Fermer

Quand Beaubourg expose dans un centre commercial

Par Olivier Martocq, le 12 février 2020

Journaliste

Depuis deux ans, Le Centre Pompidou sort des œuvres de sa collection pour les exposer dans des lieux où la culture n’a pas sa place. Avec l’objectif de sensibiliser de nouveaux publics. « 1 jour, 1 œuvre » se délocalise en ce 12 février à Marseille, au centre commercial Grand Littoral. L’œuvre choisie est une sirène en bronze d’Henri Laurens.

Écouter cet article en podcast – 4 MIN

Quand Beaubourg expose à Grand Littoral !La communication institutionnelle est classique. Le document remis aux journalistes qui couvrent l’évènement rappelle que : « En 2018, Beaubourg a décidé de poursuivre l’élan impulsé avec les manifestations liées au 40e anniversaire de l’institution l’année précédente, en tissant des relations durables avec les acteurs culturels implantés sur le territoire français. L’objectif majeur de cette action territoriale renforcée est de développer des actions à même de toucher des publics qui ne disposent pas d’un accès immédiat à la culture. Près de 5 400 œuvres sont déposées dans des musées en région. 1 994 œuvres ont également fait l’objet d’un prêt en France, en 2018. Actuellement, à Marseille, 169 œuvres et documents du Musée national d’art moderne sont présentés à la Vieille Charité et à la Friche Belle de Mai (« Par hasard », jusqu’au 23 février), ainsi qu’au musée Cantini (« Man Ray et la mode », jusqu’au 8 mars)… « 1 jour, 1 œuvre », offre la possibilité de découvrir près de chez soi une œuvre originale et majeure de l’art moderne et contemporain. Les œuvres peuvent être accueillies dans un théâtre de quartier, une salle des fêtes, un centre commercial, un hôpital, une maison d’arrêt » … Voilà pour le dossier de presse qui facilite le travail du journaliste, notamment celui qui n’est pas versé dans la culture. Tout est dit dans ce résumé. En bas figurent les logos des partenaires. Un mécène, Enedis, et des institutionnels classiques – le département, la ville et les musées de Marseille. À leur côté, les trois lettres CAP surmontées d’une Marianne interpellent…

 

Une association dans la boucle depuis le départ

Quand Beaubourg expose à Grand Littoral ! 2L’inattendu et ce qui pimente l’intérêt de cette manifestation c’est cette association qui depuis deux ans travaille pour que le Centre Pompidou choisisse à Marseille un lieu qui ait du sens. Dans les rangs de Citoyens en Action de Proximité (CAP), on trouve un officier de l’École de l’Air basé à Paris et passionné d’art contemporain. C’est lui qui va faire le lien avec la direction du musée et l’amener à travailler avec Fazia Hamiche, la présidente de l’association. « Il faut casser les codes. Ouvrir la culture à ceux à qui il ne vient pas à l’esprit de s’y intéresser. Grand Littoral répond à ce critère essentiel », argumente celle-ci. Ce n’est pas non plus un hasard si l’opération se déroule un mercredi, jour de détente pour les familles du quartier qui en profitent pour aller y faire leurs courses, ou simplement y passer un moment. Arnaud Tescari, le directeur du site, a joué le jeu. D’abord en acceptant que l’œuvre soit exposée devant le magasin Primark, une des locomotives de la galerie. Puis en mettant à disposition de l’association des locaux à proximité immédiate pour y installer des ateliers de lecture ou de découverte.

 

Rester dans le concret

Pas de cours magistral sur l’histoire de l’art ici, mais des échanges avec des artistes contemporains, des comédiens, des bibliophiles, etc. « On va aussi essayer d’ouvrir des perspectives à des jeunes en lycée professionnel, en leur montrant des débouchés possibles dans les métiers de la culture, comme gardien de Quand Beaubourg expose à Grand Littoral ! 1musée, magasinier, agent d’accueil… » CAP travaille depuis plusieurs mois déjà avec le musée Cantini autour de cette thématique. « Intéresser les jeunes des quartiers à ce monde qui est à des années-lumières de leurs préoccupations quotidiennes passe par du concret. On tente de convaincre l’Éducation nationale de mettre en place des formations dédiées autour de ces métiers liés aux « à côté » de la culture. Et il y a de la demande, ce qui a surpris le rectorat ». Le rectorat a du reste fait une belle surprise à Fazia Hamiche en lui faisant décerner les palmes académiques par le Ministre de l’Éducation nationale, pour l’ensemble des actions qu’elle mène avec son association. Les palmes académiques… la grande colère de Marcel Pagnol : le dramaturge, fils d’instituteur et sorti de Khâgne, ne les a jamais obtenues ! ♦

* Le La Villa Médicis de Cassis parraine la rubrique « Culture » et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus – [Pour les abonnés] Le programme – L’œuvre – D’autres expériences –

 

  • Le programme – Place centrale du centre commercial Grand Littoral. 11, avenue de St Antoine, Marseille 15e. De 10h à 17h, accès libre à l’œuvre et à l’atelier « Découvrir l’œuvre d’Henri Laurens », animé par des médiateurs du musée Cantini. Gratuit pour les enfants à partir de 5 ans avec leurs parents. En présence de Erick Gudimard des Ateliers de l’Image-Centre photographique de Marseille.

14h30 : Présentation de l’œuvre par Xavier Rey, directeur des musées de la ville de Marseille. Entrée libre, tout public, 45 minutes

 

  • L’œuvre – Henri Laurens (1885, Paris – 1954, Paris) Né en 1885, il travaille d’abord la pierre en tant qu’artisan puis devient sculpteur. En 1937, lors d’un séjour en Bretagne au bord de la mer, l’artiste s’inspire des vagues pour donner plus de courbes et de mouvements à ses sculptures. Il insuffle aux corps des femmes sculptées des formes ondulantes comme si elles étaient en perpétuelle métamorphose. Avec un torse puissant comme un roc prolongé d’une queue glissant comme une algue, La Sirène dégage une grâce étrange. Au cœur de la métaphore marine, avec ces formes voluptueuses, Henri Laurens cherche à créer un jeu de « creux et de volumes », une alternance de pleins et de replis. Le bronze, luisant et sombre, semble alors le matériau le plus approprié à cette expression, mettant en avant la fluidité des reflets.  L’œuvre exposée : La Sirène, 1944 Bronze doré, 118 × 63 × 65 cm. La Sirène obéit à un rythme organique qui la gonfle, la soulève, la creuse et la magnifie dans un élan aquatique et voluptueux.

 

  •  D’autres expériences « 1 jour, 1 œuvre » : Maison d’arrêt de Nanterre, « Mon envie d’être seul » de Ben, mai 2019. Centre omnisports Pierre de Coubertin à Massy, « Papa Gymnastique » de Jean Dubuffet, sept 2019.