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Jours de confinement #S4

Par Olivier Martocq, le 11 avril 2020

Journaliste

– Chroniques de la vie d’un club de course marseillais pendant la parenthèse coronavirus –

Nous faisons partie de ceux qui ont compris toute la subtilité de l’analyse du Pr Jérôme Salomon, jeudi soir. Interpellé, lors de son baromètre quotidien de la pandémie, sur la notion de pic ou de plateau, le Directeur général de la Santé a lâché : « On est au 30e kilomètre d’un marathon ». Le fameux moment charnière que le coureur appréhende. Il sait qu’il n’est plus très loin, 12 kilomètres c’est son entraînement quotidien de base. Mais il est fatigué et cela lui paraît le bout du monde.

Dans l’épisode 3, le président du club évoquait le risque de délitement : « On a une pratique collective d’un sport individuel. Sans le groupe, peu d’entre nous s’y astreindraient », analysait Guillaume. Confirmation en cette semaine 4. Le confinement opère chez les marathoniens. Les plus motivés sont devenus – suprême insulte dans le microcosme – des joggeurs ! Les autres lisent et relisent les études qui démontrent qu’après une pause d’entraînement supérieure à 4 semaines, il faut pratiquement tout reprendre à zéro. Apprennent qu’ils ont théoriquement d’ores et déjà perdu 3 minutes sur le 5 km couru en 20 minutes au moment de l’interruption de l’entraînement. Que leur taux de graisse corporelle a augmenté de 12%, ce qui ne se traduit pas forcément sur la balance puisque le muscle pèse plus lourd. Pour éviter le blues, gros plan cette semaine sur les héros d’Endurance Passion 13 : les professionnels de la santé, ceux que nous applaudissons tous les soirs et qui représentent 15% de l’effectif ! Et ceux qui discrètement se rendent utiles à leur manière.

 

Antoine et Joséphine : « Moi, à fond. Elle, zen »

Le yin et le yang incarne parfaitement notre couple de médecins. La grossesse de Joséphine se passe bien mais le confinement reste de rigueur. La séance de yoga via YouTube est à l’image de ces journées qui s’enchaînent sur un rythme… lent. Pour Antoine, qui partage son activité entre l’unité spécifiquement dédiée au Covid de l’hôpital Saint-Joseph et SOS Médecins, le rapport au temps est tout autre. « Sur le plan médical, cette séquence est extrêmement intéressante car nous travaillons en équipe pluridisciplinaire pour décider des protocoles que nous allons appliquer. Et ce, pour chaque patient, en fonction des paramètres qui lui sont propres ». La course à pied le soir, sur un parcours exigeant autour de Notre Dame de La Garde est son exutoire et le maintient en forme. L’alcool a été banni de la maison, mais ce n’est pas le cas des pizzas. Le compte à rebours a commencé. Juin va vite arriver. Les travaux ont commencé dans la maison, la chambre sera prête. Et c’est Joséphine bien sûr qui suit le chantier !

 

Véronique. « On n’imagine pas tout ce qui est mis en œuvre pour vaincre la pandémie »

Elle fait partie des « Majorettes », trio féminin du club qui taille régulièrement des croupières à la section masculine. Mais elle a le triomphe modeste. Sur un triathlon où je pensais l’emporter haut la main, car elle n’en avait jamais fait, j’ai alors appris à mes dépends qu’adolescente, elle avait nagé en compétition. Véro est de ces personnes qui ne la ramènent pas et restent simples. Je savais qu’elle était pharmacienne. Jours de confinement #S4 1Qu’elle travaillait au CHU de la Timone. Mais alors qu’elle m’expose sa problématique de télétravail, je découvre qu’elle est maître de conférence et enseigne à distance aux étudiants de 4e année de pharmacie. Qu’elle coordonne des recherches cliniques entre hôpitaux publics et privés mais aussi des appels à projets pour des équipes de recherche fondamentale mobilisées sur le Covid 19. « Le rythme télétravail a été difficile à prendre, notamment parce que nous n’avions pas de logiciels adéquats. Maintenant, on est tous très efficaces ». Ainsi de ses étudiants, plus nombreux à suivre ses cours à distance qu’avant, dans les amphis. Sur la lutte contre le Covid, elle glisse : « De l’extérieur, on ne voit que les soignants et quelques infectiologues. Mais le travail du « deuxième rideau », les équipes ressources qui font de la recherche dans tous les domaines, est impressionnant ». Sa vie confinée se déroule sur deux tempos. Une semaine à quatre avec ses enfants. « Celle-là est riche et intense ». La semaine solitaire – une page de sa vie s’est tournée – est consacrée exclusivement au travail et au sport. Chaque jour, Véronique court une heure et fait une demi-heure de renforcement musculaire. Elle a fondu.

 

Olivier : « Il faut structurer son temps »

Il est celui qui nous donne le feu vert après le test d’effort. Avoir un cardiologue comme partenaire de Jours de confinement #S4 2course est un luxe inouï. Surtout quand on sait qu’il a fait des chronos. Couru des marathons en 3 heures… et 5 minutes. À notre niveau, on oublie volontiers ces 5 minutes qui, pour lui, sont la barre sous laquelle il rêvait de passer. Paradoxe du confinement à la Française, les cabinets de cardiologie sont fermés. « Sauf pour les urgences », explique le médecin qui estime qu’il va falloir changer de stratégie car les malades le demeurent (malades). « Ce sont des patients à risque face au virus, qui demandent une surveillance renforcée ». Sa journée de confiné commence à 5h30 : « Je n’ai pas changé mes habitudes ». Footing d’une heure tous les matins avec le chien. Puis enchaînement des séquences. « Une interview de Sylvain Tesson un matin sur France Inter a été le révélateur. Dans le livre Dans les forêts de Sibérie, l’écrivain raconte comment, face au vide des journées qui s’enchaînent, il faut structurer son temps. » C’est ce que nous faisons. À chaque heure sa spécificité : musique, lecture, cuisine, perfectionnement médical, etc. Parmi les nouveautés, une cuisine plus équilibrée, exclusivement à base de produits frais, notamment les fruits et les légumes. Un petit verre de vin chaque soir. Olivier ne buvait jamais d’alcool à l’exception notable d’une pinte de bière après chaque marathon. « J’ai perdu 2 kilos ».

 

Saïd : « La même médecine pour tous »

Son cabinet situé boulevard Oddo, derrière le marché aux Puces, ne désemplit pas. Saïd ne reçoit plus Jours de confinement #S4 3désormais que sur rendez-vous et a limité le nombre de sièges de la salle d’attente. « Les gens viennent parce qu’ils sont inquiets dès qu’apparaît un signe mais aussi pour échapper au confinement ». Certaines familles dans le quartier se retrouvent à six dans un deux-pièces, sans extérieur. « C’est comme s’ils étaient incarcérés », analyse le médecin, confronté à tous les problèmes psychiques d’une population confinée dans des conditions extrêmes. Sa grande fierté est d’avoir pu se procurer des tests dès la première semaine et de continuer ainsi à dépister les malades atteints du Covid sept jours sur sept. Pour pouvoir ouvrir toute la semaine, il a reçu le renfort de confrères. Et il a imposé un confinement draconien aux siens : « C’est moi qui fais les courses ». La seule sortie autorisée pour les cinq autres membres de la famille est la promenade du chien : « Il n’est jamais autant sorti, pour lui c’est la fête ! » Saïd qui, dans sa jeunesse, bouclait le semi-marathon en 1h18 se remet doucement à la course. « Deux fois par semaine, pour l’instant ». Mais il est résolu à attaquer le marathon. Chiche Saïd !

 

Marie : « Les gens sont de plus en plus inquiets »

Dans sa pharmacie, la baisse de la fréquentation est notable : « Les gens respectent le confinement. Ceux qui viennent en revanche sont de plus en plus angoissés ». Marie doit répondre à de plus en plus de signes Jours de confinement #S4 4extérieurs de mal-être, « maux de ventre, tension en hausse ou en baisse, maux de crâne immédiatement assimilés au virus ». Le confinement qui se prolonge est, pour les personnes âgées notamment, une source d’angoisse, note-t-elle. Tout comme l’impossibilité de fêter Pâques en famille. Parmi les notes positives de cette crise, une révolution dans la coordination de la chaîne médicale : « Les ordonnances arrivent par mail, certaines mentionnant la livraison de médicaments, ce que nous faisons volontiers ». Au chapitre personnel, RAS. Marie court deux fois une heure par semaine. N’a pas pris un gramme grâce à un changement dans l’alimentation. Confinement stricte oblige, c’est elle qui fait les courses : « Uniquement des produits frais chez les petits commerçants du quartier ». Mais ce sont les enfants et son mari qui sont en cuisine !

 

Nathalie : « Au boulot, c’est plus difficile »

C’est plus difficile, et pour cause ! La collectivité publique qui l’emploie a affecté notre ingénieure sanitaire préférée au groupe qui travaille sur la problématique des décès liés au Covid-19 : anticiper le risque de Jours de confinement #S4 5saturation des chambres funéraires et crématoriums, la protection des personnels travaillant dans ces établissements. Ce qui semble rôder au loin est désormais tangible sous la forme de statistiques et de probabilités. « Au début, j’ai géré de manière technique et distanciée. Mais au bout d’une semaine, j’ai eu un gros coup de blues ». Pour se défouler, elle va courir tous les deux ou trois jours, à l’aube, quand Marseille est quasi déserte. Et pour voir du monde et se rendre utile, cette confinée solo a passé le week-end dernier à aider l’équipe de Noga à emballer des repas (selon les stocks, un plat chaud ou un sandwich, une compote ou un fruit, un yaourt, des chips, parfois du fromage et un gâteau). « Mais on ne discute pas tant que cela, il faut rester concentré pour compter les portions ! » Elle passait souvent devant ce restaurant solidaire du Cours Julien et ne manquait jamais d’échanger quelques mots avec les employés. Elle y sera de nouveau aujourd’hui.

 

Anne-Laure : « Une semaine bien chargée »

« Le père du médecin du site [ndlr- entreprise du pourtour de l’étang de Berre] est décédé du Covid, forcément cela nous a mis un coup. Nous avons tous été testés vendredi, et attendons les sérologies. Et chez les salariés, on sent davantage de stress. Il y a chez tout le monde une fatigue psychologique certaine. Même si toutes les barrières sanitaires sont bien en place », rapporte l’infirmière du club. Anne-Laure confesse avoir pris trois kilos : « J’ai pas mal compensé, et je ne suis toujours pas très motivée pour décrocher les baskets ! » Mais elle s’astreint désormais à des exercices d’abdos et de gainage le soir, vidéo YouTube en appui. Les kids vont bien ? « Je les découvre dégourdis et volontaires. Mais ils ont hâte de retrouver leurs copains… et même l’école ! ». Ils passeront leur première semaine de vacances confinés chez leur père.

 

Aziz : « On cuisine beaucoup depuis qu’il n’y a plus cantine ! »

Jours de confinement #S4 6C’est le temps du répit pour l’éducateur spécialisé de la Maison d’enfants Les Mouettes. Mais même loin, il pensera aux jeunes pensionnaires et passera quelques coups de fil. Deux animatrices ont carrément choisi de s’installer sur place une semaine complète, pour meubler ces drôles de vacances. Depuis jeudi, Aziz passe beaucoup de son temps libre dans le jardin partagé des Fadas Bucoliques, qui jouxte sa résidence. Et qu’il a contribué à créer voilà cinq ans. Je le dérange en pleins travaux de jardinage : « Je suis en train d’aérer la terre pour une nouvelle parcelle d’herbes aromatiques ». Ses filles et sa femme, infirmière libérale, lui donnent un coup de main. Il rappelle les principes qui ont accompagné la création de ce joli jardin paysager et potager, voilà cinq ans : « C’est davantage pour partager une activité, se rencontrer, que pour distribuer des salades. Et puis nous faisons pousser beaucoup de fleurs pour le plaisir des yeux ! ». Il court une dizaine de kilomètres tous les deux jours. « Mais j’ai quand même pris deux kilos car on cuisine beaucoup depuis qu’il n’y a plus cantine ! »

 

Karine : « Déjà une baisse de salaire »

Directrice d’une agence Club Med, elle s’inquiète pour l’avenir de son entreprise et de son équipe : « Une Jours de confinement #S4 7catastrophe. Plus les semaines passent, plus on mesure l’ampleur des dégâts pour le tourisme. C’est mort pour cet été. Pour nous tous, c’est déjà une baisse de salaire car les primes n’ont plus lieu d’être. Et notre modèle économique va devoir évoluer – ce qui peut à terme être positif… ». Pas mieux pour son mari Hocine, qui fait le même métier qu’elle. En chômage partiel, Karine s’était inscrite sur la plateforme de la Réserve civique. Et cette semaine, deux heures par après-midi, elle s’est occupée de migrants mineurs non accompagnés – une heure par jeune, pour du soutien en Français, une activité physique ou des courses de première nécessité. Et elle est ravie : « Le contact s’est établi très facilement. Les jeunes sont adorables, ça casse un peu la monotonie de leur quotidien et une certaine solitude. Et puis ils rencontrent une madame Toulemonde qui n’est ni éduc-spé, ni avocate ». Sinon, à la maison, le confinement à quatre tient la route, même si le projet d’apprendre toutes les capitales du monde a pris du retard. Et même si la cuisine « part un peu en vrille », mais recourt beaucoup aux producteurs locaux ! ♦