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Je suis chez moi – Jour 42

Par Éric Foucher, le 10 mai 2020

Illustration Marie de Buttet

Nous relayons un dernier épisode de ce journal piquant, « expérience individuelle d’un événement collectif et imprévu », sur le point de se refermer. Un joli mano a mano entre les mots de l’auteur Éric Foucher et les dessins de l’illustratrice Marie de Buttet. Ils sont en train d’en faire un livre, « 55 jours et 8 heures », qu’il est possible de précommander en mode crowfunding.

 

Jour 42 – J’embrasse pas

Ça lui foutait la trouille quand même toutes ces injonctions à ne plus s’approcher, se toucher, s’embrasser. Il se rappelait combien il avait été déboussolé lors de son séjour au Japon par les codes du salut, de la distance imposée et des sourires gênés lorsqu’il avait été maladroit. Pas facile quand on venait d’un pays latin d’oublier le tactile, les gestes affectifs et de se contenter d’une inclination pour dire bonjour ou au revoir.
Pas sûr que les checks avec les pieds ou les coudes amuseraient les gens longtemps. Avec toutes ces mesures barrières, nos centres-villes allaient devenir froids comme des cliniques.
Ce n’est pas tant l’embrassade qui allait lui manquer. À dire vrai, taper la bise, surtout aux hommes – sans doute un reste de machisme – le saoulait rapidement. Quel étonnement lors de ses premiers mois à Marseille en voyant des types virils lui tendre leurs joues lors de présentations amicales. Et lui de répéter son nom, croyant que ses interlocuteurs ne l’avaient pas entendu. Un quiproquo culturel qui ne manquait pas de trahir ses origines, à la fois bretonnes et champenoises, deux régions où il ne serait vraiment pas venu à l’idée de deux hommes de s’embrasser pour se saluer.
Depuis, il s’était habitué à toutes ces embrassades qui monopolisaient une grande partie de son temps lorsqu’il se rendait à une manifestation. Si bien qu’il en arrivait à rechercher parfois des lieux de sortie où l’anonymat le préserverait de cette corvée pour mieux profiter des siens et du spectacle.
Mais le baiser, le bécot, la galoche, ces happy-ends du jeu de la séduction allaient-ils disparaître ? Faudrait-il présenter un test de dépistage avant d’oser mordre une lèvre, voler un baiser sous une porte cochère ? Pour un flirt avec elle, il était prêt à faire n’importe quoi, mais pas tomber malade. Alors il espérait que la science allait trouver rapidement un vaccin, surtout pour les jeunes générations qui déjà n’avaient pas connu les slows – le truc ultime pour « pécho ». Alors si en plus on les privait de notre célèbre french kiss… ♦

 

  • Les Auteurs  – Éric Foucher : papa singulier, éditeur, rêveur, écriveur d’histoires que certains trouveront drôles et d’autres pas. Marie de Buttet : maman plurielle, illustratrice sans artifice, elle croque son monde avec gourmandise sans prendre un gramme   
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