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Lever le tabou de la fin de vie des enfants

Par Agathe Perrier, le 10 septembre 2019

Journaliste

Avec leur association baptisée Le Point rose, Nathalie Paoli et Laurent Courbon rompent le silence autour de la fin de vie des enfants. Ils évoquent cet « après » si difficile pour les parents, frères, sœurs et familles touchés par une disparition bien trop précoce. Leur souhait de les aider à avancer, sans jamais oublier.

 

Comment aider un parent dont l’enfant vient de mourir ? Le sujet met mal à l’aise, forcément, car la mort est un sujet hautement tabou en France. A fortiori quand elle touche à un enfant : on évite soigneusement d’en parler. « Ne pas aborder le sujet, agir comme si ça n’était pas arrivé… C’est l’attitude commune face à un parent en deuil. Or, c’est justement le pire », souligne avec délicatesse Nathalie Paoli. Qui, plus qu’une maman qui a perdu sa petite fille, peut témoigner et conseiller les autres sur la meilleure attitude à adopter ? Et de la sorte, aider ceux qui traversent le même drame.

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Nathalie Paoli et Carla-Marie © DR

C’est pourquoi elle a créé l’association Le Point rose en octobre 2015 avec son ex-compagnon Laurent Courbon, six mois après le décès de leur Carla-Marie, 9 ans, emportée par une tumeur du tronc cérébral. En presque quatre ans, ils ont déjà accompagné pas moins de 150 personnes vers le chemin de la résilience, partout en France. Tout en essayant de faire évoluer la société et le monde médical pour améliorer la prise en charge des enfants en fin de vie et de leurs familles.

 

Avancer sans oublier

Le soutien aux familles qui ont perdu un fils ou une fille concentre la majorité des actions du Point rose. « On travaille avec elles sur leurs ressources intérieures pour qu’elles se réconcilient avec la vie, qu’elles vivent avec cette épreuve et qu’elles puissent avancer », explique Nathalie Paoli. L’association propose des séances d’art thérapie, de médiation animale, de sophrologie, de sport, de psy… Organise ou participe régulièrement à des événements sportifs ou caritatifs. Dernière en date, la course de l’Arbois Duranne, un parcours de 7 km pour lequel une dizaine de parents membres ont enfilé leurs baskets. En guise d’uniforme, un tee-shirt floqué du nom et de la photo de leur ange. « On leur montre que la vie avec leur enfant n’est pas finie, qu’ils peuvent la poursuivre autrement ».

Pour aller encore plus loin, Nathalie Paoli souhaite ouvrir « La maison du Point rose », un lieu de vie dédié aux familles. Où elles trouveraient les mêmes activités, dispensées cette fois tous les jours de la semaine quand elles n’ont lieu aujourd’hui que le week-end. Le département des Bouches-du-Rhône s’est porté volontaire pour fournir un local à la structure. Reste maintenant à trouver le bon endroit, si possible avec un extérieur pour y accueillir les animaux.

 

« Quand un enfant meurt il n’existe plus dans la société »

Outre le soutien psychologique, Le Point rose accompagne les familles sur le volet économique. Car beaucoup se retrouvent confrontées à une baisse de salaire suite à un arrêt ou une baisse d’activité après le décès de leur enfant, à laquelle s’ajoutent des dépenses souvent onéreuses (frais d’obsèques, consultation chez un psychologue ou toute autre activité pour se sentir mieux). « Il n’existe aucune aide financière lorsque l’on perd un enfant. Même les séances de psy ne sont pas remboursées ! ». Là n’est pas le seul sujet d’indignation de Nathalie Paoli. « Quand un enfant meurt, il n’existe plus dans la société. Administrativement, on est considéré comme « sans enfant » alors qu’on reste au fond de nous des parents », ajoute-t-elle. Autant de points qui, cumulés, accentuent la difficulté de faire le deuil et font germer un sentiment de colère et d’injustice.

Accompagner la mort aussi bien que la vie

Le Point rose s’est également donné pour mission de sensibiliser tous les acteurs concernés de près ou de loin par la fin de vie des enfants, pour qu’ils puissent aider au mieux les familles. Que « l’hôpital accompagne la mort aussi bien que la vie » : des mots de la directrice de l’hôpital Nord de Marseille rencontrée par Nathalie Paoli avant l’été. Incontournable selon elle pour « apporter plus d’humanité dans la fin de vie en respectant celui qui part et ceux qui restent ». Ensemble, elles ont évoqué la création d’un lieu de ressourcement pour les proches du jeune patient, au sein même de l’hôpital, accessible de jour comme de nuit, y compris après son décès. Ou la distribution de boîtes contenant de la documentation et des objets – par exemple une bougie – à l’instar des boîtes de naissance, pour accompagner les parents et montrer qu’ils ne sont pas abandonnés au moment de la perte de leur enfant.

Cela passe aussi par un meilleur dialogue et davantage d’explications apportées aux familles. Nathalie Paoli regrette notamment le manque de transparence de certains professionnels lorsque la mort est inéluctable. « Les médecins proposent des protocoles expérimentaux sans que l’on sache vraiment si c’est dans l’intérêt de l’enfant ou uniquement pour de la recherche. Il y a un manque d’honnêteté à ce moment-là. Ils doivent dire ce que ces procédures induisent en toute franchise pour que les parents fassent leur choix en pleine conscience et en fonction de ce qui est le mieux pour leur enfant », pointe-t-elle.

Beaucoup reste donc à faire dans cette société qui prône le silence là où il y aurait souvent besoin de mots. Rien n’est pour autant inaltérable et tout peut évoluer. Il le faut d’ailleurs puisque 5 000 enfants de moins de 18 ans meurent chaque année en France (d’après les derniers chiffres de l’Insee), laissant autant de familles orphelines et dans le besoin d’être accompagnées. ♦

Lever le tabou de la fin de vie des enfants

Bonus 

  • L’association a mis en place un numéro vert de soutien, accessible 24h/24, 7j/7 pour répondre à toutes les questions (besoins financiers, psychologiques, médicaux, administratifs, etc) : 0805 38 38 83.
  • Le Point rose a besoin de dons et de bénévoles pour continuer ses actions. Depuis sa création, elle se finance uniquement sur fonds propres et grâce aux dons. Pour aider : lepointrose@yahoo.fr ou 06 11 05 06 79.
  • Prochain défi sportif du Point rose : Le triathlon des 3 Elles roses, dimanche 22 septembre à Saint-Chamas. Ouvert à tous à partir de 10 ans, en individuel ou en équipe. « Une course mixte, solidaire, ludique et non chronométrée dont les bénéfices sont reversés à notre association », met en avant l’organisation. Au programme, différents parcours de natation, vélo et course à pied à combiner en fonction de chacun. Toutes les informations sont à retrouver en cliquant ici.
  • Comment aider un parent qui vient de perdre son enfant ? Beaucoup « n’ont pas les mots », mais il s’agit parfois seulement d’écouter. Et de manifester sa présence et son soutien, via un mot, un SMS, un bouquet de fleurs, sans rien attendre en retour. « Chaque personne réagit différemment. Certaines ne répondront pas, d’autres mettront plusieurs jours voire mois pour le faire. Mais toutes ces marques d’attention comptent et resteront gravées dans leur tête », assure Nathalie Paoli.
  • À lire : Le courage des lucioles, de Muriel Derome, psychologue dans le service de réanimation pédiatrique d’un grand hôpital. Ed Philippe Rey 2017. 20 euros.
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Poème écrit par Carla-Marie, dont l’histoire a donné naissance au nom de l’association : Le Point rose.