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Escales zéro fumée en 2025  ?

Par Olivier Martocq, le 11 septembre 2019

Journaliste

C’est l’engagement de la Région qui finance un plan à 30 millions d’euros destinés à réduire la pollution de l’air par les ferries et navires de croisière dans les ports de Nice, Toulon et Marseille. Curiosité, ce sont les contribuables directement impactés par les fumées qui financent les infrastructures et jusqu’aux armateurs pollueurs pour qu’ils équipent leurs flottes en conséquence. Le tout sous le regard bienveillant de l’État, qui participe à minima. Retour sur une séquence de communication réussie mais qui soulève quand même quelques interrogations.

 

Le dossier de presse fourni par la Région en ce jeudi 5 septembre est un petit livret très didactique. Grâce aux pictogrammes et quelques chiffres clés, n’importe quel néophyte peut comprendre les enjeux de ce plan à 5 ans. Politiquement, Renaud Muselier a réussi un beau coup. Sur l’estrade à ses côtés, les maires de Nice et Toulon (LR comme lui), mais également le président du Conseil exécutif de Corse, l’indépendantiste Gilles Simeoni, et surtout deux ministres LRM, Elisabeth Borne en charge de la transition écologique et solidaire et Jean-Baptiste Djebbari, le tout nouveau secrétaire d’État aux transports dont c’est la première sortie en public. Dans la salle, comble, se presse tout ce que Marseille compte comme candidats potentiels à la mairie mais aussi d’armateurs et représentants de la filière maritime. C’est dire si le débat soulevé depuis des années par les ONG sur la pollution extrême générée par les navires est devenu un sujet sensible. En début d’année pourtant, personne ne semblait s’en préoccuper.

 

Prise de conscience !

Escales zéro fumée en 2025  ? Décryptage 1«Un paquebot à quai provoque une pollution équivalente à celle de 250 voitures en circulation. » Cet élément de langage a été martelé par la plupart des participants face à des armateurs qui, pourtant, ont toujours contesté la légitimité de ce type de comparatif. On est loin toutefois des ONG qui, à l’instar de France Nature Environnement, évoquaient dans leur communication l’équivalent d’un million de voitures pour les rejets de dioxyde de soufre ou 60 000 pour les particules fines.

Une nouvelle fois, les études aboutissant à cette comparaison ne sont pas incontestables mais la Région tape fort en estimant que, globalement, le maritime génère entre 10 et 15% du total des pollutions atmosphériques sur Marseille. Et que 20% de la population du territoire qu’elle administre est exposée à au moins un dépassement des normes de qualité de l’air. Inacceptable désormais pour Renaud Muselier. « Les ferries avec les personnels, les cargos avec le matériel et les croisières sont trois problèmes très différents, mais qu’il faut traiter en même temps parce que nos populations ne supportent plus ces fumées noires sur les ports ». Elisabeth Borne emploiera les mêmes mots : « des fumées noires insupportables ». Dans la salle, les représentants de la filière maritime encaissent sans broncher. À la différence de la bataille autour du glyphosate, aucun ne contestera cette réalité.

 

La valse des millions !

Escales zéro fumée en 2025  ? DécryptageOn part donc de 30 millions injectés par la Région. C’est beaucoup et peu à la fois quand on sait que « Le plan climat, une COP d’avance » que Renaud Muselier déroule depuis 2017 engage chaque année 25% du budget régional (2,5 milliards d’euros en 2019) selon les documents fournis. En creusant un peu, le chiffre baisse puisqu’il ne s’agit en fait que de 25% de la capacité d’investissement (1,8 milliard d’euros) soit quand même la bagatelle de 450 millions d’euros annuels !

Sur ces 30 millions d’euros du plan « Escales zéro fumée », qui ambitionne de concilier l’activité économique liée à ce tourisme de masse et la protection de l’environnement, 5 millions seront dédiés aux « compagnies maritimes soucieuses de transformer leurs navires en activité ». Soit 300 000 euros d’aides par navire qui passera à l’électrique à quai. « Nous sommes entre le marteau et l’enclume », résume Pierre-Antoine Villanova, le directeur général de Corsica Linea. « La transformation de la salle des machines pour pouvoir installer le système électrique à quai est d’environ 1,5 million d’euros par ferry. S’y ajoutera le prix de la consommation électrique qu’il nous faudra payer. Et puis si on veut passer au GNL (gaz naturel liquéfié) qui est actuellement la motorisation la moins polluante et de très loin (- 70% à – 92% en fonction des polluants) là, c’est 150 millions d’euros pour l’achat d’un navire ».

Les armateurs n’ont plus vraiment le choix. Dans cinq ans, ceux qui ne stopperont pas leurs moteurs durant l’escale ne pourront tout simplement pas se mettre à quai. L’électrification proprement dite des quais représentera l’essentiel du budget restant et ce sera un exploit technique. Hervé Martel, le directeur général du port de Marseille, parvient à faire comprendre les enjeux et difficultés de ce qui sur le papier paraît simple en résumant d’une formule lapidaire : « ça veut dire multiplier par cinq la consommation électrique potentielle des quais dédiés aux ferrys et aux navires de croisière, soit l’équivalent de la consommation d’une ville comme Toulon ».

 

Droit de suite !

Élisabeth Borne s’y est engagée. Les services de l’État contrôleront le respect des nouvelles normes environnementales appliquées au maritime. Les valeurs limites de soufre pour la navigation vont être abaissées en Méditerranée le 1er janvier 2020. Mais elles resteront toutefois encore bien loin des normes imposées dans les zones les plus protégées d’Europe, en mer Baltique ou en mer du Nord. L’électrification des quais pourrait d’autre part faire baisser la pollution de l’air de 15%.

Gilles Marcel représentant régional de France Nature Environnement veut y croire ! Il ne lâchera pas ce combat et attend d’AtmoSud – l’organisme en charge de la surveillance de la qualité de l’air – des relevés précis. Pierre-Charles Maria son président se veut rassurant : « Nous avons été associés à cette démarche que nous avons même initiée il y a un an en réunissant toutes les parties concernées ». Et le scientifique de dérouler la mission qu’il entend mener désormais, « augmenter le nombre de stations fixes d’analyse de la qualité de l’air. Mais aussi dans un souci de transparence mettre des capteurs chez les riverains qui en font la demande afin de mesurer avec eux au jour le jour les émissions de polluants à leur domicile ». Chiche ! ♦

 

Bonus
  •  À lire ou relire, notre article sur les nuisances découlant du tourisme de masse.