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Le fromage urbain : nouveau graal des gourmets

Par Marie Le Marois, le 10 janvier 2020

Journaliste

Audrey Emery et Madeleine Desportes

Fromages fabriqués sur place, lait en vrac et bouteilles recyclées : les laiteries urbaines ont tout bon. Leurs enjeux ? Ramener la production sur la zone de consommation et convertir les ignorants comme moi aux fromages bons, goûteux, respectueux du vivant et de saison. Et oui, adieu au fromage de chèvre frais l’hiver. Après Paris, Toulouse et bientôt Lyon, Marseille ouvre sa laiterie.

 

La Laiterie Marseillaise coche toutes les cases : produits faits maison, lait bio et local provenant direct du producteur payé à sa juste valeur (85 centimes le litre de lait bio contre 40 centimes au plus bas), bouteilles et pots de yaourt consignés (excellent régime pour les poubelles de recyclage). Mais aussi papier d’emballage en paraffine végétale made in Marseille et compostable (Milhe & Avons), vitrines frigorifiques en bois made in France fermées pour limiter la déperdition d’énergie et produits d’hygiène naturels au pin. Côté rayon, les fromages sont uniquement à base de lait cru, « pour préserver ses bienfaits gustatifs et ses bonnes bactéries », explique Madeleine la fromagère qui ajoute, comme une évidence, « un lait pasteurisé, c’est un lait mort ». (voir pourquoi dans bonus)

 

Seules les boutiques qui fabriquent sur place peuvent s’appeler… fromagerie

Tout est fabriqué sur place dans la boutique-labo. On peut observer Madeleine derrière la vitre en train de peser les ingrédients, les mélanger, chauffer le lait dans la cuve, affiner… Tandis qu’Audrey à la vente explique tout sur les fromages. Les jeunes femmes se sont connues sur le banc de l’école des vendeurs en crèmerie-fromagerie de Paris, à l’Ifopca. Elles sont alors en pleine reconversion, la première était acheteuse dans le prêt-à-porter, la seconde collaboratrice parlementaire. Ces deux fans de fromage tracent ensuite chacune leur bout de chemin. Audrey la Marseillaise arpente les rues de la cité phocéenne pour trouver un local à elle. Et Madeleine parcourt la France pendant quatre mois pour s’initier auprès des fromagers fermiers. Autrement dit, les fromagers qui fabriquent leurs produits à partir du lait d’un seul troupeau, directement sur le lieu de la traite. La jeune femme apprend les secrets du Munster dans les Vosges, du Reblochon en Savoie, du Picodon dans la Drôme… et du fromage de chèvre à La Tour des Pins à Marseille. Puis, après sa formation de fromagère à l’ENIL, à Aurillac, elle entreprend un stage à La Laiterie de Paris, première laiterie urbaine créée par Pierre Coulon qui n’était autre que leur prof à l’Ifopca. La boucle est bouclée. Les deux jeunes femmes de 33 et 36 ans se retrouvent pour monter leur fromagerie-crèmerie-laiterie. Un titre aussi long pour bien signifier qu’elles sont lieu de production, de vente, de collecte de lait et de fabrication des yaourts.

 

Du fromage qui respecte l’animal…

Dans cette sacrée aventure, le plus difficile a été de dénicher du lait local. « Notre département n’a jamais été une zone d’élevage laitière et les seuls troupeaux existants à Marseille ont disparu à la fin de la Seconde Guerre Mondiale », déplore Audrey. Il y a bien des chèvres dans le Rove, mais ce sont des petits troupeaux dont le lait est gardé précieusement pour la brousse. Il y a bien des brebis, mais elles sont élevées pour leur viande ou leur laine. Quant au lait de vache, il y a bien une production à Allauch (ndlr La Fromagerie de Barbaou), mais l’éleveur garde son lait pour le transformer. Le problème surtout est que les deux aventurières s’infligent de sacrés critères. Elles veulent du lait d’éleveurs qui transforment eux aussi leur lait en fromage ou yaourt, « ce qui implique qu’ils font attention à la qualité de leur lait ». Elles visent également « le bio, le bien-être animal et celui du producteur ». Les animaux gambadent dans les près, mangent des bonnes choses (pâturage + aliments bio), sont soignés au maximum avec des produits naturels et leur cycle naturel est respecté. « Contrairement aux vaches qui ovulent tout le temps, brebis et chèvres ovulent généralement l’été. Elles mettent bas en février et allaitent pendant 4 à 6 semaines. La production de lait se fait donc uniquement d’avril à septembre. Raison pour laquelle on ne fabrique pas du fromage chèvre frais en hiver par exemple ». Donc ceux qui sont en vente en ce moment sur nos étals sont soient pasteurisés, soit crus issus d’un lait qui ne respecte pas le cycle naturel de l’animal « ce qui signifie traitements aux hormones ».

 

…et qui respecte le bien-être de l’éleveur

Le fromage urbain : nouveau graal des gourmetsEt que veut dire  »le bien-être de l’éleveur », outre le fait qu’il soit payé à sa juste valeur ? Et bien qu’il se repose ! « Nous utilisons le lait du week-end pour que l’éleveur ait juste à traire ses vaches et pas à transformer en plus le lait ». Pour trouver leurs perles rares, Madeleine et Audrey ont été obligées d’agrandir leur zone de recherche à la région PACA. Ainsi, Adrien de la Ferme Vallat Sableux leur fournit le lait de vache, Christel de la ferme éponyme le brebis et Lucile de la Ferme de Montjay le chèvre. Toutes ces contraintes demandent aux filles « une sacrée logistique pour éviter que le lait tourne ». Ainsi, le mardi matin, quand Madeleine reçoit le lait cru du week-end, elle le transforme tout de suite en fromages puis s’attelle plus tard aux yaourts « puisqu’ils sont pasteurisés ». Une course contre la montre dont elle se passerait bien, d’autant que le transport a un coût : un euro du litre. « Nous projetons une autre piste logistique proposée par l’éleveur : récupérer nous-même le lait à mi-chemin ». Pleins d’autres projets attendent dans les cartons : tome de vache, fromage la bière marseillaise, livraisons des restaurants en triporteur et ateliers grand public de fabrication. Hâte d’aller chercher mes yaourts consignés, mon lait avec mon petit pot-au-lait et, bien-sûr, mes fromages de saison. ♦

* Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

 

Bonus [pour les abonnés] Le plateau de fromages de La Laiterie Marseillaise. Où trouver les autres laiteries urbaines ? –  La différence entre fromage au lait cru et au lait pasteurisé – Le lait cru entier plus digeste que le demi-écrémé ? – Le  financement.

 

  • Où trouver les laiteries urbaines dans l’hexagone ? La Laiterie Marseillaise, 86 rue Sainte, Marseille 7e. La Laiterie de Paris,74 rue des poissonniers, Paris 18e, Laiterie La Chapelle, 72 rue Philippe de Girard, Paris 18e, Laiterie Toulousaine, boutique en ligne et points de vente. Uniquement fromageries : Ottanta (mozzarella et burrata), 19 rue du cardinal Lemoine, Parie 5e, Nanina (mozza), 24 bis rue Basfroi, Paris 11e, Laiterie Burdigala, (mozzarella, burrata, ricotta, straciatella), 4 rue des Douves, Bordeaux.
  • Le plateau de fromages de La Laiterie Marseillaise. Côté rayons, on trouve Le Petit Marcel (fromage pâte molle à croûte fleurie type Saint Marcellin), L’Estello (fromage frais moulé au torchon fourré à la confiture de figue bio de Manosque) et L’halloum (fromage à pâte filée entre feta et mozza). Mais aussi tartare aux fines herbes, yaourts brassés, à la noisette ou à la confiture d’ici, riz au lait à la fleur d’oranger et, le summum, crème au chocolat artisanal de la Baleine à Cabosse.
  • La différence entre le fromage au lait cru et au lait pasteurisé ? Le fromage au lait pasteurisé est fabriqué à partir de lait chauffé autour de 90° pour éliminer tout risque de mauvaises bactéries (le lait UHT lui est chauffé environ à 135°). Tandis que le lait cru ne l’est pas pour préserver intégralement ses arômes et sa flore bactérienne. D’après Madeleine et Audrey, pas de risque de germe. « Un lait cru est un lait vivant. Les bonnes bactéries vont pouvoir se défendre si elles sont agressées par des mauvaises. Tandis que le lait pasteurisé, qui tue toutes les bactéries, y compris les bonnes, ne peut pas se défendre, ce qui explique des cas de salmonelle dans du lait en poudre », explique Audrey. Lire l’article de Madeleine à ce sujet : ‘’serait-on devenus trop maniaques pour faire du fromage’’ sur son blog La Vache se lâche

 

  • Le lait cru entier serait plus digeste que le demi-écrémé. Selon Madeleine et Audrey, le lait de vache est devenu indigeste car il a été transformé (pasteurisé, écrémé…) « Lorsque les bonnes bactéries sont préservées et la crème entièrement laissée, le lait devient digeste ». À creuser et tester.