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La Villa Médicis de Cassis

Par Nathania Cahen, le 10 octobre 2019

Journaliste

Photo Viviana Peretti

Non, la Fondation Camargo ne s’occupe pas de préserver la biodiversité en Camargue. Créée à Cassis en 1967 par un Américain, cette résidence soutient la création artistique et scientifique en offrant du temps et de l’espace à quelques dizaines d’heureux élus. Le label « Maison des Illustres » vient de lui être décerné.

 

L’artiste, le scientifique et la fondation 3Le panorama est saisissant. Vue imprenable sur la mer et la roche rouge du cap canaille. Je m’installerais bien moi aussi à la Fondation Camargo. Marcelle est un projet qui en vaut un autre non ? Seulement les places, non seulement sont chères, mais toutes occupées !

Grosso modo, 80 résidents sont accueillis sur une année. Tous n’arrivent pas par le même train. Il y a ceux qui postulent : sur les quelque mille dossiers reçus cette année, le jury a retenu 18 candidatures, dont deux L’artiste, le scientifique et la fondation 6projets collaboratifs. Quinze se sont installés à la fin de l’été, venus d’Afrique du Sud, du Soudan, du Pakistan, des États-Unis, d’Inde, ou de Belgique. D’autres arriveront au printemps. Certains utiliseront la totalité de leur crédit de 3 mois, d’autres resteront moins longtemps mais reviendront. « Le recul, la respiration, des errances, le temps nécessaire…, tout cela est permis », confirme Julie Chenot, la directrice de la fondation. Les autres résidents eux sont là dans le cadre de partenariats ou de résidences de production. La Fondation met à leur disposition son fabuleux domaine : 4 843m² pour les extérieurs et 1 488m² d’espaces bâtis qui se répartissent entre l’ancien hôtel Panorama et des bâtiments disséminés entre ce dernier et la mer.

 

Une anthropologue urbaine, une artiste sonore

L’artiste, le scientifique et la fondation 1Dans la grande bibliothèque avec vue mer, au 2e étage du bâtiment principal, Livia Cahn s’est installée à une table de travail pour consulter des ouvrages. Anthropologue urbaine de Bruxelles, elle appartient à la catégorie des « thinkers ». Le trio qu’elle forme avec une chercheuse et une graphiste a été sélectionné pour son projet inédit : une série d’essais graphiques retraçant la transformation et la conservation de paysages marqués par les activités humaines, et leurs implications. En l’occurence, l’histoire de l’extraction et de l’exploitation des ressources minérales de la calanque de Port Miou par la société belge Solvay. La méthode mixe études, analyses, observations in situ, archives, dessins, photos, informations botaniques… « Quand on n’est pas artiste, il n’existe pas mille endroits où faire de la recherche hors université, surtout quand on travaille en trans-disciplines, à plusieurs, relève Livia Cahn. C’est une possibilité unique. Nous aimerions repartir d’ici avec une publication, même intermédiaire ».

L’artiste, le scientifique et la fondation 2Parisienne, Floy Krouchi est « artiste sonore et compositrice ». Je la croise dans le studio avec (là encore) vue imprenable, mis à la disposition des musiciens. Elle me présente sa FKBass, basse augmentée à technologie intégrée conçue par ses soins : « elle est équipée de capteurs qui réagissent à mes mouvements, à mon jeu. » Ce nouvel instrument que lui ont inspiré des séjours de recherche en Inde a été développé en collaboration avec le GMEM (Groupe de Musique Expérimentale de Marseille) qui met notamment à sa disposition un réalisateur en informatique musicale. Elle travaille à l’écriture d’une première pièce de concert mais s’attache aussi à une réflexion sur les lutheries hybrides.

Sont également sur place, Maia Isabelle Woolner, Américaine, doctorante en histoire qui rédige une thèse dans le domaine de l’histoire médicale et tout particulièrement l’utilisation des dispositifs de chronométrage dans la psychiatrie. Ou encore Nityan Unnikrishnan, artiste indien dont l’œuvre plastique s’inspire de la vie quotidienne. Il met à profit son séjour pour rassembler dans un ouvrage général le travail qu’il a déjà accompli et en faire un espace de réflexion à part. Autre pensionnaire, le poète-journaliste soudanais Mohammed Rahamtalla, réfugié en France depuis quatre ans, prépare son nouveau roman et travaille en particulier la thématique des droits humains.

 

Merci Jerome Hill !

L’artiste, le scientifique et la fondation 5The Camargo Foundation, de son vrai nom, est née des vœux d’un Américain philanthrope, épris des beaux-arts et accessoirement de la Camargue. Jerome Hill était le petit-fils du constructeur de chemins de fer James Jerome Hill. Il est né et a grandi à St Paul, dans le Minnesota. Après une licence à l’université Yale en composition musicale, il a voyagé à travers l’Europe et y a commencé des études en peinture. Il s’est également initié à la photographie, grandement influencé en cela par Edward Weston, son ancien professeur.

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@Viviana Peretti

Au début des années 1930, Jerome Hill découvre Cassis, qui devient un lieu de prédilection dans ses créations, souvent représenté dans ses peintures, présent dans nombre de ses films, centre névralgique de sa vie artistique et sociale. Il y passera chaque année 4 ou 5 mois jusqu’à la fin de sa vie, avec son conjoint, l’acteur Charles Rydell. Dès 1939, il achète une petite propriété, puis d’autres bâtiments voisins. Il fera également construire un théâtre pour un festival de musique expérimentale imaginé avec le Théâtre Quotidien de Marseille, puis montera Les Nuits de Cassis. En 1965, il créé la fondation Jerome aux États-Unis, pour les artistes émergents de New York et du Minnesota puis, deux ans plus tard, Camargo, un lieu de travail pour artistes, scientifiques et écrivains. Si Camargo évoque immédiatement la Camargue, région qu’il affectionnait, le doute reste pourtant permis. Ce nom peut aussi rendre hommage à Marie-Anne de Camargo, dite « La Camargo », célèbre danseuse de Bruxelles du 18e siècle, qui œuvrât notamment à rendre plus seyants les costumes de danse.

L’idée de départ est de soutenir et faire connaître les « french humanities » outre-Atlantique.

 

Une crise et une ouverture

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@Viviana Peretti

Jerome Hill disparaît en 1972, mais la fondation lui survit sans encombre jusqu’à ce qu’une crise financière survienne en 2008. De 2011 à 2013, elle cesse toute activité et redémarre dans la dynamique de l’année européenne de la culture, sous la houlette de la maison mère. La renaissance s’accompagnera d’une ouverture à l’international, d’une diversification dans les programmes, avec des résidences de recherche et d’autres de production assises sur des partenariats avec la fondation américaine ou des organismes locaux comme le GMEM, Aix-Marseille Université, le Parc national des Calanques… C’est aussi, par exemple, le compositeur Philippe Boesmans en résidence pour l’écriture de la musique du Pinocchio de Joël Pommerat, pour le festival d’Aix en juillet dernier. Ou encore l’accueil d’un artiste afghan dont les œuvres rejoindront l’exposition collective Kharmohra qui se tiendra au Mucem du 22 novembre au 1er mars prochain.

Des thèmes récurrents s’enroulent aujourd’hui autour d’un fil rouge qui explore les notions de territoire et de paysage. Artistes et scientifiques l’alimentent au moyen de leurs outils et modes d’expression particuliers. Creuset culturel, historique, politique, artistique, ethnique…, la région Méditerranée n’est jamais bien loin. Pour couronner cette belle énergie, la fondation Camargo vient juste de se voir décerner par le Ministère de la Culture le label « Maison des Illustres » (bonus). Une belle manière de sortir de la confidentialité ! ♦

 

* Le La Villa Médicis de Cassis parraine la rubrique « Culture » et vous offre la lecture de cet article dans son intégralité.

 

Bonus

  • Des rendez-vous – Tous les vendredi à 11h, il est possible de visiter la fondation.

 

  • Le label « Maisons des Illustres » – Créé en 2011, il signale des lieux dont la vocation est de conserver et transmettre la mémoire de femmes et d’hommes qui se sont illustrés dans l’histoire politique, sociale et culturelle de la France. Il est attribué par le ministère de la Culture pour une durée de 5 ans renouvelable. En 2018, huit nouveaux labels ont été décernés. Le réseau s’est alors monté à 235 maisons (dont 220 dans l’hexagone et une dizaine dans la région).

Présentes dans toutes les régions métropolitaines comme en Outre-Mer, ces Maisons dessinent une véritable cartographie, à la fois insolite et proche, des lieux où s’est façonnée l’histoire de notre pays. Elles montrent combien le patrimoine est un territoire vivant, combien il se nourrit de la personnalité et de la sensibilité de ceux qui y ont laissé leur trace et l’ont habité. Ces lieux de mémoire permettent de mieux relier l’histoire locale et l’histoire nationale, l’intime et le collectif.

Quelques « Maisons des Illustres » dans en Provence : la maison de Nostradamus à Salon-de-Provence, le Bayle Vert à Grans, la villa Michel Simon à La Ciotat, l’atelier Paul Cézanne à Aix, le musée Frédéric Mistral à Maillane, la maison de Giono à Manosque, la maison de Paul Bourget et la Villa Noailles à Hyères.

 

  • Le budget – entre 700 000 et 800 000 euros par an. 60% abondés par le capital et les revenus du capital. 20% apportés par la Fondation Jerome et 20% par d’autres fondations américaines partenaires. Aujourd’hui, une association française a été créée pour être en adéquation avec l’organisation administrative et juridique française.

 

  • La dotation des résidents – le toit, les transports et une enveloppe de 250 euros / semaine.