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Je suis chez moi – Jour 41

Par Éric Foucher, le 3 mai 2020

Illustration Marie de Buttet

Nous relayons ce journal piquant, « expérience individuelle d’un événement collectif et imprévu », mano a mano entre l’auteur Éric Foucher et l’illustratrice Marie de Buttet*. Aux mots du premier répond l’illustration de la seconde. Comme au loto, nous tirons un numéro au sort, le dimanche.

 

Jour 41 – Villages vacances

À l’annonce de confinement, de nombreuses personnes avaient fui à la campagne, dans la maison de famille, la résidence secondaire ou chez leurs parents pour les plus jeunes.
Chacun semblait redécouvrir comme dans un manuel scolaire les volailles de la basse-cour, les animaux gambadant dans les prés, les jolis légumes des potagers et tout ce qui faisait de la France un pays de Cocagne.
Pas sûr qu’ils auraient pu tenir plus que ces deux mois pour la plupart. Mais nul doute que la période allait être propice pour réaliser que le télétravail pouvait permettre de vivre ailleurs que dans des mouchoirs de poche, hors de prix du fait de la pression immobilière.
Devant la difficulté à s’approvisionner, envoyer une lettre ou consulter un médecin, la nécessité d’un retour des services et des commerces de proximité en milieu rural était aussi criante. De nouveaux bar-épicerie-postes avaient commencé à refleurir ici et là, animés souvent par des néo-ruraux loin d’être des doux rêveurs. Mais il fallait davantage que ces lieux de convivialité encore, les vrais réseaux sociaux en somme, pour finir de convaincre les urbains fatigués d’un retour à la terre.
Il se souvenait qu’enfant, c’est dans ce type de bistrot qu’il allait chercher le tabac gris de son grand-oncle durant les grandes vacances. Dans ce petit village de la campagne champenoise, on lui caressait avec rudesse la tête avec un « ça va gamin ? » familier en lui disant « tu paieras plus tard ». Il y voyait le facteur s’envoyer son premier ballon de blanc à neuf heures du matin et entendait les ragots sur la nouvelle voisine. Elle devait ressembler comme deux gouttes deux à la Cerise de la pub télé déambulant en petite robe fleurie sur le marché à en juger les rires goguenards.
Les paysans, les vignerons, les maraîchers et les artisans, bref tous ceux que l’on appelait les « ploucs » il n’y a pas si longtemps, étaient maintenant les invités de podcasts, de vidéos virales, et s’affichaient en une des revues branchées comme les nouveaux messagers d’une autre vie possible. La blouse en viscose, le tablier et le bleu de travail n’avaient jamais été aussi tendance ♦

 

  • Les Auteurs  – Éric Foucher : papa singulier, éditeur, rêveur, écriveur d’histoires que certains trouveront drôles et d’autres pas. Marie de Buttet : maman plurielle, illustratrice sans artifice, elle croque son monde avec gourmandise sans prendre un gramme   
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