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Jours de confinement #S5

Par Olivier Martocq, le 18 avril 2020

Journaliste

Marathon de Vienne, édition 2019.

– Chroniques de la vie d’un club de course marseillais pendant la parenthèse coronavirus –

Ce samedi, nous aurions dû être à Vienne, dans les starting-blocks. Après avoir flâné dans les rues et visité un musée, en fin d’après-midi, il y aurait eu le traditionnel brief de veille de marathon. Le déroulé « technique » de « coach Marco » avec un support numérique pour bien visualiser les moments durs comme les dénivelés –mais, pour une fois, il était de zéro car, si je me souviens bien, c’est le critère qui avait fait basculer le vote en faveur de Vienne au détriment de Cracovie. Autres détails importants du parcours, les monuments qui auraient signalé la fin prochaine du calvaire, synonyme pour ceux « qui sont encore en jambes » d’une ultime relance. Le point météo aurait eu toute notre attention. Le vent notamment qui, à chaque fois, bizarrement souffle toujours de face ! La conclusion aurait invariablement porté sur la vérification du matériel, « surtout pas de chaussettes neuves », et le risque lié à l’abus des gels énergétiques. Cette séance se serait achevée sur une mise en condition psychologique. Le travail d’Elsa, ancienne de l’équipe de France de tennis, qui essaie de faire entrer en nous la notion de dépassement. Oublié, ce scénario de « Retour vers le futur ». Retour à notre présent confiné.

 

Guillaume : « La justice suit son cours »

Jours de confinement #S5 6Le président surbooké a trouvé le temps d’ouvrir sa boîte à outils pour réaliser un sondage exclusif (bonus) : « Il s’agit de contextualiser et scientifiser cette analyse hebdomadaire de l’effet du confinement sur la population cible suivie par Marcelle ». Plus de la moitié des marathoniens d’Endurance Passion 13 (28 précisément) ayant répondu, nous sommes effectivement bien au-delà des critères en la matière puisque les sondeurs travaillent sur des panels de 1 000 à l’échelle de 60 millions. Sur sa vie de confiné, Guillaume est peu prolixe. Alternance de ses filles à la maison. Faire la cuisine chaque jour n’est plus vraiment un jeu doublé d’un plaisir : « J’ai fait le tour de toutes les recettes à base de légumes frais ». La bonne nouvelle c’est que le tour de taille continue à rétrécir et ce, malgré deux verres de vin chaque soir. Sa vie professionnelle en revanche à de quoi surprendre. Cet expert financier reconnu auprès des tribunaux a du travail par-dessus la tête. Les magistrats, comme les avocats, n’ont aucun problème avec le télétravail. Les procédures devant les cours d’appel ou de cassation se poursuivent normalement. Écrites, elles sont jugées sur dossier. « Les audiences sont suspendues mais la justice suit son cours », résume-t-il.

 

Agathe : « Des cours de gym avec ma cousine danseuse au Moulin Rouge »
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Agathe, en bas à droite

C’est une des boute-en-train du club ! Toujours le sourire et la bonne humeur en bandoulière. Vienne devait être son premier marathon mais elle n’en connaîtra peut-être jamais car en cours de préparation sa hanche lui a joué des tours. « Dégénérescence des ligaments, pas de bon augure », râle-t-elle. Une grosse perte pour le club car elle fait partie de la section « jeune ». Agathe est gestionnaire du lycée agricole des Calanques, à Marseille. Budget, hygiène, sécurité, patrimoine… sont au nombre de ses compétences. Comme le proviseur, la CPE (conseillère principale d’établissement), le chef d’équipe de maintenance et le chef cuisinier, elle vit avec sa famille sur le site… 8 hectares à se partager, elle ne boude pas son plaisir ! « Mon fils fait du vélo, s’est construit une cabane ». Les 196 élèves (dont 64 internes) ne sont plus là, mais il y a du boulot, « administratif, et surtout pédagogique puisque les cours en ligne ont été mis en place. Et avec la CPE, nous désherbons aussi ! » Les ruches ont récemment pris le chemin de la transhumance et regagné à Gap. Les champignons de Marseille tournent au ralenti faute de restaurants ouverts. Tout juste livrés, les plants de fruitiers et de légumes vont être mis en terre avec le soutien de l’association Cultures Permanentes.

Son mari est policier en civil, branche anti-criminalité. « Il travaille sur un rythme 12 jours de travail, 12 de repos. Je m’occupe des enfants pendant les vacances, il prendra la relève ». Agathe ne court plus (sa hanche), mais marche, fait du yoga avec sa fille et surtout, plusieurs fois par semaine, suit le cours de gym qu’une cousine danseuse au Moulin Rouge donne à toute la famille !

 

Carine : « Maman est décédée hier »

Jours de confinement #S5 2Plusieurs d’entre nous ont reçu mercredi un sms qui commençait par « Bonjour, Maman est décédée hier… » Nous savions sa mère très malade, en fin de partie contre une sale maladie dégénérative. Carine nous rassure : « Ça va. C’est mieux. Elle n’était plus avec nous depuis un moment, et je préférais déjà en parler au passé, quand elle était encore la femme de tête, une médecin-anesthésiste appréciée ». Commerciale dans la grande distribution, Carine est au chômage partiel, confinée chez elle avec son mari, et leurs deux jeunes adultes. « Mais les choses bougent, se félicite-t-elle. Je suis inscrite sur la plateforme Protection civile et je me rends utile : j’appelle une trentaine de personnes âgées chaque jour pour savoir si tout va bien, si elles ont leurs médicaments, de quoi manger. Pour papoter. » Son fils, qui vient de terminer des études de commerce et cherche du travail, va lui rejoindre la réserve militaire, en attendant. « Je profite de la période pour me mettre à la cuisine. J’aide ma fille pour ses dossiers à la fac, mon fils pour ses lettres de candidature. Et je cours à nouveau, le matin tôt, près de la maison ».

 

Joséphine et Antoine : « Des baignades volées »

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Nos deux jeunes médecins, elle enceinte de 6 mois donc privée de son poste d’urgentiste à l’hôpital nord. Lui qui assure des gardes Covid entre l’hôpital de Martigues et Saint-Joseph. C’est elle qui raconte cette fois. Les virées jusqu’au compost du théâtre Silvain qui sont l’occasion de marcher. Les baignades volées à Malmousque : « chacun son tour, avec l’autre qui fait le guet ». La cuisine, soupes, piperade et tartes, avec le panier de l’Amap et les poissons du Vallon des Auffes. Le jardinage : des boutures de glycine, des plants de basilic et de tomates. L’initiation aux échecs : « Je n’ai pas encore réussi à le battre malgré deux pièces de handicap !» Et la quête d’une sage-femme pour des cours de préparation à l’accouchement… en visioconf’. La médecin refait surface quand sa jeune voisine lui fait part de ses douleurs au dos et crampes d’estomac liées à un stress très fort. Mère « fouettard » quand, le soir, elle houspille la même et des jeunes du quartier qui philosophent « de trop près », sans masques et sous ses fenêtres !

 

Laurent : « 100 commandes en pizza-drive »

Jours de confinement #S5 4Le restaurateur de la bande reprend du service. Sa pizzeria La Pinède est fermée. Mais après avoir œuvré bénévolement pour des soignants, pressé par ses copains et par des habitués, il a décidé de rallumer le four à bois. Il ne s’attendait pas à un tel succès : « J’avais prévu une livraison samedi soir mais, très vite, je me suis retrouvé avec plus de 50 commandes ! Du coup, j’ai rajouté vendredi, aussi vite rempli ». Ses enfants (10 et 15 ans) sont venus lui donner un précieux coup de main. La solidarité du club a bien fonctionné aussi : c’est Aziz, l’éducateur spécialisé, qui a assuré la distribution dans sa résidence, et Hocine le directeur d’agence de voyages, celle du 7e arrondissement. Les consignes gouvernementales ont été scrupuleusement respectées. Hier soir, nous étions plusieurs à nous frotter le ventre… « Cet élan de solidarité, tous ces gens qui veulent aider, ces clients qui m’arrêtent dans la rue… Cela fait vraiment plaisir ! » Laurent ne s’épanche pas mais, comme beaucoup de professionnels de la restauration, il connaît des temps très durs.

 

Saïd : « Ne rien lâcher »
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Saïd, au centre

On s’est retrouvés hier sur le parking de l’Espace Santé situé devant la station de métro Capitaine Gèze. Une tente rouge y est désormais dressée tous les matins en semaine par les Marins Pompiers. Saïd fait partie de ceux qui se sont mobilisés pour obtenir l’ouverture de ce poste avancé de détection du covid dans les quartiers nord, à deux pas de son cabinet médical. « Le confinement est rendu très difficile par la promiscuité dans les appartements. C’est aussi dans ces quartiers que vivent bon nombre de ces personnels aujourd’hui encensés, mais considérés jusqu’à l’apparition de l’épidémie comme du sous-prolétariat ». Notre médecin s’est battu dès le départ pour obtenir pour ces populations les mêmes moyens qu’ailleurs en ville.  Dossier porté au niveau politique par le député LREM du secteur. Un autre Saïd… Ahamada ! L’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM) ouvre donc un second lieu pour effectuer les tests de dépistage du Coronavirus. Gratuitement et sans ordonnance. Une première en France. « De toute évidence, il y a un effet Raoult ». Week-end en famille pour Saïd qui a travaillé 7j/7 ces dernières semaines. La routine s’est installée avec un programme strict pour chacun. Gros bénéficiaire de cette situation, Isly, le labrador qui bénéficie de 5 ou 6 sorties par jour.

 

Nathania : « Passer le balai me vide la tête »

« Ma femme est formidable », claironne souvent un de nos amis communs. À qui j’emprunte la formule. Comme Nathania relit et corrige mes articles, je sais qu’elle ne va pas apprécier ce paragraphe. Mais cette fois, je ne l’ai pas laissée exercer son droit de censure. Elle n’a eu de prise que sur l’orthographe, une de mes faiblesses professionnelles. Sa vie confinée ressemble finalement assez à sa vie normale. Jours de confinement #S5 12Marcelle accapare les deux tiers de son temps, entre les conférences de rédaction par visio -moins fun que celles d’avant au bistrot- le chemin de fer de la semaine qui s’ensuit, les articles à écrire pour ce média qu’elle a lancé il y a un an et demi. Et qui, depuis le confinement, connaît une croissance exponentielle du nombre de ses lecteurs – jusqu’à 160 000 lectures d’un article sur Didier Raoult. En dehors de son métier (elle écrit aussi pour ELLE et Essentiel Santé Magazine), il y a encore et toujours la course à pied. Celle que je ne suis parvenu à battre que sur semi, jamais sur marathon, court encore trois fois par semaine. Le parcours donne lieu à débat, à chaque fois. Quand elle a envie de montées, je préfèrerais du plat et inversement. Sur le rythme aussi les discussions sont vives. Elle part trop lentement. S’arrête pour prendre des photos de Marseille déserte. Casque vissé sur les oreilles – avec une bande son spécial covid – je ne supporte pas de revenir sur mes pas. Le final est sans grande surprise. Souffle court et coup de mou pour moi. Accélération et pleine forme à l’arrivée pour elle. La cuisine est devenue mon domaine. Le ménage, le sien. « Passer le balai me vide la tête », m’affirme-t-elle quand je propose de partager cette tâche. Chaque soir apéro, juste après les applaudissements auxquels elle participe systématiquement en agitant frénétiquement un paquet de lentilles. Je reste, moi, le plus souvent en retrait parce que, par principe, je refuse tout rituel. Le vin est souvent rouge et toujours choisi avec amour ! ♦

 

  •  Bonus : Le sondage avec 28 réponses sur 42 coureurs

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