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Il est comment ton microbiote ?

Par Marie Le Marois, le 6 décembre 2019

Journaliste

Le microbiote, des micro-organismes constitué de bactéries, virus, parasites champignons non pathogènes qui tapissent nos intestins tel un écosystème @Claudio Ventrella-Pixabay

Le microbiote intestinal n’en finit pas de révolutionner le monde médical et la prise en charge des patients. Loin d’être pathogène avec ses deux kilos de bactéries nichées dans nos intestins, il jouerait un rôle majeur dans notre bien-être. Le Dr Guillaume Fond estime même qu’il gouverne avec notre cerveau. Avec sa double casquette en psychiatrie et immunologie, il nous explique tout sur ce bouillon de culture : sa fonction, son lien avec les maladies psychiques, son traitement pour le rééquilibrer. Il nous parle également d’un projet de médicaments élaborés à partir de selles saines. Ce psychiatre-enseignant-chercheur-auteur me reçoit dans le laboratoire de Santé Publique à la Faculté de médecine Timone. Décontracté et verbe clair.

 

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Dr Guillaume Fond, enseignant-chercheur spécialiste du lien microbiote et santé mentale
Qu’est-ce le microbiote intestinal ?

« C’est un ensemble de micro-organismes constitué de bactéries, virus, parasites champignons non pathogènes qui tapissent nos intestins tel un écosystème. Les microbes les plus étudiés sont les bactéries car elles aident notre organisme à fonctionner. Elles interviennent sur la digestion des aliments, l’absorption des nutriments et des vitamines. Elles participent également à nos défenses immunitaires en protégeant la barrière de nos intestins. Enfin, elles aident notre organisme à se défendre contre les bactéries agressives qu’on ingère. On a découvert ces dernières années qu’elles agissaient également sur le cerveau et son beau fonctionnement : une perturbation du microbiote peut entraîner celle du système nerveux central. Il existe ainsi un lien entre microbiote et certaines maladies neurodégénératives (Parkinson et Alzheimer), mais aussi avec les maladies psychiques (dépression, bipolarité, autisme, schizophrénie..)

 

Comment interagissent microbiote et cerveau ?

« Par plusieurs voies : les fibres nerveuses de la paroi intestinale qui sont en relation continuelle avec le système nerveux central. L’intestin lui-même (s’il devient perméable, il peut laisser passer des agents pathogènes dans le corps qui peuvent perturber le cerveau) et d’autres connexions dont l’axe du stress : plus le cortisol (hormone du stress) est élevé, plus la perméabilité de l’intestin l’est également. Mais si le microbiote a un impact sur le stress et l’anxiété, l’inverse est également vrai. Car intestins et cerveau interagissent en permanence dans les deux sens. Ainsi, on retrouve une perturbation du microbiote chez les adultes souffrant d’une dépression majeure. Inversement, les personnes qui souffrent du syndrome de l’intestin irritable, sont plus sujets à la dépression et à l’anxiété que les autres ».

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Rôles du microbiote intestinal : il protège contre des pathogènes, synthétise des vitamines, participe au développement et à la maturation du système immunitaire, promeut l’angiogenèse, participe à la prise de poids, fermente les fibres en AGCC (Acides Gras à Chaînes Courtes), module le SNC (Système Nerveux Central). @Archives of Disease in Childhood – Education and Practice

 

Comment se forme le microbiote ?

« Le microbiote se forme durant les trois premières années de la vie. Sa première colonisation s’effectue à la naissance, au contact du microbiote vaginal de la mère pour les accouchements par voie basse. Ou par le microbiote cutané du personnel médical dans la salle d’accouchement dans les cas de césarienne. Mais le premier reste celui qui protège le mieux le bébé. Au point qu’en cas de césarienne, de plus en plus de maternités anglo-saxonnes badigeonnent le nez et la bouche du bébé avec des compresses imbibées du microbiote vaginal de la mère.

Ensuite, le microbiote s’enrichit avec le lait maternel si la mère est en bonne santé. Enfin, la diversification alimentaire, indispensable dès le sevrage de l’enfant, crée la diversité du microbiote. Chaque individu a un microbiote qui lui est propre et qui reste plutôt stable jusqu’à un âge avancé où il s’affaiblit, sans que ce soit pathologique. Néanmoins, il pourrait avoir un lien avec les maladies neurodégénératives et notamment Alzheimer ».

 

Comment notre microbiote peut-il être fragilisé ?

« Les antibiotiques mais aussi une mauvaise alimentation peuvent entraîner une inflammation des intestins : des mauvaises bactéries prennent la place de celles qui ont disparu. On parle alors de perturbation qualitative : le microbiote est moins diversifié (plus il est diversifié, plus il est fonctionnel). Ou quantitative : il y a une réduction du nombre total de bactéries. Mais nous n’avons pas encore de critères objectifs pour dire si un microbiote est sain ou pathologique. Nous avons en revanche des indices pour définir si sa biodiversité est faible ou pas ».

 

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@Muséum d’histoire naturelle de Toulouse
Comment rééquilibrer un microbiote ?

« Je recommande d’ingérer des aliments sains et diversifiés. Cette approche, qui s’appelle la psychonutrition ou la neuronutrition – pour rappeler l’influence de la nutrition sur nos neurones -, vise à nourrir notre cerveau sainement. En pratique, les recommandations sont les mêmes que pour le cancer. Car les facteurs de risque pour la dépression le sont également pour le cancer. Je conseille donc de bannir la ‘’Junk Food’’ et les aliments transformés (édulcorants, additifs alimentaires, sucres cachés, graisses hydrogénées qui déclenchent des inflammations). Et je préconise légumes verts à volonté et fruits de saison, si possible bio, ainsi que des huiles riches en oméga 3 (huile d’olive, lin, colza…)

Une bonne nutrition peut rééquilibrer un microbiote pertubé en seulement deux semaines. Le microbiote est super réactif : il est souple et capable de s’adapter à l’environnement, raison pour laquelle je parle de la résilience du microbiote ».

 

Que prescrivez-vous à vos patients souffrant de dépression ?

« Des compléments alimentaires pour combler les carences en vitamine D et des Oméga 3 dont les propriétés sont anti-inflammatoires (Ndlr : une inflammation intestinale peut avoir un impact sur la dépression). Les Oméga 3 fluidifient également les membranes des neurones. Et, comme ces patients souffrent d’un déficit de sérotonine (neurotransmetteur du cerveau qui intervient dans l’humeur), il peut être utile de prescrire des vitamines B9, enzyme qui facilite la synthèse de la sérotonine. Ces trois compléments alimentaires ont démontré leur efficacité dans le traitement de dépression sévère. Je préconise de modifier l’alimentation dès que possible mais souvent dans un second temps car la plupart des patients sont attachés à leur alimentation, un peu comme à des béquilles, et changer leurs habitudes tout de suite peut être difficile ».

 

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Escherichia coli, une des nombreuses espèces de bactéries présente dans la flore intestinale. @Rocky Mountain Laboratories, NIAID, NIH
Et les probiotiques ?

« Des études scientifiques ont démontré leur efficacité sur l’anxiété et la dépression. Fabriqués à partir de micro-organismes, ces compléments aident à réparer l’équilibre intestinal. Mais je les prescris en deuxième recours parce qu’ils sont parfois chers et non remboursés. Dans certains cas, il pourrait être plus efficace de prendre des probiotiques que des antidépresseurs. Attention toutefois : toutes les personnes en dépression n’ont pas forcément de problème de microbiote ; certaines ne répondent pas aux probiotiques et il ne faut pas arrêter les antidépresseurs sans l’avis du médecin.

Concernant les souches de probiotiques, nous ne sommes pas en mesure de dire lesquelles sont les meilleures. Je conseille de faire une cure d’un mois et d’observer les effets. De changer de souches si les effets ne sont pas satisfaisants ».

Votre recherche porte notamment sur la greffe de microbiote, de quoi s’agit il ?

« Les bactéries saines délogées laissent la place aux mauvaises bactéries. L’idée est alors de nettoyer les intestins des mauvaises bactéries et de les recoloniser avec des bonnes. Notre projet est de créer des gélules concentrées en bactéries vivantes, obtenues à partir de selles filtrées de donneur sain. Au préalable, le patient doit avoir purgé ses intestins et être à jeun depuis 24 heures. Nous devrions pouvoir commencer des essais cliniques sur 15 patients souffrant de dépression ou de schizophrénie, en 2020 ». ♦

 

Bonus

Comment Guillaume Fond est devenu le spécialiste du lien microbiote et troubles psychiques – Son actualité – De quand date la révolution du microbiote – L’échelle de Bristol…

  • Comment Guillaume Fond est devenu le spécialiste du lien dépression et microbiote – Guillaume Fond effectue son internat en psychiatrie et en immunologie, faisant de lui un des rares psychiatres Français à cumuler les deux spécialités. Lors de son internat à Montpellier, il se forme aux thérapies cognitives et comportementales (TCC). En 2012, il devient coordinateur du réseau national des Centres Experts Schizophrénie dont la mission est de revoir le diagnostic posé sur les patients et de réadapter si besoin le traitement médicamenteux et non médicamenteux. À l’époque déjà, il préconise la psychothérapie et la psychonutrition.

En 2017, il rejoint le laboratoire de santé publique de Marseille (Unité CEReSS / Centre d’Étude et de Recherche sur les Services de Santé et la Qualité de vie). Avec son équipe (Pr Laurent Boyer, Pr Christophe Lançon et Pr Jean-Christophe Lagier), il conduit des recherches portant sur la psychonutrition, l’activité physique pour les personnes souffrant de troubles mentaux, les compléments alimentaires et le microbiote. Il est en parallèle psychiatre et enseignant – notamment en psychonutrition – à la faculté de médecine de la Timone-Marseille. Il publie de nombreux articles scientifiques, anime des conférences et intervient souvent dans les médias. Écouter ‘‘Le microbiote intestinal influence notre humeur’’.

Récompensé une première fois en 2016 pour ses travaux sur le lien entre inflammation et santé mentale. Il l’est une seconde fois le 4 décembre 2019 pour la prise en charge du cancer chez les personnes souffrant de maladie psychique. Fin 2020, il publiera chez Odile Jacob un livre sur la psychonutrition : le lien entre aliment, microbiote et cerveau. Rôle qu’il a déjà abordé dans son précèdent livre ‘’Je fais de ma vie un grand projet’’ (Ed Flammarion 2018). Dans cet ouvrage, ce passionné du lien corps-esprit nous propose réflexions et pistes pour soigner son ‘’moi’’ – corps, émotions, esprit et communication -.

 

  • Sur son compte Youtube, le Dr Guillaume Fond propose régulièrement des vidéos thématiques en lien avec sa spécialité

 

  • De quand date la révolution du microbiote ? L’étude de notre microbiote remonte au début du XXe siècle avec Elie Metchnikoff, un des pères de l’immunologie, qui évoque l’idée du rôle positif de nos bactéries intestinales. Ces travaux ont été mis de côté suite au développement des thérapies de choc entre les deux guerres, puis de la psychopharmacologie dans la seconde partie du XXème siècle. C’est en 2004 qu’une étude chez l’animal montre le rôle primordial des bactéries sur le développement du cerveau. 2009 voit l’avènement de la métagénomique, une technique qui permet d’analyser notre microbiote de façon qualitative et quantitative. C’est le début de la révolution microbiote : les chercheurs prennent conscience du rôle potentiel du microbiote intestinal dans le déclenchement et l’entretien des maladies chroniques.

 

  •  Existe-t-il d’autres microbiotes ? Il existe un microbiote vaginal, oto-pharyngé et cutané dont les rôles sont tout aussi importants que pour le microbiote intestinal. Raison pour laquelle il est également important de préserver leur équilibre (n’en déplaise aux forçats de l’hygiène).

 

  • Comment savoir si notre microbiote est sain ou perturbé ? En observant nos selles à la lumière de l’Échelle de Bristol. Les types 3 et 4 (il en existe 7) sont signes d’un microbiote sain. « Mais ça reste une indication et qui doit se vérifier sur la distance. Car les autres types de selles peuvent être le résultat d’un dîner trop chargé la veille ou d’un changement des habitudes alimentaires », souligne Guillaume Fond. Autres signes cliniques : « inconfort digestif, gastro-entérite à répétition, intestin irrité… sur une durée handicapante pour la personne ».