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Osons la douceur pour une société plus harmonieuse

Par Marie Le Marois, le 22 mai 2020

Journaliste

La douceur peut apparaître désuète, voire mièvre. Antidote à la dureté de la vie, source de notre énergie, elle est pourtant davantage force que faiblesse. Et son pouvoir de transformation sur les êtres s’avère puissant. La construction d’un monde plus juste, respectueux de l’humain et de la nature, ne peut s’envisager sans cette qualité essentielle et ô combien précieuse.

 

Face à l’horreur du Covid-19, certains n’ont pas eu d’autres choix que d’avancer poings serrés pendant le confinement. D’autres ont pu s’entourer de douceur. Cuisiner avec ses enfants, méditer, marcher dans les ruelles ombragées, tendre la main à son voisin, pétrir le pain, soutenir les soignants, sentir le

Osons la douceur pour refonder notre société

soleil chauffer sa nuque, s’émerveiller devant un parterre de coquelicots, lire un livre lové sous sa couette, savourer les premières fraises. Ne rien faire et s’ennuyer. Le temps soudainement arrêté permettait de ralentir et laisser la douceur envahir tous les pores de la peau. Être dans l’instant présent et juste ressentir le plaisir procuré. « C’était bon de laisser le temps glisser sur moi comme une légère brise qui me caressait », confie Manon à Pablo Servigne, écologue auteur d’un appel à témoignages. Cet état d’être a permis à beaucoup d’entre nous de mieux traverser l’épreuve de ces derniers mois. Et par conséquent, d’être en paix avec autrui.

 

La douceur est authentique

Difficile de définir la douceur. « Elle est une énigme. Incluse dans un double mouvement d’accueil et de don », souligne Anne Dufourmantelle dans l’ouvrage qu’elle lui a consacré. La douceur ne joue pas les faux-semblants, elle est la manifestation de notre état intérieur, « l’élargissement de notre être », expliquait cette philosophe et psychanalyste aujourd’hui disparue. Si elle n’est pas vécue intimement, la douceur est vide de toute substance : « une caresse peut paraître douce et transporter en fait de l’agressivité, contenir du mal-être ». Une attitude calme peut cacher un volcan intérieur, prêt à jaillir à la moindre contrariété. Une parole délicate peut être hypocrite.

 

Elle est enveloppante…

Osons la douceur pour refonder notre société 4La douceur est enveloppante, moelleuse, irradiante, fondante. Le toucher n’est pas sa seule voie. C’est un feu d’artifice d’émotions mêlées à des sensations. Cette qualité d’être se manifeste aussi par un regard, une posture, une
intonation, une attention. Si, d’après la psychanalyste, on ne peut pas la « décorporiser », elle se manifeste là où elle est autorisée. Marc est plutôt accolade que câlin avec ses enfants. Dans l’éducation qu’il a reçue, le toucher était proscrit. Pas assez viril. Mais il se sent doux quand il « leur raconte une histoire ou les emmène à la pêche ». Et si la douceur naissait de la situation elle-même ? Pour Jeanne Siaud-Fachin, psychologue clinicienne, la douceur est une façon de regarder le monde et de parvenir à s’y ajuster. « J’emmenais souvent mon fils admirer le coucher de soleil. C’était un doux moment d’intimité muette avec lui et avec moi-même ».

 

…Et puissance

En accédant à la douceur, Maxime, self made man, imaginait qu’il perdrait sa « forte personnalité », son côté « battant ». Son identité, même. Irène, la petite trentaine, percevait sa dureté comme seul moyen de tracer sa vie. Aujourd’hui, avec la naissance de son bébé, elle la trouve ridicule : « Je suis trop sur la défensive. Pourtant, je ne suis pas agressée en permanence ! J’aimerais pouvoir m’ouvrir ». Pas simple. « Chez nous, la douceur est synonyme de mollesse, de fadeur, de soumission. Elle pourrait nous exposer. Il faut avancer, poings serrés, et ne jamais se plaindre. Il y a beaucoup d’amour mais pas d’embrassades, de compliment, d’attentions ». Comment être dans la douceur tout en restant protégé ? Dans ce monde de performances, où nous sommes sur tous les fronts, n’est-elle pas inadéquate, voir handicapante ? Au contraire. ‘’La douceur, c’est la plénitude de la force’’, pour reprendre Alphonse Gratry, prêtre et philosophe. La douceur est puissante car elle est désarmante. Elle apaise celui qui la donne, adoucit celui qui la reçoit. Son pouvoir de transformation est immense.

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La douceur disparaît sous notre carapace

La douceur existe en chacun de nous. Pour Florence Rostand, thérapeute psychocorporelle à Marseille, l’enfant est porteur dès les premiers instants de la vie d’un « noyau sain », où siège la douceur. C’est son histoire, quand les obstacles à exprimer ses élans sont trop nombreux, qu’il amène à se couper et se durcir pour protéger son « doux et son fragile ». « Petit à petit, le noyau vivant se cache derrière des couches de protection émotionnelle (je ne sais plus pleurer) et corporelle (j’ai le thorax bloqué). Ces ‘’armures’’ servent de protection en situation de survie. Mais elles deviennent prison quand on veut les déposer. On n’en a plus besoin mais elles persistent en lien avec une souffrance profonde ».

 

Elle nécessite d’accepter sa vulnérabilité

Recontacter cette douceur primaire, rouvrir cette partie enfouie au plus profond de soi, passe alors par le lâcher-prise et l’acceptation d’une certaine vulnérabilité. Cela suppose l’abandon. La thérapie biodynamique, avec ses différents outils, est un outil précieux pour fondre ses ‘’armures’’, « retrouver le chemin de ce ‘’noyau sain’’ et, dans le respect des résistances, soutenir la mise en mouvement des lieux du corps bloqués», précise Florence Rostand. C’est dans son cabinet qu’Irène s’est reconnectée avec un souvenir enfoui, un câlin furtif avec sa mère, si précieux que son corps en a gardé la mémoire. « J’avais cinq ou six ans, nous étions dans le jardin baigné de soleil, elle m’a prise dans ses bras ». Dans le cabinet de la psy, un immense sentiment de bien-être l’a alors envahie. Depuis, dès qu’elle se sent agressive, cette mère de quatre enfants tente de recontacter ce souvenir pour s’adoucir.

 

Se ressentir et se rencontrer

Osons la douceur pour refonder notre société 2Le chant est un autre chemin de retrouvailles. Il permet de descendre dans ses profondeurs pour prendre possession de ses entrailles et les faire vibrer. « Chanter nous rapproche de nos propres émotions, révèle notre personnalité profonde, nous met en relation avec les autres », assure Alfonsina Dupas, psychologue et thérapeute en psychophonie à Bezons. La méditation de pleine conscience est une autre voie, le seau qui permet de ‘’puiser au fond de soi l’eau pure et régénérante’’, pour reprendre l’image de Jeanne Siaud-Fachin. Elle a animé des séances quotidiennes pendant le confinement et propose chaque année des stages dans des lieux propices à cet ‘’état d’être’’. « La méditation permet de se ressentir et se recentrer, de ne plus être dans le mode réactif et les émotions débordantes, d’être bienveillant avec soi et les autres. De s’éveiller à soi-même ». Mettre les mains dans la terre, donner forme à l’argile, pétrir le pain, marcher pieds nus dans l’herbe ou enlacer les arbres permet également de recontacter notre doux et moelleux.

 

Elle a besoin de lenteur et d’être dans l’instant

Comment préserver cette douceur émergente ? En l’accueillant quand elle survient. En la nourrissant. En lui laissant l’espace et la respiration dont elle a besoin. En lui offrant la lenteur. La douceur est lente, comme tout cycle de vie. C’est ‘’la vertu du petit pas’’, expression attribuée à Simone Pacot. Pour Florence Rostand, la psychothérapeute, « la douceur est présente quand je suis dans l’instant, en communion avec la pulsation du vivant et en lien avec ce qui m’entoure ». Pour Jeanne Siaud-Fachin, c’est « une forme de sérénité intérieure, de plaisir à être soi et à sa place ». Ce que Freud appelait le ‘’sentiment océanique’’, « cette expérience de joie intime, ce moment de grâce qui nous dépasse », commente la psychologue. Cela suppose d’être « en amitié avec son corps et de le relier avec l’émotion et la pensée » préconisait Anne Dufourmantelle.

 

S’offrir des bulles de douceur

Se reconnecter avec sa douceur, c’est au fond retrouver sa sécurité intérieure mais aussi reconnaître sa fragilité. Dans ce déconfinement, où le temps semble à nouveau s’accélérer, il est essentiel de ne plus la mettre de côté. De ralentir par moment et prendre le temps de la choyer. De la recevoir et la donner ♦

 

Bonus

  • Petite citation – « On ferme les yeux des morts avec douceur ; c’est aussi avec douceur qu’il faut ouvrir les yeux des vivants » – Jean Cocteau / Le Coq et l’Arlequin.

 

  • Une société douce, c’est quoi ? En vrac : agroécologie, slow tourisme, slow food, mode durable, médecines douces, entraide, intergénération, Économie Sociale et Solidaire, Maisons de Naissance, pédagogies alternatives, éducation positive… et bien sûr médias de solution.

 

  • Où trouver des bulles de douceur

Filer à la campagne, retrouver un peu de douceur, vous reconnecter avec la nature, humer les fleurs du printemps, ça vous dit ? Trois bons plans à moins de 100 km de Marseille.

 

Osons la douceur pour refonder notre société 1Gîte à Quinson (96 km) – Cette bergerie du XVIIe est située en bordure du plateau de Valensole. Les hôtes cultivent oliviers et vignes, ont leur propre poulailler, un jardin en permaculture et une vue à couper le souffle. Tél. : 06 71 89 98 92 et ici

 

Chambres d‘hôtes et gîtes à Villeneuve-lès-Avignon (99 km) – La Maison Orsini est  un ancien palais du cardinal Orsini début XIV. La décoration des chambres tend vers le médiéval, son jardin fait la part belle aux fleurs champêtres et la vue sur le Rhône, Avignon et le Palais des Papes reste époustouflante. Tél. : 06 82 27 65 94.

Studio et Gîtes à Valensole (99 km) – La Ferme du Rioutenue par la famille Gradian, agriculteurs depuis quatre générations, est la dernière ferme du plateau à distiller lavandin et lavande fine à l’ancienne traditionnellement. Gilles et Johanna proposent les huiles essentielles à la vente par correspondance mais aussi colis de veau, bœuf et porcs AB. Ces produits, ainsi que légumes et fraises AB, huile d’olive et de tournesol, miel de lavande, peuvent être achetés directement à la ferme ou, au village, à la Galerie Moderne, boutique tenue par Cathy, la maman de Gilles. Tél : 06 69 45 52 23 (pour le studio) et 06 84 08 73 62 (pour les gîtes).