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Protéger les tortues marines : l’urgence

Par Antoine Dreyfus, le 17 juillet 2019

Journaliste

Tortue caouanne dans le bassin de réhabilitation. Photo M. Danigno

Au musée océanographique de Monaco, un nouvel espace ouvert au public depuis avril dernier sensibilise à la préservation des tortues marines. Cette initiative vise à montrer que les tortues sont les principales victimes de l’homme, qu’il est urgent de les protéger et que des mesures de sauvegarde existent.

 

« Faites attention quand même, elle est capable de vous couper les doigts assez facilement ! En plus, elle a mauvais caractère, celle-là ». Responsable des aquariums du musée, Olivier Brunel, trentenaire jovial, part dans un grand éclat de rire. Nous sommes dans le centre des espèces marines du musée océanographique de Monaco. Quatre gros bassins occupent la pièce. L’eau de mer est constamment régénérée. Un bruit de pompe emplit l’atmosphère. Dans l’un des bassins, une tortue caouanne flotte. En convalescence.

« Il y a quelque chose qui cloche avec elle, souligne Olivier. Elle flotte en permanence et n’arrive pas à plonger. C’est problématique. Elle est donc en observation dans le centre de soins. On va lui faire passer une radio pour voir ce qui ne va pas. Mais c’est toute une organisation. Il faut la sortir du bassin, la transporter et lui faire passer des examens, chez un vétérinaire spécialisé qui s’occupe plus souvent des chevaux. Puis la ramener, ici, sans la stresser. » Belle bête quand même ! Cette tortue caouanne qui n’a pas encore atteint l’âge adulte affiche de belles mensurations et plus de 54 kilos à la pesée…

 

Rana, les tortues lui disent merci

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Ouvert en avril dernier, ce nouvel espace du musée océanographique de Monaco (550 mètres carrés) est dédié à la sensibilisation aux tortues marines et aux espèces en voie de disparition. Le public peut voir une première partie avec une exposition sur les tortues : de leur cycle de vie aux menaces qui pèsent sur leur existence, de la magie de la ponte aux actions menées pour leur préservation. Puis le visiteur est invité à découvrir les coulisses de la préparation des repas, avec une cuisine ouverte. Et le clou du spectacle : un bassin à l’air libre, face à la Méditerranée, avec une ou deux tortues, selon leur état de santé. Ces deux tortues caouanne sont nées en captivité à Marineland en 2011. Les scientifiques ont estimé qu’elles n’étaient pas aptes à vivre en milieu naturel. Elles vont donc vivre ici, à Monaco, dans ce lieu magique propice à la rêverie et à la sensibilisation. Un endroit est interdit cependant aux visiteurs : une clinique avec des bassins de convalescence, qui permettent aux tortues soignées (et aux autres espèces) de se remettre en toute tranquillité et sous étroite surveillance, avant de regagner la mer.

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L’idée d’un centre de soins a germé suite à l’accueil d’un bébé tortue, découvert affaibli dans le port de Monaco, en avril 2014. Surnommée Rana du prénom d’une collégienne mordue de biologie marine, la tortue marine, à l’époque, ne mesurait que 10 centimètres pour 125 grammes. Recueillie par un membre du Yacht Club, Rana a repris des forces, est passée de bassin en bassin, a grandi, puis a atteint une taille suffisante pour être relâchée : plus de 20 kilos et 53 centimètres. Après observation, des scientifiques ont décidé qu’elle pouvait trouver elle-même sa pitance : méduses, crabes, crevettes. Quatre ans, plus tard, Rana a été relâchée. Cette mise à l’eau a été le départ du Centre Monégasque de Soins des Espèces Marines (CMSEM).

 

Carapace fendue, ingestion de plastique ou d’hameçon…

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Mise à l’eau des tortues marines – M. Danigno

Ce centre est le cœur de ce nouveau dispositif d’action et de sensibilisation. Y sont soignés grandes nacres (qui peuvent atteindre un mètre et plus), les hippocampes, mais aussi les tortues marines. Leurs blessures les plus fréquentes ? Prise accidentelle dans des filets, carapace fendue, ingestion de plastique ou d’hameçon. Malgré leur capital sympathie et leur statut d’espèce protégée, les tortues marines sont menacées à tous les stades de leur développement. « À terre, sur les côtes ou au large, leur cycle de vie est truffé d’obstacles, décrit Robert Calcagno, le directeur du musée océanographique. Occupation du littoral, braconnage, impacts de la pêche, pollution ou encore collisions avec les navires. Les tortues marines pourraient disparaître. Au cours des trois dernières décennies, un effondrement de la plupart de leurs populations a été noté à travers le monde. L’homme n’y est hélas pas étranger… Les pressions que nous exerçons sur l’Océan ont un impact direct sur la santé des tortues marines. En améliorant nos connaissances à leur sujet et en préservant leurs habitats par des mesures de protection internationales, nous pouvons les aider. »

Habilités à manipuler ces espèces protégées, les soigneurs du centre de soins interviennent en collaboration avec des vétérinaires spécialisés et les réseaux français et européens des centres de soins. C’est pour eux l’occasion de contribuer aux programmes d’études relatifs à la biologie de ces espèces, à leur comportement et à leur environnement. Le CMSEM soigne des tortues recueillies directement en mer, sur le littoral monégasque ou à proximité. Elles peuvent aussi être confiées par d’autres centres de soins saturés au moment de la prise en charge. L’Institut océanographique collabore notamment avec le Réseau des Tortues Marines de Méditerranée Française (RTMMF, géré par la Société Herpétologique de France) et le Centre d’Études et de Sauvegarde des Tortues de Méditerranée (CESTMed).

 

Elles ont précédé les dinosaures

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Dans le centre de soins.

S’ils soignent d’autres espèces, comme les grandes nacres (un projet de culture de grandes nacres est d’ailleurs en cours, car un parasite les décime), les tortues demeurent les stars. Ces animaux préhistoriques fascinent. Elles ont côtoyé les dinosaures ou assisté à la naissance de l’Homo sapiens. Selon les scientifiques, il existe 7 espèces de tortues marines pour 325 espèces de tortues terrestres ou d’eau douce. Appartenant à la famille des reptiles, les tortues sont apparues avant les dinosaures, il y a près de 240 millions d’années. Certaines se sont ensuite tournées vers la mer. Leur corps a alors entrepris une longue et ingénieuse mutation, qui font d’elles des espèces à part. Grandes migratrices, les tortues marines parcourent des milliers de kilomètres chaque année, retournant pondre sur la plage qui les a vues naître. En Méditerranée, avec un peu de chances, on peut croiser trois espèces au large des côtes : les tortues caouanne (la plus commune), verte et luth. Quelques pontes de tortues caouanne ont même été recensées ces dernières années sur les côtes françaises.

 

Les tortues confondent plastiques et méduses

Outre ce centre de soins, le musée océanographique et le gouvernement de Monaco ont mis en place d’autres actions de sauvegarde et de protection des espèces marines :

-Sur chaque billet vendu, 5 centimes d’euro sont reversés au fonds de soutien aux aires marines protégées (AMP) en Méditerranée. Les AMP sont des espaces marins délimités, un outil de protection et une réglementation spécifique des activités pour un développement local durable. Pour les tortues, les aires marines protégées aident à diminuer les captures accidentelles, réduire les collisions et les filets de pêche, etc.

-Le suivi des tortues marines. Différentes études ont été lancées par les Explorations de Monaco (plateforme scientifique lancé par Albert II qui reprend les concepts de grandes explorations scientifiques du 19e siècle), dont le programme NExT mené avec l’Ifremer et le CNRS. Les premiers essais ont eu lieu en octobre 2018 en Martinique. Un chercheur de l’Ifremer, Damien Chevallier, a équipé des tortues de caméras embarquées éphémères, pour étudier leur comportement alimentaire.

-La lutte contre les plastiques. Les tortues confondent les plastiques avec les méduses, l’un de leur met favori, et les conséquences sont redoutables. Monaco finance plus de 25 initiatives, mais le musée océanographique pense que c’est « tout notre mode de production – gourmand en ressources, énergie et générateur de déchets – qui doit être repensé. » Une prise de conscience à opérer et un vaste chantier en perspective. ♦

 

 

Bonus

  • Protéger les tortues marines : l’urgence 6 Musée océanographique de monaco : Avenue Saint-Martin. Tél. : +377 93 15 36 00. Ouvert tous les jours (sauf le week-end du Grand Prix de Formule1 et le 25 décembre)

 

  • Suivre les tortues marines avec le CESTMed, Centre d’Etudes et de Sauvegarde des Tortues Marines de Méditerranée, ou le programme de suivi des tortues marines,  avec l’Ifremer et le CNRS.

 

  •  À lire – Tortues marines : La grande odyssée, de Robert Calcagno (éditions Glénat, 2017)