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Profiter du confinement pour… compter les oiseaux

Par Agathe Perrier, le 23 avril 2020

Journaliste

La Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) diligente une opération de recensement des individus à plumes nichant dans les jardins français. Le but ? Aider les chercheurs à comprendre pourquoi ils s’aventurent chez nous. Cela ne prend que quelques minutes par jour ou par semaine, et c’est très distrayant en ces temps de confinement. À faire seul, à deux ou en famille, en Provence comme aux quatre coins du pays !

 

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Une bergeronnette grise

Je me prête à l’exercice depuis une bonne semaine. Tous les matins, je me poste à l’entrée de mon jardin et j’observe. Je n’ai aperçu jusqu’à présent que deux petites bergeronnettes grises, identifiées grâce au guide en ligne. Chaque fois, j’ai rendu compte de cette information en remplissant le questionnaire en ligne dédié à cette opération, baptisée « Oiseaux des jardins ». « L’idée est de connaître les oiseaux qui viennent dans les jardins et surtout de comprendre pourquoi », glisse Marjorie Poitevin, responsable de ce programme – parmi tant d’autres – au sein de la LPO (bonus). Les jardins sont des endroits où les oiseaux ont l’habitude de se poser. Un espace privé des plus instructifs, mais auquel les professionnels n’ont pas accès pour faire du comptage ou du suivi. D’où l’idée de confier ce recensement à la population elle-même. De la science participative, comme on dit dans le jargon.

 

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Des moineaux domestiques © Michel Wöhrel
Le boom du confinement

La LPO et le Muséum national d’Histoire Naturelle – cofondateur de l’opération – ont présélectionné une cinquantaine d’espèces courantes à répertorier. Autant certaines se distinguent facilement par leurs couleurs, autant d’autres se ressemblent au premier abord. Pas forcément facile lorsque l’on est novice, mais, rassurez-vous, on prend vite le pli. De la documentation est à disposition et l’œil s’affûte petit à petit. Les quelques minutes quotidiennes deviennent un grand bol d’air, dans tous les sens du terme.

Les Français sont de plus en plus nombreux à jouer le jeu (bonus). Confinement oblige, on a plus de temps, voire des enfants à occuper. « C’est très intéressant de le faire en famille », incite Marjorie Poitevin. Le succès se mesure simplement : la plateforme Oiseaux des jardins a enregistré davantage de recensements en trois mois et demi que sur toute l’année passée ! Soit plus de 150 000 comptages pour 8 500 participants. « On sait qu’après le confinement on va en perdre une partie. Mais on espère que chacun se sera rendu compte de la biodiversité établie dans son jardin et que certains participants resteront », positive la spécialiste.

Il ressort de ce mois de confinement que les oiseaux les plus présents dans nos bosquets et jardinets sont le moineau domestique, la mésange charbonnière, le pinson des arbres, la mésange bleue et le merle noir. Rien d’exceptionnel cependant. « C’est tout à fait normal. Ce sont les espèces qu’on aperçoit le plus en cette période et qui fréquentent facilement les jardins », sourit Marjorie Poitevin.

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Un merle noir mâle © M. Rossy
15 minutes par semaine suffisent

Être régulier, assidu et exhaustif, voilà les seules demandes que la LPO adresse aux participants du programme. « L’important est de faire le recensement sur la durée. C’est pourquoi on préconise d’y accorder 15 minutes par semaine tout au long de l’année », souligne Marjorie Poitevin. La plateforme compte 15 000 observateurs aujourd’hui dans la France entière (bonus), contre 3 000 à ses débuts. « Certains ne participent qu’à nos comptages nationaux de janvier et mai depuis le lancement. C’est très intéressant car cela nous donne une vision chaque année, au même moment et au même endroit. C’est plus facilement analysable ». À chacun de choisir sa fréquence évidemment, en gardant en tête que la régularité est la clé pour les chercheurs.

Que font les scientifiques d’ailleurs de l’ensemble des données récoltées ? Comme l’explique la responsable du programme, ce dernier n’a pas vocation à donner des « résultats extraordinaires ». « Le but des sciences participatives est de compléter ou préciser d’autres travaux de recherche. Ce sont des plus-values non négligeables ». Les informations de l’observatoire des Oiseaux des jardins viennent notamment appuyer le STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs). La « bible » pour savoir comment se portent les communautés de l’Hexagone, enrichie depuis 1989. Les deux études présentent des résultats identiques au sujet de certaines espèces, qui s’avèrent des plus inquiétantes.

Des chiffres alarmants au niveau national

« Entre 1989 et 2019, les effectifs des oiseaux communs dans leur ensemble ont diminué de 15% », peut-on lire en conclusion du dernier rapport du STOC. Le chardonneret élégant, par exemple, a perdu 35% de sa population en moins de 20 ans. Pour la mésange noire, les scientifiques français estiment que 40% des individus ont disparu sur cette période. C’est même un déclin de 50% concernant le moineau friquet. Les cas d’école ne manquent pas. Marjorie Poitevin résume la situation : « Les oiseaux des milieux agricoles sont ceux qui ont subi le plus gros impact depuis 1989 de par les changements intervenus dans le secteur, qu’il s’agisse des systèmes d’exploitation ou de l’utilisation des pesticides… De façon générale, les espèces des milieux agricoles, bâtis et forestiers se cassent la figure ».

Heureusement, le tableau n’est pas complètement noir. Parmi le flot de données, il ressort que « les oiseaux généralistes, pouvant vivre dans des milieux très variés, de la ville aux forêts et aux plaines céréalières, ont augmenté de 22% », souligne le STOC. Ce que confirme la responsable de la LPO : « Les espèces généralistes arrivent à ne pas trop disparaître car elles s’adaptent plus facilement, se contentent de milieux très variés pour nicher ». Et d’ajouter : « L’évolution de la population d’une espèce dépend de ses capacités d’adaptation ». Triste réalité.

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© STOC
La région Paca ne fait pas mieux

Au niveau régional, la situation est quasiment similaire à celle de la France entière. Sur la période 2003-2017 (voir graphique ci-dessous), il ressort du STOC qu’en Provence-Alpes-Côte d’Azur, les espèces des milieux bâtis et forestiers sont en baisse. Et ce « malgré l’urbanisation croissante et l’expansion des surfaces forestières de la région », précise le rapport. Idem pour les espèces agricoles, à rapprocher de la « disparition des terres cultivées au profil de l’urbanisation ».

Les dernières lignes du rapport sont encore plus inquiétantes que les résultats nationaux : « Les effectifs des espèces généralistes diminuent également (-62%) sans que l’on puisse expliquer le phénomène. Ces tendances seraient le témoin d’une dégradation générale de la biodiversité ordinaire ». Il est donc urgent de protéger notre environnement. Dans l’espoir de sauver les oiseaux et la faune de façon générale. Les preuves s’accumulent et amènent à la même conclusion : il faut agir, et vite. ♦

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© Bilan du programme STOC-EPS en région Paca, CEN Paca
Bonus –
  • Une règle importante pour participer : d’ordinaire, tout le monde peut recenser les oiseaux puisqu’il est possible, si l’on n’a pas d’extérieur propre, de faire le comptage dans un parc public. Avec le confinement, seules les personnes disposant d’un jardin ou d’un balcon peuvent participer. Si votre fenêtre donne sur le jardin de votre voisin, par exemple, ça ne marche pas. « Simplement car on demande des informations que seul le propriétaire peut connaître, comme l’utilisation ou non de pesticides », explique Marjorie Poitevin. Second détail d’importance : on compte les oiseaux qui se posent dans le jardin ou dans les arbres, pas ceux qui ne font que les survoler.

 

  • Où se trouvent les observateurs les plus assidus ? Si des jardins participants sont répartis partout en France, certains territoires contribuent plus que d’autres. C’est le cas du Pas-de-Calais, la Loire-Atlantique, les Yvelines, l’Isère et le Maine-et-Loire. « C’est souvent le reflet de la concentration de population », souligne Marjorie Poitevin. Ainsi, le Gers, le Cantal ou la Lozère, départements moins peuplés, enregistrent le moins de recensements. Côté Paca, le Var est le premier département contributeur de la région (39e position au national).
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  • Plus d’infos sur la LPO : La LPO a été créée en 1912 afin de mettre un terme au massacre du macareux moine en Bretagne, oiseau marin, devenu depuis son symbole. Elle a été reconnue d’utilité publique en 1986. Avec 57 000 adhérents, 8 000 bénévoles actifs et un réseau d’associations locales actives dans 83 départements, c’est la première association de protection de la nature en France. Elle œuvre au quotidien pour la protection des espèces, la préservation des espaces et pour l’éducation et la sensibilisation à l’environnement.

 

  • Compter aussi les papillons, les insectes pollinisateurs et les chauves-souris ! Cette période du confinement est propice au recensement des oiseaux mais pas que. D’autres programmes de sciences participatives existent dont le but est d’observer et compter les papillons et les bourdons, de photographier les pollinisateurs qui s’aventurent sur une fleur, de réaliser un suivi acoustique des chauves-souris lors de leurs activités de chasse. Si vous souhaitez participer à l’une de ces opérations, toutes les infos sont regroupées ici.

 

  • À (re)lire : Le confinement profite-t-il à la nature ? Notre reportage sur le sujet en cliquant ici.

Une bouffée d’oxygène pour la nature ?