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Leçon de vie… pour en sauver d’autres

Par Olivier Martocq, le 4 septembre 2019

Journaliste

Le projet de cette cavalière qui a perdu une jambe dans un accident de la route était de réaliser un tour de France des centres de rééducation pour rendre l’espoir à d’autres blessés, mais aussi rencontrer des écoliers pour parler du handicap. Elle n’avait pas de budget, juste son cheval et sa détermination. Et elle l’a fait !

 

Aurélie Brihmat a réalisé son rêve grâce à une chaîne de solidarité impressionnante. Un exploit quand on sait qu’il lui manque une jambe et que, quinze ans après le drame qui a fait basculer sa vie, elle continue à subir opération sur opération ! J’ai été mis en contact avec elle il y a tout juste un an : à Marseille, un pêcheur du Vieux-Port organisait une sardinade pour l’aider à trouver de l’argent. Je n’avais pas eu le temps de passer pour couvrir l’évènement et l’ancien patron de la prudhommie, sur qui j’avais fait de nombreux reportages avant qu’il ne prenne sa retraite m’a rappelé pour me dire que j’étais un nul. J’ai cherché à me rattraper. Son histoire, sa personnalité, sa démarche exclusivement tournée vers les autres et totalement bénévole m’ont bouleversé !

 

Un accident avec ses conséquences physiques, morales et… professionnelles 

Le texte du dossier de présentation envoyé aux journalistes, aux sponsors potentiels puis sur les réseaux sociaux pour trouver des bénévoles, était direct. « J’ai 32 ans et suis handicapée à la suite d’un accident de la circulation, fauchée par un chauffard. Une jambe en moins, des fractures multiples aux deux fémurs et au bassin, l’artère fémorale sectionnée et un mois et demi en réanimation entre la vie et la mort. Quinze opérations et quinze années plus tard, me voilà, je suis orthophoniste de formation et croque la vie à pleines dents. Je danse le bebop et donne des cours à des valides, fais de la boxe, de la planche à voile, du ski, du handbike et surtout monte à cheval sans aucune limite avec ma prothèse. J’ai cependant dû fermer un cabinet de kiné qui tournait très bien après 5 ans d’exercice libéral car aucune compagnie de prévoyance n’acceptait de m’assurer en raison de mon handicap. 60 courriers à différents élus afin de dénoncer cette injustice, et 30 refus de compagnies plus tard, je renonçais. J’ai alors repris les études pour valider un master 2 des métiers de l’enseignement, passer un concours et entrer dans l’Éducation Nationale. J’exerce aujourd’hui le métier de conseillère principale d’éducation en lycée auprès de classes de Terminale ».

 

Le tour de France des centres de rééducation

Même si elle a tourné la page concernant son premier métier, l’injustice de la situation à laquelle elle s’est trouvée confrontée et le manque de recours possibles pour régler un problème purement administratif surprend et scandalise. De cette lutte du pot de terre contre le pot de fer naîtra l’association Handidream qui lui donnera par la suite un cadre juridique pour ses actions et démarches.

Leçon de vie… pour en sauver d’autres 1Partie le 30 mars d’Aix-en-Provence (elle est originaire de Trets), arrivée le 31 août dernier aux Saintes-Marie de la Mer, Aurélie a effectué un périple de 6 mois et parcouru près de 4 000 kilomètres. Une vingtaine de centres de rééducation l’ont reçue, ainsi qu’une douzaine d’écoles. Avec les enfants, l’objectif était de dédramatiser le handicap : « L’idée était qu’ils comprennent que le handicap n’est pas une maladie, n’est pas honteux, qu’on peut le contourner, se débrouiller autrement ». L’arrivée à cheval dans la cour des écoles avait pour but de marquer les esprits. « On devient une sorte de héros. Avec une image soudain positive de la différence et du handicap ». Aurélie Brihmat, dans son rapport aux enfants, est cash. Elle n’hésite pas à montrer les différentes prothèses qu’elle utilise en fonction de ses besoins – courir, enfiler des chaussures à talon ou monter à cheval… Dans les centres de rééducation, l’approche est différente. Là, il s’agit d’écouter le blessé et de lui apporter un espoir. Mais le message est tout aussi direct : oui c’est dur, oui ça peut être long et difficile, mais on peut s’en sortir et recommencer sa vie autrement ! « Il y a eu des moments difficiles même pour moi car je me suis retrouvée face à des patients totalement désespérés », confie la jeune femme. Comme cet homme en fauteuil roulant qui, à la suite d’un accident se retrouve aujourd’hui sans boulot, abandonné par sa famille. « Je ne suis plus rien » était son leitmotiv.

 

Se fixer un premier objectif, un petit projet concret

Leçon de vie… pour en sauver d’autres 2« Je lui ai expliqué que je souffrais encore que j’avais au moins quatre autres opérations à venir mais qu’il fallait justement tenter de profiter de ces moments pour apprendre à vivre autrement. Il m’a répondu : c’est facile pour toi, tu as la pêche tu t’en es sortie ». Aurélie explique que c’est là que tout peut basculer ; elle le sait pour l’avoir vécu. Dans son propos, pas de pitié et le ton est ferme : « Effectivement, là, entre deux opérations, j’ai décidé de réaliser un rêve que tout le monde me disait impossible, et physiquement, et financièrement. Mais à l’époque j’étais comme toi ! J’ai mis dix ans à sortir du gouffre ». L’idée est ensuite d’amener le patient à se fixer un premier objectif, un petit projet concret, pour qu’il ait des perspectives. Pour cet homme ce sera de parvenir à se mettre debout le temps d’une photo avec son fils. Un effort gigantesque avec l’accompagnement de kinés et de médecins. « J’attends la photo, il y arrivera ». Et Aurélie d’expliquer que le temps est long en centre de rééducation, avec des journées monotones : « Se battre permet de chasser les idées noires de son cerveau ». Une des grandes leçons qu’elle retient rejoint le rôle des animaux qui l’accompagnent. « Mon cheval et mon chien sont essentiels car c’est autour d’eux que s’est systématiquement engagée la première discussion avec les blessés. Ils étaient interpellés par l’accompagnement et la logistique que cela suppose. On parlait des animaux avant d’évoquer nos handicaps respectifs ».

 

L’aide bénévole de « centaines de belles personnes »

Leçon de vie… pour en sauver d’autres 3Le budget prévisionnel du périple de 6 mois avec son père et elle à cheval, et son chien était de 200 000 euros. Une logistique était indispensable, avec notamment deux suiveurs en camion pour les chevaux, mais aussi des prothèses de rechange, la nourriture, les nuits d’hôtel, la communication en amont pour être attendus et en aval avec la presse pour que son message soit relayé etc…  « J’ai trouvé la moitié, essentiellement en apport marchandise.  

On est parti dans l’idée de donner beaucoup et en fait on a énormément reçu et ça je ne l’avais pas prévu ». Des centaines de bénévoles ont suivi son périple sur Facebook et dans la presse. Une chaîne de solidarité s’est mise en place. 150 personnes ont hébergé l’équipe tout au long du parcours offrant le gîte et le couvert. Un peu partout, des victuailles les attendaient ainsi que du fourrage pour les chevaux. Kiné, ostéo, vétérinaires se sont relayés pour accompagner le petit groupe et le soulager lors des étapes. « Sans ces praticiens mon corps n’aurait pas tenu et les chevaux non plus. » 

Aurélie Brihmat a tenu un carnet de route au jour le jour. Avec l’objectif d’en faire un livre, et peut être même un film. Au centre de rééducation de Saint-Nazaire elle a, de manière fortuite, rencontré Gérard Lanvin. L’acteur a promis de faire jouer son carnet d’adresse pour lui ouvrir des portes. Marcelle fera jouer le sien pour trouver l’éditeur ! ♦

 

Bonus [Pour les abonnés]

  • Pourquoi un budget de 198 000 euros ?

Matériel d’équitation :

– 2 selles de randonnées dont une selle adaptée au handicap

– 2 bridons sans mors (hackamore)

– 2 licols avec longe

– 2 paires de sacoches arrières de randonnées

– 2 paires de fontes avant

– 2 sacoches boudins

– 4 hipposandales

 

Matériel camping :

  • duvets avec matelas intégrés, 2 hamacs et une tente deux places

 

Matériel pour conférences et communication :

– 2 GPS avec cartes IGN France intégrées (1 pour l’intendance)

– 1 tablette tactile avec bon espace de stockage (photos, vidéos, préparation conférences)

– 1 caméra sportive avec harnais

– 2 téléphones portables Android avec grande autonomie et bonne qualité photo + chargeurs solaires +

batteries de secours

– talkie-walkie

 

Matériel prothétique adapté au handicap :

– 1 nouvelle prothèse adaptée à l’équitation

– 2 manchons gel copolymère à accrochage distal (chaussette qui tient le manchon)

 

Véhicule d’intendance :

– Camping-car pour les bénévoles de l’assistance

– Van deux places avec plate-forme avant de type « porte calèche »

 

L’aide des bénévoles

Ils sont des centaines à s’être mobilisés pour les préparatifs (appels, distribution de flyers, recherche de partenaires, recensements gîtes équestres…).

L’hébergement de la petite troupe constituée du papa Bernard, 70 ans, deux chevaux et un chien. Jardin, garage ou écuries, casernes, auberges de jeunesse ont fait l’affaire.

Partage d’un repas pour les animaux (herbe, foin, grain, croquettes…)

Volontaires pour l’assistance des fourgons, le soin des chevaux : ferrure par des maréchaux, ostéopathes équins, vétérinaires si besoin, et pourquoi pas une thalasso équine !

Consultations kiné/ostéo sur l’itinéraire afin de limiter les douleurs en lien avec les déséquilibres musculaires et problèmes de dos d’Aurélie.

Promotion médiatique au fil des différentes régions parcourues (interviews, articles de presse, reportages…)