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Coronavirus : grande galère pour les très pauvres

Par Nathania Cahen, le 6 avril 2020

Journaliste

La pandémie de Covid-19 est terrible à vivre pour tous. Et plus encore pour les plus déshérités de notre société, ceux qui vivent dans la rue, dans des squats, des bidonvilles. Et même dans certaines cités. Ceux qui ne trouvent plus les bouts de ficelle habituels pour boucler leur semaine et remplir le ventre de leur famille. Ont-ils été oubliés ? Qui les aide et comment ? À Marseille, plusieurs associations ne lâchent rien. Qu’il neige, vente ou qu’il pleuve des microbes.

 

C’est une valeur sûre pour trouver à manger. Le camion-resto de la communauté Emmaüs ne quitte plus le square Stalingrad, en haut de la Canebière. Tous les matins de mardi à samedi inclus, de 100 à 140 sans-toit ou sans-le-sou défilent pour le petit déjeuner, distribué entre 7h30 et 9h : café, pain, brioche, pain au lait, gâteaux, fruits, compotes, au gré de la générosité des Marseillais. Puis une nouvelle file se reforme vers 11h, pour le déjeuner.

La grande galère des pauvres en temps de coronavirus
Le camion Emmaüs

« Nous avons été d’abord sidérés par le confinement. Comme tout le monde. On doit cependant aider ceux de la rue, quitte à braver les lois », explique Fabienne Sabatier. Cette bénévole « venue prêter la main » travaille dans la communication – « mais en ce moment, j’ai pas mal de temps libre ». Son rôle ce matin-là consiste à faire respecter les règles sanitaires et les gestes barrières. Un marquage au sol délimite l’espace entre chacun dans la file d’attente. En arrivant au camion, il faut se laver les mains avec une solution hydro alcoolique. Juste à côté, le local d’une association partenaire sert désormais à entreposer denrées et dons (bonus), déposés notamment par des gens du quartier, au retour de leurs courses. Ou par la Banque alimentaire qui livre des palettes de produits tout juste périmés en provenance d’hypermarchés.

 

La faim, plus criante que le risque de Covid

L’inquiétude concerne notamment ceux qui vivent entassés dans des squats et des bidonvilles de la ville, environ 1 300 personnes recensées, selon Tanina Ouadi, coordinatrice du programme bidonville de La grande galère des pauvres en temps de coronavirus 5Médecins du Monde. « Ce qui m’inquiète le plus reste la question alimentaire, alerte-t-elle. Devant l’injonction de ne plus faire les poubelles ou la mendicité, les ressources se tarissent. La majorité n’a pas d’argent pour faire des courses. La faim est plus importante que le risque de contamination ». Elle regrette l’absence de réponses et d’organisation des pouvoirs publiques : « Une première distribution a eu lieu vendredi, et encore, pour 283 personnes ! Heureusement que les maraudes solidaires et citoyennes reprennent et se multiplient ».

Sur le Cours Julien, le restaurant solidaire Noga carbure comme jamais : « Nous sommes passés à 1 200 repas par jour et avons recruté une vingtaine de bénévoles, témoigne Marie-Christine Gillot, sa directrice. Une grande chaîne de l’aide alimentaire s’est mise en place sur le territoire marseillais, coordonnée par la préfète déléguée à l’Égalité des chances, qui permet de préparer et distribuer une grande quantité de repas notamment via les maraudes qui vont sur les squats, les hôtels, les camps… » Elle apprécie la montée en charge de nouveaux partenaires comme Yes we camp, Le Cloître, ou Gourméditerranée. Et pour aider les familles les plus précaires dans les cités et les bidonvilles, il n’est pas rare que des enseignants ouvrent des cagnottes ou organisent la confection de panier-repas remplis par d’autres parents.

 

Manque d’eau et catastrophe sanitaire

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Square Sébastopol, une fontaine… sans eau

Pour les gens de la rue, c’est double peine à Marseille, ville qui compte très peu de fontaines, de points d’eau et de sanisettes (répertoriés sur cette carte). Or la plupart des foyers, accueils de jour, restaurants ou bars qui leur ouvraient la porte de leurs douches ou toilettes sont aujourd’hui fermés. Et le camion-douche du SAMU joue les fantômes. Sur 60 points d’eau, seule une moitié est en état de marche : une véritable catastrophe sanitaire ! Les compagnons d’Emmaüs ont installé une fontaine publique escamotable à côté de leur camion, avec une savonnette. « Et nous faisons désormais l’éducation sanitaire de tous ceux qui passent, souligne Fathi Bouaroua, co-président de la communauté Emmaüs Pointe-Rouge. Dès aujourd’hui, nous allons leur procurer des kits d’hygiène de base, comprenant une paire de gants, du gel hydro alcoolique et un masque alternatif ».

Jane Bouvier, de l’association L’école au présent qui soutient les enfants Roms et leurs familles, indique soulagée que le raccordement à l’eau a pu être fait sur huit sites. « Il n’y a plus d’accueil fixe ni d’actions de rue, j’espère que la solidarité joue par quartiers. La continuité pédagogique n’est pas l’urgence », glisse-t-elle. Parmi les commerçants adhérents de la Cloche Sud et toujours ouverts, une dizaine a ajouté l’accès à l’eau, et une poignée l’ouverture des toilettes, sur certaines tranches horaires et dans le respect des normes Covid. Toutes les associations réclament des dons en bouteilles d’eau et solutions hydro alcooliques.

 

Confinés… dans la rue

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Dalle de la Halle Puget.

Les bénévoles de Un coup de pouce aux migrants de la gare Saint-Charles ne baissent pas la garde. Même s’il n’en arrive plus, environ 80 migrants se trouvent toujours dans le secteur, sans abri, dormant souvent sur la dalle de la Halle Puget. « Les deux premières semaines ont été catastrophiques, c’était la panique, tous leurs points de chute avaient baissé le rideau, y compris dans la gare », raconte Claire Aussilloux, membre-fondatrice du collectif. Plus que jamais la collecte de biens de première nécessité et de matériel de camping doit s’intensifier (bonus).

De 160 adresses-refuges recensées par la Cloche Sud pour les sans domicile (centre-ville et quartier Castellane), un petit 20% est resté ouvert. Une carte interactive régulièrement mise à jour permet de trouver les commerces (épiceries, boulangeries, pharmacies, laveries…) où il est possible, selon les Coronavirus : grande galère pour les très pauvresservices affichés en vitrine, de se voir offrir un verre d’eau, une prise pour recharger son portable, la clé des toilettes… Mais aussi trouver des produits « suspendus », offerts par d’autres clients – un café, un plat chaud, un casse-croûte, ou même une lessive à La Buanderie. Yahel Guérin, directrice de la Cloche Sud, espère vivement que d’autres commerces ouverts se rallieront à la famille solidaire des pictogrammes bleus.

Et puis il y a l’absurdité de certaines situations. Le matin, à côté du camion Emmaüs et derrière une table pliante, William remplit ainsi à la demande des attestations de déplacement car le cas particulier des SDF n’a pas été pris en compte par l’administration. Ceux qui trouvent un lieu d’urgence ou un foyer ouvert pour passer la nuit doivent le quitter dès 7h. Pendant la journée, la rue devient de fait leur lieu de confinement. La police contrôle. Met parfois des amendes. « Ils nous les apportent le matin. On les fait suivre au préfet pour que l’administration les annule, raconte Fathi Bouaroua. On rajoute du stress au stress. Beaucoup ne comprennent pas. Certains ne savent pas lire ou ne parlent pas Français ».

 

Le Covid en embuscade

Sur la faim viennent se greffer la peur de la police, la fermeture de lieux ressources, l’absence de droits, ou des ordonnances non renouvelées. Nombre de personnes en situation de précarité connaissent le centre d’accueil, de soins et d’orientation de Médecins du Monde à Marseille (bonus). Toujours ouvert, mais en mode « dégradé » (comprendre que l’examen est avant tout un questionnaire), les consultations ont été montées à cinq matins par semaine, pour 8 à 10 patients quotidiens. Trois premiers cas de Covid ont été détectés la semaine dernière.

La grande galère des pauvres en temps de coronavirus 4Pour les bidonvilles qu’elle suit, Tania Ouadi évoque quelque 70 personnes présentant des problèmes de santé sérieux, et donc une vulnérabilité accrue, avec des traitements parfois interrompus. « Et qui souvent refusent les mises à l’abri dans des hôtels car ils redoutent d’être coupés de leur groupe, de manquer de nourriture. Dans certains départements, des internats ont été réquisitionnés, ce pourrait être une solution pour ces communautés ». Elle alerte : « Quand des premiers cas apparaîtront, ce sera catastrophique ! Certains gros bidonvilles sont de véritables poudrières. Sans parler de ceux plus petits, qui passent sous les radars et manquent de tout ». Médecins du Monde s’efforce de maintenir un contact, au moins téléphonique, avec chaque site. Et les tournées, comme au squat Saint-Just, où vivent 200 personnes (essentiellement des familles africaines et des migrants mineurs).
Ici, la situation est encore plus tendue qu’à l’accoutumée. « C’est très compliqué de sensibiliser aux risques de coronavirus, explique Cécilia, bénévole du collectif Saint-Just. Certains ne respectent aucune règle et estiment que c’est une maladie de blancs. Ou profitent de la situation pour créer des rapports de force. D’autres volent dans la réserve ou occupent la pièce que l’on a réservée pour les éventuels malades du Covid. Pour les migrants mineurs c’est très dur, nous aimerions les savoir ailleurs. Certains décompensent, dépriment… ». Et d’énumérer en vrac trois douches et quatre toilettes pour une centaine de jeunes, une cuisine, une machine à laver et 50 masques donnés par l’hôpital pour tout le squat… Heureusement, des associations comme El Mamba ou Emmaüs assurent le ravitaillement. Au moins cela.

Et tous de regretter d’une même voix l’absence d’une coordination, ou d‘une plateforme de régulation, qui permettrait d’orchestrer les besoins avec tous les dons et bonnes volontés qui se manifestent. ♦

 

 

Bonus

  • Quoi et où donner à Emmaüs – À déposer square Stalingrad, Marseille 1er, du mardi au samedi, en matinée. Les produits consommables immédiatement sans couverts et sans cuisson vont en priorité au camion. Les pâtes, conserves, farine et autre seront redistribués à d’autres associations comme l’Ampil (Association méditerranéenne pour l’insertion par le logement), les familles aidées par les enseignants de l’école primaire Peyssonel ou les Sœurs de la Charité.

La grande galère des pauvres en temps de coronavirus 3Les besoins alimentaires : du prêt à manger sans couverts tels flans, yaourts, compotes, gâteaux, biscuits, tartes, sandwiches, fruits (banane surtout, protégée par sa peau, qui tient au corps, et convient à ceux qui n’ont plus beaucoup de dents). Et des packs de petites bouteilles d’eau. Mais tout autre don alimentaire est bien venu et sera utilisé à bon escient.

Des produits d’hygiène : savons (si possible format hôtel qui tient dans la poche), dentifrice, brosses à dents, gel hydro alcoolique, masques et gants jetables, éthanol, alcool à 70° ou 90°, eau oxygénée, glycérine (pour fabriquer du gel hydro alcoolique). Les masques artisanaux doivent suivre le patron diffusé par le CHU de Grenoble. Du papier toilette et des paquets de mouchoirs en papier.

Exceptionnellement, car cela n’est pas dans la philosophie des Compagnons d’Emmaüs, des chèques à l’ordre d’Emmaüs Pointe-Rouge peuvent être envoyés à Emmaüs Pointe-Rouge, 110, traverse Parangon – 13009 Marseille.

Les 71 compagnons et compagnes de cette communauté sont confinés sur leur site à l’exception d’une poignée d’entre eux, comme Patrick et César, qui travaillaient dans des boutiques en ville et s’occupent désormais du camion. « Mais les offres d’aide bénévole explosent, nous en avons reçu près de 300 cette semaine », se félicite Fathi.

 

  • Les besoins de Médecins du Monde – Des soignants, et des personnes bénévoles à même de traduire certaines langues – Serbe, Albanais, Roumain, Bulgare… Des volontaires pour la réserve civique et les associations qui préparent actuellement des repas.Des dons sont possibles à partir du site de l’ONG. Le centre d’accueil se trouve 4, av Rostand, Marseille 3e. Tél. : 04 95 04 56 03.

 

  • Aider Un coup de pouce aux migrants – Le collectif a besoin de sacs à dos, sacs de couchage et tapis de sol, vêtements homme type tee-shirts, pulls et pantalons (tailles S et M), chaussures homme, accessoires de toilette. Pour déposer vos dons, prendre contact via ce mail : coupdepouce.migrants.stcharles@gmail.com Il y a aussi une cagnotte Leetchi qui récolte de l’argent en ligne, pour faire face aux besoins urgents.
  • Beaucoup d’infos pratiques –  Infos sur des distribution d’invendus, de repas, services ouverts… régulièrement mises à jour sur cette carte collaborative.