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Emploi et girl power

Par Antoine Dreyfus, le 15 novembre 2019

Journaliste

Une association créée par et pour l’insertion des femmes. C’est SalespowHer (notez le jeu de mots avec Her), toute jeune organisation lancée par Vanessa Saragaglia, qui estime que toutes les femmes ont du potentiel, que cela passe par l’action, que c’est plus facile entre femmes lorsqu’on est une femme, et « qu’apprendre à réussir, c’est aussi apprendre à échouer ». Marcelle, en fait…

 

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Vanessa Saragaglia.

C’est souvent à la fin d’une interview que l’on saisit mieux les tenants et les aboutissants d’une démarche, lorsque toutes les questions ont été abordées. Dans cette salle de coworking Wereso, seul homme à cette table occupée par des femmes, après les avoir toutes interrogées, je demande alors à Vanessa de revenir sur un mot qu’elle a prononcé devant les stagiaires : « burn out ».

– « Et donc Vanessa, vous avez fait un burn out ? »

– « Oui, et je ne m’en cache pas du tout. Je suis très transparente. Je dis même que c’est une chance. Sans ce burnout, je n’aurais pas changé de vie et je n’aurais pas monté cette association SalespowHer et je ne pourrais pas aider toutes ces femmes à reprendre confiance en elles ».

Retour en arrière. Après des études de lettres, un passage dans la vente et dans les ressources humaines à la tête d’un cabinet de recrutement, Vanessa Saragaglia vit une vie de wonderwoman dans une grosse entreprise, spécialisée dans la gestion des parcs de jeux pour enfants. Une vie à 300 à l’heure, sans limitation de vitesse. Une vie entre deux avions, des continents, des hôtels, des réunions, des « conf call », des présentations Power point. Des objectifs. Toujours plus. Et puis, un jour, le burn out. Ce sentiment de vide et d’épuisement total. « Un matin, j’ai ressenti une grande fatigue. J’étais au bout du rouleau. Je m’en voulais terriblement. Je viens d’un milieu modeste. Un père ouvrier. J’avais réussi. J’ai fait des études. Je ne pouvais pas échouer. C’était impossible. »

Elle parle de son syndrome d’épuisement à son boss avec qui elle s’entend bien. Il lui propose la direction de la filiale en Grande-Bretagne, ce qui évitera les allers et retours entre la France et d’autres pays. Mais Vanessa Saragaglia a envie d’autre chose, d’un changement radical. Simplement, elle voudrait donner « du sens » à sa vie professionnelle. 

Comme elle n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers, Vanessa se lance alors avec d’autres femmes (Marilyne Marcenaro, référente employabilité) dans la création de l’association SalespowHer.

 

Entre femmes

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Atelier CV : Chaima, Martine et Melissa.

L’idée semble simple. D’un côté, des métiers en tension, où il y a peu de femmes et de l’autre côté, des femmes éloignées du marché de l’emploi, aux minima sociaux ou qui n’arrivent pas à s’insérer sur le marché de l’emploi et qui n’ont pas de projet professionnel en tant que tel, si ce n’est que celui de trouver un travail.

La réponse c’est donc de former des femmes à ces métiers, de les accompagner dans leur recherche d’emploi et de leur redonner confiance en elles : « évaluez les gens sur leur potentiel, non sur leur histoire », répète Vanessa. Pour les entreprises, elles peuvent puiser dans un vivier de talents pour des fonctions qu’elles ont du mal à pourvoir.

Quelques chiffres permettent de mieux comprendre les enjeux. Le métier de commercial est le quatrième métier le plus difficile à pourvoir selon les employeurs ; le taux d’emploi des femmes en PACA est de 8% inférieur à la moyenne nationale ; il n’y a que 30% seulement de taux de féminisation pour les fonctions commerciales. « Sales PowHer est un programme intensif d’insertion professionnelle commerciale pour femmes éloignées de l’emploi », résume Vanessa. Ici, c’est le genre féminin qui prédomine : « C’est peut-être mon côté féministe, mais contrairement à ce que l’on dit souvent, s’amuse Vanessa, les femmes entre elles sont très tolérantes. Face à l’adversité, on retrouve une sororité, une entraide. C’est très positif. »

Concrètement, les stagiaires ont trois mois pour décrocher un job. Intensif, le stage est un « full time job », qui ne consiste pas uniquement à envoyer des CV, mais à établir un bilan personnel, à apprendre des techniques commerciales, pour se vendre et pour vendre d’éventuels produits. Le matin, c’est la théorie et les jeux de rôles devant la caméra. L’après-midi, le terrain. Et le mercredi est consacré à la recherche d’emploi.

Le début du stage démarre sur les chapeaux de roues par une présentation de leur projet professionnel devant la caméra. « Je ne demande pas aux stagiaires d’avoir un projet abouti, mais je veux voir comment elles se présentent, comment elles se vendent. C’est un excellent exercice », décrypte Vanessa.

 

Des parcours tous différents

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Atelier Définir son projet professionnel à la cité des métiers : Sandrine.

Les stagiaires justement. Que s’est-il passé en moins de trois semaines de stage ? Cathy, la cinquantaine, a travaillé dans l’accompagnement des personnes auprès d’handicapés notamment. Elle n’est plus sur le marché de l’emploi depuis 2016 et cherchait à voir ce qu’elle pouvait faire. En deux semaines, elle a retrouvé confiance en elle, dans ses capacités, et elle commence à envisager une reconversion.

Sabrina, elle, possède un Master en civilisation et langues étrangères. Au chômage depuis un an et demi, elle a un projet de structure pour enfants, avec des enseignements alternatifs, en lien avec l’environnement et la nature. « En trois semaines de stage, j’ai découvert que j’étais faite pour faire de la formation. » Sa voisine de table, Linda, elle aussi bardée de diplômes (Licence d’espagnol, Master en enseignement) a animé des ateliers pédagogiques. Très timide au début, elle a très rapidement évolué. « En fait, on réfléchit aussi à notre projet de vie. La méthode, c’est l’action », résume Sabrina. « On leur apprend à se regarder avec un œil plus objectif, plus serein, ajoute Vanessa, qui poursuit. On leur apprend à avoir confiance en elles. On est souvent très dur envers soi-même. Mais nous avons tous des capacités ignorées ou sous-estimées. »

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Au Salon des entrepreneurs : Abir Sabrina et Linda.

Abir, par exemple, l’une des stagiaires. Master d’ingénierie en pédagogie en poche, elle faisait apprendre le français comme langue étrangère à des étrangers. Inscrite dans ce stage avec l’idée de créer sa propre structure de formation, elle repart avec l’idée de travailler dans le numérique… « Vanessa a remarqué que j’étais passionnée par ce domaine et plutôt douée. » Abir a déjà eu une offre de collaboration pour travailler dans un Fab Lab des quartiers Nord (lieu ouvert au public où sont mis à sa disposition toutes sortes d’outils, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d’objets). En fait, Abir dit qu’elle s’interdisait elle-même de choisir cette voie, malgré l’évident intérêt qu’elle porte au numérique.

Originaire des pays de l’Est, Lilis est arrivée en France avec un Bac + 5 de maths et de physique. Et pourtant, elle s’est retrouvée dans des emplois sous-qualifiés par rapport à sa formation : du téléconseil, de l’assistanat administratif, de l’accueil… Bilan, action et nouvelle orientation. Lilis veut travailler comme data analyste et s’est déjà inscrite à Pôle Emploi dans des ateliers informatiques.

Quant à Sylvie, ex-chef comptable pendant plus de 30 ans, si elle se situe plus dans une stratégie classique de recherche de techniques commerciales, car elle veut vendre des produits en vente directe (les fameuses réunions Tupperware), sa démarche nécessite quand même une remise en question importante.  « Ça chamboule à l’intérieur, lorsque cette barrière-là de l’auto-dénégation saute. Mais c’est pour du mieux ! » résume Abir. ♦

À quoi peut ressembler une start-up sociale ? 5

 

* RushOnGame, parrain de la rubrique « Économie », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité *

 

  

BONUS [Réservé aux abonnés] : toutes les infos pratiques – le recrutement des stagiaires – la cagnotte Ullule

  •  Entièrement gratuit, le stage dure trois mois en insertion et en immersion complète. Vanessa est bénévole. Pour pouvoir continuer et se financer, l’association lance une cagnotte Ulule. Tout est expliqué ici. L’association a également reçu une aide de la fondation Adecco et le soutien de Pôle-Emploi.

 

  •  Envoyées essentiellement par Pôle emploi, les stagiaires sont choisies par les fondatrices de SalespowHer. « On repère les filles qui ont du potentiel. C’est pour cela que nous leur demandons de se présenter devant une caméra. C’est assez radical, mais très instructif. On ne recrute pas sur C.V. et lettre de motivation. On attend surtout d’elles qu’elles essayent et qu’elles osent. »

Plus d’infos sur les stagiaires et d’autres destinées aux acteurs de l’insertion.

 

  •  Les locaux. SalesPowHer est logée dans les locaux de Wereso à la gare Saint-Charles, un espace de coworking, convivial, joli et très pratique, proche du métro, des trains et de la gare routière.

 

  •  Les contacts : contact@salespowher.com et  07 68 65 23 29