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Dans les bras d’Amma

Par Paul Molga, le 15 janvier 2020

Journaliste

photo @Embracing the world

La célèbre « free-hugeuse » est passé par Marseille cet hiver. En dépit de mes réserves, j’ai plongé dans ses fines étoffes et cela ne m’a pas laissé indifférent…

 

J’ai longtemps hésité à me jeter dans les bras d’Amma. SansDans les bras d’Amma doute trop cartésien (je suis journaliste économique et scientifique) pour croire que les « free hugs » (ndlr – à traduire par étreintes ou câlins gratuits) délivrés par cette Indienne, figure spirituelle contemporaine et fondatrice de l’ONG Embracing The World en 1975, puissent avoir le moindre effet sur moi. J’ai lu beaucoup à son sujet, surtout les articles polémiques qui jugent son initiative parfois sectaire. J’y trouvais matière à satisfaire un esprit critique hérité de mon « enseignement des lumières » et d’une carrière dans un quotidien réputé pour sa foi dans les faits…

Quand elle a décidé de venir étreindre à Marseille en octobre dernier, cette petite femme rondelette née hindoue sous le nom de Mata Amritanandamayi, a repiqué ma curiosité. Après tout, n’a-t-elle pas pris dans ses bras des dizaines de millions de personnes à travers la planète, peut-être aussi septiques que moi ? Et d’où tient-elle cette énergie qui lui permet de consacrer le plus clair de son temps à câliner des inconnus, parfois plus de 20 heures d’affilée, sans repos ni repas, ce depuis 45 ans… Je devais en avoir le cœur net.

 

Une armée de bénévoles bien rodés

L’affaire, bien codifiée, aurait rappelé sa condition au Charlie Chaplin des Temps Modernes. Pour embrasser autant de monde, l’entourage d’Amma a créé une cadence keynésienne en rythmant de façon presque industrielle le passage de la matière première humaine dans les bras de la « mère de la béatitude immortelle ». Chacun.e  doit d’abord obtenir son ticket de passage pour le « darshan », ce moment de contact et de transmission énergétique avec Amma.

Les gestes sont normalisés par une armée de bénévoles bien rodés (à Marseille, ils étaient plus d’un millier et, au total en France, l’organisation a comptabilisé 65 000 heures de volontariat) : de chaises en chaises sur la scène, ils rythment l’avancée des quidams comme sur une chaîne de production industrielle. Contrôle qualité de la matière première avant d’être sertis par les biceps musclés du guru (cheffe religieuse). Les plus chanceux sont enveloppé dans ses bras 4 secondes avant d’être expulsés comme une forme plastique sortie d’un moule. Avec cette organisaDans les bras d’Amma 1tion quasi-militaire, Amma a pu ainsi câliner 20 000 personnes en trois jours au Palais des Sports de Marseille. La magie pourtant opère, surtout si elle susurre des « Mon Chéri » et complète son étreinte d’offrandes. J’ai eu cette chance.

L’équipe média de cette reine de l’engagement humanitaire a-t-elle saisi mon scepticisme ? Badge « Press » recommandé et bien visible quand vient mon tour d’étreinte, elle me plonge d’un geste sûr dans ses étoffes soyeuses et me ceinture comme dans un cocon. La plupart des gens que j’ai observés se laissent envelopper passivement, comme subjugués. Et quand ils tentent de toucher la divine, les mains alertes de ses vigies les en empêchent. J’ai droit à une faveur, un moment suspendu : tandis qu’à l’oreille elle me susurre des « Mon Chéri » à souhait, je l’étreins à mon tour sans qu’aucun garde alentour ne s’y oppose. Nous partageons ainsi d’interminables secondes. Ma compagne me rejoint dans les bras d’Amma. Même traitement, couronné d’offrandes précieuses chargées de son énergie, nous précise-t-on : une pluie de pétales de rose, une pomme chacun, un bracelet et un bonbon.

 

75 millions de dollars redistribués

La maîtresse spirituelle a tenu à ce que nous restions à ses côtés plusieurs dizaines de minutes et, je l’avoue, cette rencontre ne m’a pas laissé de marbre. Assis en tailleur tout à côté d’elle, observant cette foule tombant dans ses bras, j’ai sangloté moi aussi… Ai-je chatouillé cet entre-deux mondes, cette frontière étroite entre les richesses terrestres et l’abnégation ? Il est un fait : Amma répand le bien à coup de millions de dollars. Si ses happenings sont bien gratuits, un vrai business s’organise à ses marges : produits dérivés, formations, séminaires, mais aussi donations… Ces quinze dernières années, Embracing The World aurait redistribué aux plus démunis 75 millions de dollars d’aides dans les 41 pays où l’association est implantée. « Amma a bâti un empire humanitaire », résume son biographe Pierre Lunel. « Elle est spirituelle mais terriblement pragmatique », renchérit Dorian Spaak, volontaire de la première heure. Ce printemps, l’ONG inaugurera par exemple à Dehli un hôpital ultra moderne qui sera ouvert aux plus pauvres. ♦