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Jours de confinement #S6

Par Olivier Martocq, le 25 avril 2020

Journaliste

Challenge du club en 2017

Très en vogue les premiers jours, les chroniques sur le confinement signées par des stars de la littérature, de la politique, du sport ou de la pensée se sont progressivement interrompues. Les médias se sont rendu compte – via les systèmes de calcul de l’audience- que ça n’intéressait plus les lecteurs (ou les auditeurs). En dehors de quelques égocentrés qui partagent chaque jour leur quotidien sur les réseaux sociaux, cette page « covidique » est tournée. Sur Marcelle, l’aventure -programmée au départ pour un mois- se poursuit car les lecteurs sont au rendez-vous et réclament la suite. Cela tient sans doute à l’éclectisme tant par l’âge, les professions et les modes de vie des membres de ce club de course à pied. Ces récits sans filtre illustrent la palette de nos comportements, émotions, questionnements face à une situation inimaginable il y a encore… trois mois. Une éternité !

 

Alexy : « Mon challenge, une heure et demi de muscu chaque jour »

Jours de confinement #S5 14Avec Alexy on entre dans une autre dimension. Le benjamin du club, 23 ans, ne lâche rien. Il nous avait déjà interloqués en revenant avec la médaille du Spartan Race. Il avait bouclé les 48 kilomètres de courses ininterrompues en mode commando en 8 heures et 26 minutes. Un mental d’acier qui devrait lui permettre de s’attaquer à Hocine, notre leader-marathon incontesté. On attend le choc des titans car Alexy semble plus affuté que jamais. « Je me suis fixé une heure et demi de sport par jour et je m’y tiens ». Quand on entre dans les détails, on comprend la nature du challenge : « 540 abdos, 100 tractions, 200 pompes et 500 squats ». Écœuré, je préfère changer de sujet. L’étudiant en 2e année de master ergonomie du sport reste strictement confiné chez ses parents. Prépare ses partiels. Ne sort que pour faire des courses. Mène une vie sociale effervescente avec ses pairs via les réseaux sociaux. Temps fort de la journée, l’apéro Face Time : « Vive la technologie ! » Il boit et ne se refuse rien au niveau de la nourriture. Pizzas et hamburgers à gogo. Détail qui énerve, il a quand même perdu trois kilos !

 

Alain : « À 24 heures près, l’antenne était immergée par moins 2 500 mètres ! »

Alain est une énigme pour moi. Ingénieur au CNRS, il est spécialiste de choses que je ne comprends pas. Au détour de la conversation, j’ai ainsi appris que les astronomes se servaient d’antennes de 400 mètres de hauteur, immergées dans les grandes profondeurs. « Pas de rayonnement parasite et l’eau est un milieu transparent. C’est logique ». Lui qui alterne entre le laboratoire, le pont d’un navire et des conférences, se retrouve un peu à l’étroit confiné en télétravail. « Je suis très inquiet pour les PME que nous faisons travailler. Certaines, totalement à l’arrêt en ce moment ne se relèveront pas. Je dois tout faire pour les aider ». Il sort peu car sa femme est considérée à risque. Cuisine beaucoup, avec maestria. Regarde des films en noir et blanc des années 60. À défaut de course dans la colline proche, il accompagne sa fille dans ses séances d’abdos-fessiers : « 45 minutes à suivre une gymnaste sur Youtube, jamais je n’aurais imaginé faire ça ! C’est éreintant ». Il s’inquiète pour ses oliviers des Mées. Son autre grande passion car il est aussi oléiculteur professionnel. Chaque année, on va jouer du râteau dans ses arbres au moment de la cueillette – une faveur, car j’ai appris qu’il gardait une petite parcelle pour nous faire plaisir, tandis qu’avec les pros, il s’attaque au « vrai travail ». Mais on l’accompagne avec notre récolte au moulin. Son huile d’olive « Les Mées » se retrouve dans les cuisines des plus grands chefs. Et donc aussi les nôtres…

 

Ana Maria : « J’ai un peu baissé les bras ! »

Jours de confinement #S5 20Curieuse entrée en matière pour cette battante. Ana Maria c’est l’icône du club ne serait-ce que parce que c’est celle qui a le plus beau palmarès. Aujourd’hui dans la catégorie « Master 7 », elle fait toujours partie de l’élite française des marathoniennes. N’est jamais passée au-delà de la barre des 4 heures. A même déjà raflé le titre de championne de France du semi-marathon. Ce qui en dit long sur ses performances quand on sait qu’elle taquine le jubilé et demi. « J’attends que ça passe. Je reste strictement confinée, je ne veux pas attraper cette cochonnerie ». Ana Maria est classée à risque en raison d’un cancer vaincu il y a 8 ans. Elle est catastrophée par les images qui défilent à la télévision et pense au monde d’après. « Pas pour moi tu sais, pour tous ces jeunes qui vont se retrouver sans travail. C’est terrible ». À la maison, la vie s’écoule lentement. « Mais je n’ai pas le temps de m’ennuyer ». L’esthéticienne à la retraite cuisine pour son mari et son fils. Les « churros » sont la friandise en vogue – « Tu sais, c’est les chichis Frégi ici ! » Les r sont roulés, l’accent ibérique ressort. Madrid lui manque !

 

Thierry : « C’est curieux la vie ! »

Jours de confinement #S5 15Le confinement l’a vraiment pris par surprise et il n’a eu que quelques heures pour faire deux choix difficiles. Quitter ou pas son appartement en centre-ville ? Il y avait balance car la maison tout juste achetée sur les hauteurs de La Ciotat était remplie de gravats, et les travaux venaient à peine de commencer. Son amie, Sylvie, médecin à Toulouse, devait-elle le rejoindre ? « La maison, j’ai attaqué à la pelle et la pioche. Sylvie est avec moi et travaille en téléconsultation. Elle n’aurait pas pu faire plus à Toulouse ». Et le plombier de notre bande de raconter sa vie entièrement nouvelle. La construction d’un poulailler pour trois poules qui pondent depuis le début de la semaine. La création d’un potager qui commence à donner des tomates. Une antenne dressée pour servir de relais téléphonique car il est en bout de ligne et son internet était faiblard. Des travaux dans la maison mais aussi à l’extérieur, car il y a des chantiers qui ne peuvent plus attendre. « Avec les maîtres d’œuvre, on a élaboré un système qui fait que chaque corps de chantier qui intervient ne croise pas les autres ». Côté sport, là encore c’est une nouveauté et la chance d’être à proximité d’un immense parc privé que le propriétaire le laisse sillonner. « On court tous les deux jours, sans croiser personne ! ». Thierry, triathlète avec plusieurs Ironman à son palmarès – c’est le seul du club à avoir osé se mesurer à cette épreuve- a laissé tomber, et le vélo, et la natation. « Les courses sont annulées les unes après les autres. Je n’ai plus de motivation ».

 

Marco : « Je vais suivre vos perfs à distance ! »  

Jours de confinement #S5 16Marco le retour ! Au niveau professionnel, le télétravail est entré dans une phase de stabilisation. La folie des échanges des premières semaines cède peu à peu la place à des relations normalisées entre collaborateurs. « Je dors beaucoup plus et j’occupe mon temps libre à écouter de la musique, à bouquiner, à jardiner. C’est finalement très agréable. Je reviens à l’essentiel. » Le coach reprend aussi sa casquette de… Fort de l’analyse de sa propre activité physique : « J’ai vraiment diminué la course à pied (deux fois par semaine), compensé par des grosses séances quasi-quotidiennes d’abdo-gainage + vélo d’appart + pompes ». Une information de taille : « À partir de la semaine prochaine, pour remettre tout le monde dans le bain, je vous enverrai un plan d’entraînement hebdomadaire avec séances de seuil et de fracs, à faire chacun de son côté. Vous me donnerez vos chronos pour que je puisse l’individualiser et suivre vos performances à distance ». Y’a plus qu’à se remotiver !

 

Isabelle : « Je suis officiellement en vacances, mais rien n’a changé ! »

Je fais partie de ceux qui – par a priori- estimaient que les profs avaient la « belle vie ». Les témoignages entendus depuis le confinement que ce soit ceux de parents débordés ou ceux de professeurs en burnout ont été une claque. Celui du jour est signé par la très flegmatique Isabelle : « Quelle différence entre travailler à la maison et être en vacances à la maison ? Aujourd’hui je ne sais plus trop, les vacances scolaires sont là depuis deux semaines mais rien n’a changé : les appels professionnels s’intercalent entre les séances de travaux domestiques, et les moments de détente. Serait-ce un aspect pervers du télétravail ? » Mais pour la maison, que du bonus ! Les travaux mis en attente depuis au moins… 5 ans arrivent à leur terme !

 

Michel : « Abasourdi par les dégâts humains »

Jours de confinement #S5 21Il s’imaginait une retraite certes active mais tranquille. Elle se transforme en sacerdoce. Mobilisé H24 par « Urgence Covid-19 » avec la Fondation de France, chaque jour qui passe dévoile de nouveaux clusters de détresse. « Je suis abasourdi par les dégâts humains de la pandémie sur les plus vulnérables ». À la maison, « il faut préserver un subtil équilibre entre mon regard obsessionnel sur l’actualité, jogging assidu, séries TV haletantes ou soporifiques, cuisine simple et parfois sophistiquée et rêvasseries. Les journées passent très vite. Je m’écroule le soir ». Mais « help, envie folle de retrouver dame nature et le petit café au troquet du coin ! ». Il n’est pas le seul. Si j’en crois une source à la Préfecture, rejoindre Cassis par les calanques devrait être possible dès le 11 mai. J’ai bloqué ma journée et affûté mes trails !

 

Carine : « Je profite de cette parenthèse hors du temps »

La commerciale au chômage technique est zen : « Tout va bien, toujours pas d’engueulades à la maison, zéro boulot avec interdiction même d’envoyer un mail par crainte des contrôles ». Elle en a profité pour se mettre au régime : « J’utilise une application pour m’aider, c’est dingue le nombre de calories contenues dans le quignon de pain que l’on grignote par réflexe !!! Objectif d’ici la levée d’écrou, perdre encore quelques kilos et lire un Douglas Kennedy en anglais ! »

 

Hocine : « Les matchs de foot et l’OM me manquent »

Jours de confinement #S5 17C’était la semaine boulot de sa femme Karine. Il l’a donc secondée auprès des migrants mineurs non accompagnés, couru avec eux cette semaine, tandis qu’elle leur donnait un coup de main pour leurs courses alimentaires en prévision du Ramadan. « Les journées sont maintenant structurées et remplies. Comme quoi l’être humain peut s’adapter à des crises inédites et exceptionnelles, philosophe le directeur d’agence de voyage. Manquent les amis à l’apéro, les matchs de foot avec la 3e mi-temps et l’OM ! »

 

Guillaume : « les 18 ans de ma fille »

Jours de confinement #S5 18« La semaine a été marquée par les 18 ans de la plus jeune de mes filles : Luna. Le confinement n’aura pas permis de faire la grande fête prévue, mais sans lui elle n’aurait pas un film de 40 minutes fait de petites vidéos hyper créatives concoctées par ses amis et sa famille. Et en plus elle a le bac sans le passer ! » Question boulot, pour le président du club, la mobilisation générale est décrétée au sein de son cabinet en vue d’aider les très nombreuses entreprises mises en difficulté par la crise sanitaire.

 

Véronique : « les 20 ans de ma fille »

Cette semaine était sa semaine avec enfants : « Cinq jeunes (dont deux pièces rapportées) à la maison, avec tout ce que cela implique de joie de vivre, d’ambiance colonie de vacances et intendance colonie de vacances ! ». Et chez elle aussi un anniversaire, les 20 ans de sa fille Élise. Le télétravail est toujours d’actualité pour cette enseignante-chercheuse en pharmacie : encore et toujours des projets d’essais cliniques à faire évaluer et expertiser.

 

Anne-Laure : « L’impression de remplir un seau percé »

Notre infirmière en entreprise est épuisée : « Beaucoup de travail, dépistage, gestion des salariés contaminés, prévention… Il faut s’adapter chaque jour aux nouvelles infos, la nouvelle législation du travail, les nouvelles données médicales sur le Covid d’un jour sur l’autre. On a vraiment l’impression de remplir un seau percé ! » Autre stress, la scolarité de ses trois enfants : « J’angoisse beaucoup à l’idée de recommencer les cours en ligne, galère sans nom pour les parents solo qui travaillent. D’autant que les profs ne lâchent rien ! » Mais elle a repris le footing. Plus du yoga et de l’auto-sophrologie pour canaliser le stress lié au boulot.

 

Olivier : « Je sombre… syndrome du scrabble ! »

Jours de confinement #S5 19
Une médaille par course terminée !

Auto-psychothérapie. Je reporte pour la radio dans des conditions idéales. Sur le terrain, le travail est facile. Les personnes interviewées sont plus disponibles, ont des expériences à raconter même quand les conditions de vie sont insupportables. Médecins sans Frontières, spécialisé dans la médecine en milieu précaire, coordonne les actions dans certaines cités des quartiers nord, ce qui donne une idée des défis à relever. Malgré ce confinement allégé par le travail en extérieur, je perds la notion du temps. Suis débordé par… rien ! Mais toujours à la bourre. Les rédactions reçoivent mon sujet à 10 minutes de l’antenne alors qu’il a été enregistré quatre heures auparavant, voire même la veille. Traduction domestique de l’état de mon esprit. Je ne trouve plus le temps de courir. Et puis il y a le syndrome du Scrabble. Il s’agit d’un affrontement au long cours depuis sept ans avec ma mie. Des statistiques notées au fil des parties témoignent de nos performances réciproques. Une centaine de jeux par an. Pour les amateurs, la moyenne des points était de 371 pour moi 369 pour elle en 2019. Je comptais 27 parties d’avances au début du confinement. J’ai enregistré depuis 21 défaites d’affilée ! Une Illustration de mon effondrement intellectuel et moral. Heureusement qu’il y a ces trophées du souvenir pour me consoler ♦