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La réinsertion de SDF par le sport

Par Olivier Martocq, le 28 octobre 2019

Journaliste

De gauche à droite : Sébastien, Alexandre Sanz, Jean-Marc et Jospeh Mahmoud.

Tous les médias en ont parlé… avant la course ! Ce 40e Marseille-Cassis a accueilli une équipe de « Sans Domicile Fixe » coachée pendant deux mois par de vrais pros : Benoît Z, ancien détenteur du record d’Europe de marathon et Joseph Mahmoud, médaillé olympique en 1984 dans le 3 000 mètres steeple. Au-delà de l’opération de com’, l’objectif était de redonner confiance à des hommes en déshérence. Pari gagné pour quatre d’entre eux.  

 

Salut confraternel pour commencer à Benoît Gilles auteur d’une pleine page dans la Provence des sports le week-end du 20 octobre, qui a capté l’attention de toute ma profession. Son article intitulé Le running pour sortir de la rue a lancé nombre de reporters sur les traces des SDF dont il évoquait les parcours. Et, à quelques jours de l’épreuve mythique, m’a conduit pour France Inter devant La Bagagerie, un local qui permet à quarante d’entre eux de bénéficier de casiers sécurisés pour entreposer leurs affaires, mais aussi d’accéder à des ordinateurs.

 

Une campagne de financement participatif

La réinsertion de SDF par le sportDigression Marcelle par rapport au cœur du sujet : La Bagagerie (bonus)est gérée par l’association ESP’errance. Un acronyme finement trouvé pour résumer « Étude, sensibilisation et prévention de l’errance ». Pendant deux heures le matin et deux heures le soir, les SDF ont accès à ce local qui est bien plus qu’une consigne. Le café y coule à flot. Alexandre Sanz, qui gère le lieu, apporte son concours pour tout ce qui relève de l’administratif et, au-delà, tisse des liens pour garder le contact avec cette population très fragilisée – c’est essentiel. Devant les demandes de SDF qui se multiplient et la liste d’attente qui s’allonge, ESP’errance cherche pour la première fois des fonds complémentaires via un financement participatif solidaire sur la plateforme de crowdfunding « Les Petites Pierres » (par ici les dons). Objectif : financer le loyer et l’entretien annuel du local pour dégager des moyens nouveaux, soit un montant de 16 828 euros. Ce matin, malgré la publicité faite autour de son équipe engagée dans le Marseille Cassis, la somme récoltée s’élève à : 4 020 euros.

 

Stopper les addictions à la drogue, l’alcool…

La réinsertion de SDF par le sport 2C’est donc à Alexandre Sanz que l’on doit, sur le papier, le projet totalement fou de faire courir des hommes dont le quotidien est rythmé par une hygiène de vie déplorable. Une initiative « inspirée par le parcours de Jean-François Lajeunesse, sans-abri, alcoolique et obèse durant une vingtaine d’années à Nantes, qui s’en est sorti en renouant avec sa passion d’enfance, le running ». Jeune, sportif et très impliqué, Alexandre Sanz a commencé par donner l’exemple avant de se tourner vers une équipe professionnelle pour encadrer la quinzaine de SDF (au départ) motivée par le challenge. Deux anciens champions ont répondu à son appel. Benoît Z a ouvert la porte du team qu’il entraîne tout au long de l’année : « Sur le premier entraînement, ils sont arrivés dans des états compliqués. C’est un euphémisme. Je me suis dit ce n’est pas possible, on ne va jamais y arriver. Puis, une des surprises que j’ai eues avec ces coureurs, c’est qu’ils sont dans un état d’esprit revanchard, ils veulent montrer qu’ils sont capables ». Joseph Mahmoud, par ailleurs aujourd’hui adjoint au maire à Gémenos, ne voulait pas arriver une énième fois dans une association caritative en se demandant où elle allait, avec quels objectifs à long terme : « Je me suis laissé convaincre par le but immédiat à atteindre. Une préparation physique et mentale pour participer à cette course déjà exigeante pour des coureurs entraînés. Théoriquement infaisable pour des hommes qui manquent de tout, dont les préoccupations quotidiennes relèvent de la survie ». Il a fallu trouver du matériel et des équipements – tee-shirts, baskets…- , dégager un temps d’entraînement spécifique. Grâce à ces deux hommes, le projet a pu avancer.

 

Le sport passerelle vers la réinsertion !

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L’équipe de la Bagagerie à l’arrivée du trail du Verdon avec les maillots du Benoit Z Team © Alexandre Sanz

Le groupe a compté jusqu’à 15 personnes mais, au final, quatre seulement sont allées jusqu’au bout de la démarche (résultats des courses en bonus). « C’est difficile pour eux d’avoir une vision à moyen ou long terme. La notion d’avenir n’est pas la même. Ils vivent au jour le jour », reconnaît Alexandre Sanz. Mais, poursuit-il, « le sport est porteur de valeurs positives. Il oblige à prendre soin de son corps, à réduire les addictions à l’alcool, les drogues, ou même la clope. Surtout, il permet de retisser le lien social car on fait partie d’un groupe, de la communauté des runneurs, où ce qui compte n’est pas qui on est mais ce que l’on est capable de faire sur une course ». Sébastien et Jean-Marc font partie des plus assidus. À la rue depuis plus de dix ans, ils reconnaissent que ce qu’ils vivent depuis plusieurs mois leur a permis de retrouver confiance en eux. Après un trail dans le Verdon cet été, Sébastien, particulièrement affuté physiquement, a ainsi trouvé du travail dans un camping avant d’être pris en stage d’insertion professionnelle par l’UCPA. « Quand on dort dehors, avec le vent, la flotte, la peur permanente de l’agression qui fait qu’on dort peu, oui on est motivé quand on nous donne cette chance ! » Jean-Marc, qui « zone depuis 10 ans », s’est rappelé qu’avant, il avait un métier, coffreur dans le BTP, et désormais il aspire à retrouver un emploi. « Ça m’a redonné confiance et ça m’a remotivé. Je vais avancer, faire des choses constructives »… ♦

* Le FRAC Fonds Régional d’Art Contemporain parraine la rubrique « Société » et vous offre la lecture de cet article dans son intégralité —

 

Bonus

  • Les temps des coureurs de cette équipe formidable : Seb 1h52, Jean Marc 1h53, Zdenek 1h54, Mouloud 2h53, l’entraineur Alexandre 1h53. 

 

  • Étude, Sensibilisation et Prévention de l’errance (ESP’errance) est créée en avril 2008 par d’anciens bénévoles du SAMU social de la Croix Rouge. Les projets initiés par l’association se fondent sur les besoins exprimés par des personnes en situation d’exclusion, l’association s’efforce de valoriser leur parole.L’idée d’une bagagerie a germé fin 2009 suite à différents temps d’échanges avec des personnes sans-abri autour de la question de leurs besoins et des dispositifs de prise en charge existant sur Marseille. Ces dernières ont très rapidement pointé du doigt la contrainte majeure que représente le fait de devoir garder avec elles chaque jour leurs bagages et effets personnels. Car, contrairement aux idées reçues, les personnes sans-abri possèdent des effets personnels qui peuvent avoir une valeur monétaire ou pas, mais qui quoi qu’il en soit, ont une valeur à leurs yeux. Elles sont constamment en tension entre la nécessité de garder ces bagages en sécurité avec elles et la volonté d’aller et venir comme tout un chacun.Qu’il s’agisse de structures d’accueil dédiées aux personnes sans-abri, dont l’accessibilité à des consignes (lorsqu’elles existent) reste très limitée où encore de structures marchandes de type sncf ou box qui sont très coûteuses, les solutions institutionnelles existantes sont peu satisfaisantes. D’où ces remarques : « Je ne peux pas me déplacer », « Je prends du retard dans mes démarches administratives », « On m’a proposé d’aller au théâtre mais je ne peux pas laisser mes affaires », « Quand je marche avec mes affaires ou quand je prends le métro, je vois que les gens me regardent et je me sens mal »…

Le projet était lancé !