle Champaud. Il faut deux ans de pertes avant d’être à l’équilibre ». Pour financer l’activité à ses débuts, la dirigeante a fait « tout le parcours des start-ups avec des business angels et des fonds d’investissement ». En 2017, elle a levé 1,35 million d’euros auprès de la Caisse des dépôts (un million d’euros), PACA Investissement (200 000 euros) et la Banque Populaire Méditerranée (150 000 euros).

Aujourd’hui, Totem Mobi génère un chiffre d’affaires de 600 000 euros et fait évoluer son Totem Mobi espère démocratiser la mobilité partagée des petits trajetsmodèle économique. À l’image de la nouvelle borne qui vient de sortir de terre à Marseille, au pied de la nouvelle résidence des Docks Libres et du métro National, fruit d’une collaboration avec Nexity. « L’intérêt pour eux est de rendre leur programme immobilier plus attractif et, pour nous, de toucher leurs salariés car leurs bureaux sont tout proches », note Emmanuelle Champaud. D’autres collaborations de ce type sont dans les tuyaux, dont une prochaine à La Ciotat qui, avec Avignon, accueillera les Twizy dans le courant de l’année.

Emmanuelle Champaud espère se développer rapidement en créant une société coopérative d’intérêt collectif avec comme partenaire la Métropole. « L’idée serait de cogérer le déploiement avec plus de souplesse qu’une délégation de service public », détaille-t-elle. Cela signifie que la Métropole choisirait des lieux où installer les bornes et les voitures, à charge ensuite de Totem Mobi de les gérer. Totem Mobi mise aussi sur la vente de sa technologie. « Nous sommes maintenant très orientés plateforme », explique la dirigeante. La solution de la société marseillaise est la seule qui fonctionne avec des Twizy, qui ne sont pas chères pour des voitures électriques ce qui les rend donc attractives. Au CEA de Grenoble, les salariés se déplacent désormais en Twizy et ont tous téléchargé l’application Totem Mobi… ♦

 

À quoi peut ressembler une start-up sociale ? 5

* — RushOnGame, parrain de la rubrique « Économie », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité, mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Nos mécènes espèrent vous donner envie de vous abonner pour lire et soutenir l’engagement de Marcelle, le Média de Solutions —

 

Bonus – Pour les abonnés –

  •  293,7 millions d’euros. C’est la perte qu’aurait accusé le service Autolib’ à Paris. Le groupe Bolloré, exploitant du service de voitures électriques partagées déployé en 2011, l’avait prédit mais… pour l’année 2023. Finalement la flotte de 3 000 voitures a quitté les rues de la capitale dès l’été dernier faute de rentabilité. Le pari avait été fait que les utilisateurs, qui était 100 000 lors de l’arrêt, suffiraient pour atteindre l’équilibre. Mais la hausse de la demande ne s’est pas traduite par une hausse de l’offre de véhicules, entraînant des difficultés de disponibilité sur une flotte de plus en plus dégradée. L’arrivée des scooters en libre-service et le développement des VTC a également réduit le nombre de locations. Un cas emblématique jetant le froid sur la rentabilité de l’activité.

 

  • Pourtant, il existe bel et bien un acteur de l’autopartage qui parvient à être rentable. Il se trouve en Suisse et existe depuis 1997. Il s’agit de My Mobility qui compte près de 3 000 véhicules de toutes tailles avec des stations situées sur les points multimodaux, pour inciter à utiliser les voitures. Mais le modèle comporte des restrictions fortes, à commencer par l’obligation pour le conducteur de ramener le véhicule à son point de départ, même si des essais sans emplacement fixe sont en cours. Enfin, seulement 44 véhicules de la flotte fonctionnent à l’électricité, c’est peu.