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Tiers-lieux, un modèle pour le monde d’après ?

Par Marie Le Marois, le 29 avril 2020

Journaliste

L’Épopée, c’est le nom du prochain tiers-lieu de Marseille (focus). En réunissant au même endroit économie, social et culture, cette organisation originale crée et favorise des écosystèmes riches et féconds. L’association Yes We Camp est l’un des précurseurs de ce modèle avec la création des Grands Voisins à Paris ou de Coco Velten à Marseille. Nicolas Détrie, le cofondateur, évoque le rôle du tiers-lieu, son évolution pendant le confinement et ses espoirs pour le monde d’après.

 

L’interview de Nicolas Détrie a été mon premier papier dans Marcelle, en octobre 2018. Lui qui assure la direction de Yes We Camp me racontait l’évolution de l’association depuis la création du micro-village éphémère à l’Estaque pour MP2013 (lire ici). De Coco Velten à Marseille aux Grands Voisins à Paris, en passant par Esperienza Pepe à Venise ou Habitarium à Roubaix, le savoir-faire du collectif  – s’essaime en France et à l’étranger. Si le modèle est resté le même – « rendre possible l’utilisation d’un espace vacant, y mettre de l’énergie et des valeursfavoriser mixité sociale et implication citoyenne, et le transformer en endroit fertile et réactif », des aspects ont évolué avec la pandémie.

 

Nouvelle mission pour Coco Velten et les Grands Voisins
Tiers-lieux, un modèle pour le monde d'après ?
Coco Velten @YWC

Coco Velten, qui a ouvert en lieu et place de l’ancienne Direction des Routes à Marseille – avec foyer d’hébergement d’urgence, entrepreneurs/artisans et restaurant (lire notre article ici) – continue d’accueillir en ses murs 80 personnes hébergées, dont plusieurs familles. En parallèle, le site met à disposition depuis début avril sa cuisine comme centre de production alimentaire. Avec la cantine mobile Cantina, le soutien du Restaurant Noga (lire notre article ici) et l’implication de plusieurs dizaines de volontaires, 400 repas sont cuisinés sur site, six jours sur sept, pour être ensuite distribués par le Samu Social et l’association Sara Logisol.

À Paris, le site des Grands Voisins est devenu une plateforme de préparation et de distribution de 1200 repas par jour, dans laquelle sont impliqués, aux côtés des cuisiniers de Yes We Camp, les associations Ernest, Refugee Food Festival, Wanted et Ecotable (voir ici une cagnotte). Sans compter un atelier collectif de couture, lancé avec la ressourcerie du site pour la confection de masques. La réactivité est dans l’ADN de Yes We Camp. « Comme d’autres associations, nous avons perçu l’urgence et les besoins. A Marseille, nous avions une cuisine et une équipe, et toute une communauté de personnes prêtes à se mobiliser. Il nous fallait juste trouver une place pertinente dans la chaîne, depuis l’approvisionnement jusqu’à la distribution ».

 

Les parcs Foresta et Vive Les Groues au rythme du printemps
Tiers-lieux, un modèle pour le monde d'après ? 1
Foresta @YWC

Du côté des friches de plein air, une partie des équipes de Yes We Camp s’est installée sur place, pour assurer une présence et prendre soin des sites. À Foresta, niché sur une ancienne friche dans les quartiers nord de Marseille, les familles des quartiers voisins viennent souffler grâce à « des tables de pique-nique bien écartées », la proximité avec les chevaux et les chèvres du ranch Karamane (mis en place par le fameux Chadly Karamane, lire article dans Marcelle ici), et la vue sublime sur la baie. Idem pour Vive Les Groues à Nanterre… la mer en moins.

 

Des projets « freestyle » au départ
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Les Grands Voisins @YWC

La force de Yes We Camp est sa capacité de mise en œuvre et de mise en lien. Tout est affaire de maillage. « Ce qui est intéressant dans la situation d’urgence que nous vivons, c’est de voir que nous sommes collectivement capables de mettre en place, en quelques jours, des chaînes entières de production locale de services nécessaires ». Ils n’attendent pas de possibles financements au départ pour démarrer un projet : « On se lance sans argent, sur la base de nos ressources propres. Puis si les dispositifs fonctionnent de manière satisfaisante, on cherche un relais de financement institutionnel ». Ainsi la Fondation de France et la fondation Onet ont été sollicitées pour accompagner la démarche.

 

L’espoir de pouvoir prolonger cette capacité collective

aide-solidarite-confinement

Comme nous l’avons observé à Marcelle, cette période de confinement a vu naître de nouvelles organisations alternatives, lancées par des associations, mais aussi par de simples citoyens pas forcément engagés au départ (colis alimentaires, masques, soutien scolaire, courses pour les plus vulnérables, courrier pour les plus âgées…). Ces initiatives montrent que la solidarité – « inhérente à l’humain » – a été ranimée par cette crise. « On voit que, ensemble, on peut s’organiser pour fournir de nombreux services élémentaires : alimentation, hébergement, éducation, loisir. Même si ce dernier est un peu réduit en ce moment, il reste quand même les espaces communs comme les jardins partagés, les cours d’immeuble, les composteurs collectifs, qui nous apportent à tous une bouffée d’air frais ». Nicolas Détrie appelle de ses vœux cette capacité collective à perdurer post-confinement. La clé de la transition se situe selon lui à ce niveau : moins de consommation, plus d’implication.

« C’est important pour nous que l’imaginaire qui subsistera de cette période ne soit pas seulement un repli chez soi avec des privations. On veut se souvenir, pour qu’elles puissent inspirer l’avenir, de toutes ces nouvelles chaînes de production locale. Regardez ! On a dans nos espaces de vie un paquet de ressources, des espaces disponibles et des voisins prêts à prendre part ». 

 

L’évolution de Yes We Camp

Alors qu’à Paris, le projet Les Grands Voisins touchera à sa fin cet automne, Yes We Camp continue à penser ses modes d’action et l’évolution de son collectif. Depuis sa création en 2013, l’association a gagné en capacité de mise en œuvre et en maturité. « On a davantage de recul sur nos projets et aussi sur notre organisation collective. Nous avons toujours cette capacité d’intervention rapide et créative qui nous caractérise, mais nous devenons aussi plus exigeants. Nous prenons davantage le temps de découvrir les problématiques locales, comme nous l’avons fait pour Foresta, et nous souhaitons ouvrir la possibilité d’autres types de déploiements ».

En plein travail d’écriture collective de son “projet associatif” pour les prochaines années, Yes We Camp souhaite continuer à s’engager pour la création “d’espaces communs”, sur des terrains de plein air ou dans des bâtiments non-utilisés, soit en gestion directe, soit en accompagnement ou partenariat. En parallèle, continuer à travailler avec des structures d’hébergement social, prolonger les tentatives artistiques sur des formats d’événements et de résidences, lancer un projet de lieu-ressource à la campagne, et même se lancer dans une tentative de production alimentaire. « Nous avons tissé des liens forts avec les producteurs qui approvisionnent nos cantines. Cela nous donne envie d’essayer de faire nous-mêmes du poisson fumé ou des terrines ! »

 

Bonus

  •  Les Grands Voisins – Après cinq ans d’existence, le projet des Grands Voisins – qui a accueilli en lieu et place d’un ancien hôpital jusqu’à 200 associations, artistes, artisans, jeunes entreprises, en plus de son foyer d’hébergement et de son accueil de jour – prend fin en octobre avec le début des travaux pour la naissance du nouveau quartier Saint-Vincent-de-Paul. L’aménageur urbain prend définitivement possession des lieux, mais sans en modifier complétement l’âme. Grâce à cette formidable expérience, le projet urbain a évolué  : ajout d’un centre d’hébergement d’urgence de 100 places5 000 m2 d’espaces pour l’artisanat, des loyers plafonnés et l’idée d’une gestion collective pour le quartier.

 

 

[Focus] L’Épopée, avec Marseille Solutions

 

Le Tiers-Lieu : un voie possible pour le monde d'aprèsUn nouveau tiers-lieu va voir le jour à Marseille début 2021, ‘’L’Épopée’’ : 9 000 m2 d’anciens locaux Ricard à Sainte-Marthe seront transformés en un lieu d’innovation éducative et sociale sous l’impulsion de Synergie Family et de ses partenaires. Interview de Daphnée Charveriat de Marseille Solutions*, qui accompagne le projet.

 

En quoi L’Epopée est-il un projet social?

« Il se résume en trois points : la possibilité d’accueillir toutes les familles et de faire profiter des dernières innovations éducatives à ceux qui en sont généralement les derniers bénéficiaires. L’incubation des projets de talents de nos quartiers. Et le recrutement des personnes issues des quartiers nord et des publics atypiques hors diplôme et cadre scolaire classique ».

 

Marseille Solutions fait partie des nouveaux modèles d’organisation agile dont le « monde d’après » aura besoin. Quel a été votre rôle pendant ce confinement ?

« Nous avons joué un rôle important sur des sujets où nous n’étions pas (à priori) attendus mais comme nous avons identifié « des trous dans la raquette », nous avons mis notre ingénierie, notre réseau et notre créativité au service d’une urgence et surtout dans l’intérêt général. Il en est sorti en une semaine un site impact4marseille.com qui permet de mettre en lien les demandes du territoires et les ressources des entreprises ».

 

Quels sont les 3 grands défis que vous avez relevés ?

« Fracture numérique, crise alimentaire et de l’hygiène, et logement (sur lequel nous avions déjà travaillé dans le cadre du Lab Zéro, Coco Velten etc..). Sur chacun d’entre eux, nous avons eu l’ambition de trouver des solutions rapides, efficaces et capitalisables sur la durée. Ainsi, nous venons d’avoir le feu vert pour que soit créé un centre d’hébergement d’urgence de 150 places au Village Club Vacances de la Belle de Mai. L’une de nos grandes victoires aura été d’inventer une nouvelle réponse à l’hébergement d’urgence en créant un écosystème pluri-acteurs (travailleurs sociaux, Yes We Camp, Club de l’Immobilier) hyper efficace pour trouver une solution tout en levant rapidement les freins habituels. À chaque fois, notre réflexion a été claire : comment être plus solidaire et efficace en apportant des solutions inédites au service des besoins réels du territoire ».

 

Votre approche ?

« Frugalité, ingéniosité, réseau et créativité. Une structure agile qui détourne les contraintes, bouscule les préjugés, et rapidement capable de s’adapter en changeant le curseur de place. On part du principe qu’il y a une (nouvelle) solution à tout si on veut bien se donner la peine d’expérimenter. Quel est le risque? Au pire ça marche ! Nous prenons le contre-pied des institutions figées et hiérarchiques qui n’ont plus de capacité à innover » ♦

 

* En savoir plus sur Marseille Solutions avec notre article ici