Fermer

Le bien-être au travail, valeur refuge !

Par Nathania Cahen, le 31 octobre 2019

Journaliste

Le bonheur des salariés et leur épanouissement au travail sont devenus un enjeu sociétal et un investissement pour les entreprises. Les chiffres et les sondages en attestent : un collaborateur heureux est plus performant. Et, de fait, quel salarié ne rêve pas d’évoluer dans un environnement serein ?

 

Bienveillance, confiance, responsabilité, écoute, partage, esprit d’équipe, management éclairé… sont quelques-unes des valeurs propices à l’épanouissement professionnel. Réalisée en 2016, une étude IFOP « Les Français et le bonheur au travail » conclut que 75% des actifs se disent heureux dans leur travail – contre 72% en 2012. Parmi les raisons invoquées, la liberté et l’autonomie pointent en tête (46%), puis la passion et l’intérêt pour son métier (45%) avant les conditions de travail. Le sondage de la CFDT, « Parlons travail » (bonus) va dans le même sens avec 76,4% de salariés satisfaits, même si la moitié quasiment regrette une charge de travail excessive. Le mal du siècle a pour nom burn-out et, en France, on évalue à quelque trois millions les salariés qui en sont menacés.

 

Profusion d’outils

Le bien-être au travail, une valeur sûre ! 1
Enquête Nextdoor-Opinionway 2016

Le monde du travail dans son ensemble est concerné, à fortiori quand les tâches sont pénibles. Chez Wisecom par exemple, plateforme d’appels parisienne de quelque 200 salariés, ceux qui traitent les réclamations doivent faire preuve de beaucoup de calme et de sang-froid, ceux qui prospectent doivent batailler pour obtenir le bon interlocuteur et pouvoir dérouler leurs arguments. S’y greffent la récurrence et la cadence des tâches. « Nous avons donc réfléchi à une amélioration du quotidien et du bien-être au travail, confie Paola Fabiani, présidente de l’entreprise. Malgré le prix du mètre carré, nous avons beaucoup investi sur l’espace de repos et mis en place des séances hebdomadaires de sophrologie, pour améliorer la gestion du stress et la prise de recul. Côté organisation, nous proposons des plannings aménagés, une journée de télétravail tous les 15 jours pour les salariés de plus d’un an et, pour casser la monotonie de la routine, également cause de pénibilité, nous diversifions autant que possible les dossiers confiés à nos salariés ». Wisecom traque même les causes de stress inutile pour anticiper en amont (par exemple plus de pause entre deux entretiens) ou gérer en aval (le debrief avec un manager après un échange difficile). Le résultat ? « Chaque mesure améliorant le bien-être a un impact positif direct sur les chiffres du turnover, de l’absentéisme et des accidents de travail ! »

 

Des spécialistes de l’épanouissement

Le bien-être au travail, une valeur sûre ! 2
Sondage Ifop pour Le Pélerin/France Inter 2016

Dans cette quête du mieux-être au travail, un nouveau métier a fleuri, tout droit importé de la Silicon Valley : celui de chief happiness officer, un chef du bonheur chargé d’endiguer le stress, d’assurer la communication et la cohésion en interne, le fameux teambuilding. C’est la fonction qu’a occupée un ancien champion de natation, Maxime Bussière, au sein de La Compagnie des Pâtissiers, à Fuveau. Du temps où il nageait, il avait relevé le rôle capital joué par le préparateur mental : « C’est la même chose. L’objectif est d’identifier les besoins et souffrances des salariés, d’y apporter des réponses ou de les amener à trouver les solutions ». En préambule, la soixantaine de salariés de l’entreprise s’était vu offrir « Liberté & Cie », le bestseller d’Isaac Getz sur l’entreprise libérée.  Aujourd’hui la démarche va plus loin : « La reconnaissance – du travail, des idées, des différences – est au cœur du processus d’amélioration ». L’entreprise espère décrocher la certification prisée  « Entrepreneurs engagés » d’ici 2020.

 

Question de confiance

L’autonomie est le nerf de la guerre pour Patrick Légeron, auteur de l’ouvrage « Le stress au travail : un enjeu de santé ». Le psychiatre considère qu’il convient de lutter contre la surcharge de travail mais aussi de donner davantage d’autonomie et de pouvoir de décision aux individus, « avec pour résultat de les voir plus productifs, plus motivés et plus satisfaits de leur travail. » Jean-François Thiriet, coach professionnel à Besançon a publié l’an dernier un ouvrage intitulé J’ai décidé d’être heureux au travail. Il y enjoint l’individu à ne pas tout miser sur l’entreprise pour son épanouissement, mais à « prendre en main son projet professionnel, positiver vis-à-vis de soi et des autres. Dans les hôpitaux, il n’est pas rare de croiser des agents d’entretien plus heureux que les médecins ! » ♦

 

Bonus

  • Le bien-être au travail, une valeur sûre ! 3À lireLe stress au travail : un enjeu de société. Patrick Légeron. Ed Odile Jacob 2015 et J’ai décidé d’être heureux au travail. Jean-François Thiriet. Ed Gereso 2011

 

  • La grande enquête CDFT Parlons travail – Du 20 septembre au 31 décembre 2016, plus de 200 000 travailleurs se sont exprimés sur leur rapport au travail, jamais en France autant de personnes ne s’étaient exprimées sur cette question. L’ampleur de la participation a fait de Parlons travail un immense succès.

 

  •  Une revendication contemporaine – S’interroger sur le bonheur au travail est une préoccupation moderne, c’est-­à‐dire relativement récente : en effet, l’idée que le bonheur puisse être associé au travail n’a pas dominé l’histoire des hommes. Infâmant pour les Antiques, punitif d’après la Genèse et le monde chrétien, ce n’est qu’avec l’avènement du capitalisme occidental qu’il est progressivement devenu une valeur sociale positive : éthique du devoir (Weber, 1905), moyen d’enrichissement (Smith, 1776) et de domination de la Nature, il serait aussi devenu le lieu de construction de soi (Hegel,1807 puis Marx,1932). Avec la généralisation du salariat au XXe siècle, le travail salarié est devenu le moyen de survie matérielle et d’accès à des droits et des sécurités précieuses (Castel, 1995). En ce début de XXIe siècle, les promesses de « développement » personnel par et dans le travail sont devenues une norme sociale (de Gaulejac, 2011) : le travail est ainsi progressivement devenu une activité humaine que l’on peut et même que l’on devrait conjuguer avec le bonheur.

 

  • À relire, un de nos premiers articles consacré à l’holacratie, testée par la Coopérative d’Estandon, et le management libéré mis en place dans l’entreprise Mini Gren Power.