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En ville, le bitume se met au vert #1

Par Marie Le Marois, le 1 juin 2020

Journaliste

Photo @Emmanuelle Tagawa

[Série] De plus en plus de citadins décident de verdir trottoirs, pieds d’immeuble et devantures de magasins. Éreintés par le tout béton, ils aspirent à une ville végétale. À Marseille, certains plantent légalement après l’accord de leur mairie, d’autres clandestinement tels des green guérilleros. Un engouement sans précédent, un enjeu pour la ville de demain.

 

Avec les jardiniers urbains, le bitume se met au vert 2
« Jardi-compost » avec pousses de basilic

Pas un seul arbre, pas un seul coin de terre. La placette à côté de chez moi vient pourtant d’être refaite. Au bout de quelques pas, j’ai la sensation vertigineuse d’être hors-sol, coupée de l’essentiel : l’énergie du vivant. Pourtant, je ne suis ni une enfant de la campagne, ni accro au jardinage. Parmi les critères de la ville de demain attendue des Français, « une ville qui remet la nature au cœur de la ville » arrive nettement en tête avec 53% des suffrages. Stéphane et Edwige, initiateurs de Jardinières in Marseille et Le Jardin de Noailles, sont de ceux-là. Citadins et heureux de l’être, ils en ont juste ras-le-bol du bitume. Et agissent en conséquence, se transformant en ‘’végétalisateurs urbains’’. En quelques mois, leur mouvement a pris de l’ampleur avec plus de 300 membres, auxquels s‘ajoutent tous ceux qui œuvrent déjà pour une ville plus verte.

 

Un potager géant

Le collectif Jardinières in Marseille et l’association Le Jardin de Noailles ont deux modes d’action différents. Le premier installe des jardinières en palettes recyclées (voir bonus) dans des quartiers divers : Notre Dame du Mont, La Plaine, l’esplanade du Vieux-Port, « là où ça fait sens et ne dérange personne », insiste Stéphane Seban, à l’initiative de ce projet né cet automne. Libre à chacun de remplir ce qu’il appelle des ‘’jardi-composts’’: « Nous invitons les habitants à y glisser leurs épluchures et une fois le compost bien tassé, nous ajoutons de la terre, des feuilles sèches puis des graines de plantes mellifères et comestibles ». La végétalisation urbaine doit, selon lui, sortir de « la plante-déco » et privilégier la plante comestible. « Je plante non pour faire joli, mais pour que, dans mon idéal, notre ville devienne un potager géant où chaque habitant pourra se servir de légumes ou de fruits ».

Une cinquantaine de ‘’jardi-composts’’ disséminés

Avec les jardiniers urbains, le bitume se met au vert
 »Jardi-compost » au Vieux-Port

Ce professeur de FLE (Français pour les étrangers) a eu l’idée du collectif en fabriquant deux ‘’jardi-composts’’ qu’il a installés devant sa fenêtre. L’engouement des passants était tel qu’il a essaimé son idée dans les rues avoisinantes. Au fil des mois, il a été rejoint par amis, associations (voir bonus) et Marseillais attirés par la simplicité de son approche. C’est le cas de Pauline, arrivée à Marseille pendant le confinement. Cette trentenaire qui travaille dans l’audiovisuel garde précieusement toutes ses graines (courges, poivrons, bientôt tomates) pour les planter dans les ‘’jardi-compost’’ et compte fabriquer le sien avec Stéphane pour végétaliser le bas de la rue Paradis, sa rue.

Le collectif Jardinières in Marseille est informel et son mode d’action participatif. Chacun peut venir chez Stéphane fabriquer, observer, échanger, et participer bénévolement aux actions de jardinage. Une cinquantaine de ‘’jardi-compost’’ ont été à ce jour implantés. Les derniers sont celles du Vieux-Port. Sur cette esplanade bétonnée, autour de deux poteaux de l’ombrière, s’enroulent dix jardinières, « 14 en fin de semaine ». Il n’est pas rare que des Marseillais le remercient pour cette initiative, mais ce qui lui importe le plus, « c’est qu’ils la dupliquent ».

 

Une dynamique qui gagne

Avec les jardiniers urbains, le bitume se met au vert 4
Rue Rodolphe Pollack

Le Jardin de Noailles, lui, rassemble particuliers et commerçants du quartier populaire de Noailles qui souhaitent végétaliser les pieds de leur immeuble ou devanture. L’association plante uniquement après obtention du Visa Vert (voir bonus). Une demande de 29 pages, une instruction longue et une charte contraignante, « mais au moins, on est dans la légalité et on ne risque pas de se faire enlever nos pots par les services de la mairie », insiste Edwige Monod.

Installée récemment à Marseille, cette psy spécialisée en périnatalité a eu envie de verdir sa rue – Rodolphe Pollack – qu’elle trouvait très triste. Elle s’est inspirée notamment de la rue de l’Arc, pionnière dans ce domaine. Depuis mars, une trentaine de jardinières et pots embellissent les trottoirs. Uniquement des plantes. « Plus de fleurs, elles ont toutes été volées ! » Cette initiative a lancé une dynamique dans le quartier avec des demandes des rues voisines.

 

« Que Noailles devienne un grand jardin »

Avec les jardiniers urbains, le bitume se met au vert 3L’association accompagne bénévolement commerçants et particuliers dans leur demande de Visa Vert, et leur propose de leur acheter pot ou jardinière. Des commerçants, comme Yacine, du restaurant tunisien éponyme rue d’Aubagne ou ceux de la Place des Halles de la Croix, se sont pris au jeu. Ces derniers ont le projet de planter des plantes aromatiques de leur pays autour des arbres de la place. Se côtoieront ainsi des aromatiques asiatiques, provençales, africaines…  Après un premier arrivage en mars de plantes et de terre, le deuxième se déroule en fin de semaine, avec la jardinerie Ricard. « Plutôt que jeter sacs de terre percés et plantes abimées, elle nous les offre gracieusement. Tout le monde est content » Le souhait d’Edwige Monod? « Que Noailles, dit aussi ‘’Ventre de Marseille’’, devienne un grand jardin ».

 

La nature en ville est vitale

Avec les jardiniers urbains, le bitume se met au vert 5De nombreux chercheurs ont démontré l’influence positive de la végétation sur notre santé mentale et physique : amélioration de la respiration, de la concentration, diminution du stress et des pensées négatives… Des scientifiques parlent même de vitamine G pour désigner les bienfaits du contact avec la nature ; G pour green. La végétation, en captant le CO2 rejeté dans l’air et certains polluants, nous permet de mieux respirer. Et, en offrant de la fraîcheur, lutte contre les îlots de chaleur urbains.

« Une surface bétonnée emmagasine de la chaleur pendant la journée et la relâche le soir, augmentant la température de l’air. À l’inverse, la plante, par un mécanisme d’évapotranspiration, libère de l’humidité. La végétalisation est essentielle pour s’adapter au changement climatique », insiste Julie, étudiante en Master Sciences de l’Environnement, qui fait partie de Jardinières in Marseille et du Jardin de Noailles. Enfin, pour la faune, la végétalisation forme des conditions idéales pour leur offrir gîte et couvert. Papillons, abeilles, oiseaux peuvent revenir, eux qui, avec l’urbanisation galopante, se raréfiaient dans nos villes. Alain Renaudin, fondateur de NewCorp Conseil et auteur de l’étude sur la ville de demain, estime qu’« on n’en est plus à parler de végétalisation mais de réintroduction du vivant. Il faut arrêter de penser la ville uniquement pour l’homme ».

 

Créatrice de lien

Grâce aux plantes, les habitants se retrouvent, plantent, et échangent conseils et boutures. « Je me suis aperçue que des gens qui habitaient à côté ne s’étaient jamais rencontrés ! » se réjouit Edwige Monod. Même écho de Dominique Jouan, cofondatrice du collectif ‘’Jardinons au Panier’’ : « ce qui me séduit le plus dans cette expérience, ce sont les liens tissés entre les habitants. Tout le monde parle à tout le monde, on arrose les plantes des absents, les tensions se dénouent. La plante est un médiateur, elle apporte quiétude et sérénité ».

 

Jardinières volées, plantes arrachées

Avec les jardiniers urbains, le bitume se met au vert 6
Nettoyage de la jardinière

La végétalisation des rues ne se fait pas sans heurts. Stéphane, notre fondateur du collectif Jardinières in Marseille, l’observe chaque semaine lorsqu’il fait sa tournée. Entre ses jardinières volées, ses plantes arrachées, jonchées de détritus ou mortes faute d’être arrosées, il ne lui reste plus que 50  »jardi-composts » sur les 80 installés. Dans le périmètre du quartier de La Plaine, justement, deux jardi-composts ont été renversés. Heureusement, Stéphane a pu repêcher une pousse de tomate et une autre d’Ipomée (voir vidéo ici). Il faudrait sans doute poser à côté de chaque jardinière une poubelle, à défaut d’éduquer les gens à ne pas jeter n’importe où.

Au sein du collectif ‘’Jardinons au Panier’’, pour éviter que les pots deviennent des dépotoirs – ce fut le cas pour la moitié d’entre eux au début -, il a été décidé de les faire adopter par les différents participants avec le nom du collectif dessus. « Du coup, chacun est super fier et s’en sent responsable », explique Dominique. Ce faisant, en s’impliquant dans la gestion de l’espace public, les habitants en prennent soin. Même écho au Jardin de Noailles.

 

Et vivent les plantes sauvages

Depuis mon reportage, je vois d’un nouvel œil les mauvaises herbes qui poussent dans les interstices du bitume. Pissenlits et lilas d’Espagne égayent mon quartier par leurs couleurs chatoyantes et leurs formes variées. Elles sont aujourd’hui bien mieux considérées. Le programme Sauvages de ma rue en a recensé 9 000 dans la région dont 5 400 dans la ville de Marseille. De l’or vert pour nos traverses et avenues ♦

* Nos soutiens 9parraine la rubrique « Environnement » et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus

  • Les Jardi-Composts, leur fabrication. Stéphane de Jardinières in Marseille profite de l’abandon dans la rue de palettes pour les recycler. « C’est du très bon bois, il est traité et donc résiste à la pluie, et c’est stupide de les jeter ». Il a élaboré une technique pour découper les palettes sans enlever aucun clou et invite qui veut à passer chez lui pour bricoler ou comprendre son procédé. Ses jardinières sont ajourées au fond pour laisser passer l’air, et tapissées de carton – matière sèche nécessaire à un bon compost. Par dessus les déchets verts, il ajoute du terreau et termine par des feuilles sèches, « pour garder l’humidité et développer la vie avec l’apparition de pleins de bestioles».  Son projet est de créer du mobilier urbain, comme son banc-jardinière installé devant le concept-store Cococ Nuts, et envisage une table « avec des pots intégrés au milieu ».

Petit atelier démonstration 2 du mercredi 27 mai 2020.

Gepostet von Stéphane Seban am Donnerstag, 28. Mai 2020

 

 

  • Visa Vert – En 2015, la municipalité a établi une « Charte de végétalisation de l’espace public marseillais » qui autorise la délivrance d’un « Visa Vert » (valant Autorisation d’Occupation Temporaire du domaine public). Celui-ci offre aux citoyens qui le souhaitent de mettre en place et entretenir des végétaux dans le respect des normes de sécurité et d’usage en vigueur sur la voie publique. À ce jour, 87 Visas verts ont été délivrés.

Avec les jardiniers urbains, le bitume se met au vert 9Ces réalisations sont portées par des particuliers, associations, entreprises, établissements scolaires, commerçants, centres sociaux et Comités d’Intérêts de Quartier (CIQ). Pour accompagner les détenteurs du « Visa Vert » dans la diversification et l’enrichissement de leurs palettes végétales, la municipalité offre des végétaux issus des serres de la pépinière municipale. Un guide de végétalisation est également consultable sur le site internet de la Ville de Marseille.

Le visa vert est valable 3 ans et reconductible 4 fois. Le délai entre la demande et l’obtention d’un Visa Vert est en moyenne de 3 à 4 mois. La commission technique se réunit tous les 3 mois suivant le nombre de dossiers à examiner. Elle est composée de professionnels municipaux et métropolitains de l’espace public, de services de secours, d’espaces verts, du cadre de vie et d’aide aux personnes à mobilité réduite. Cette commission vise à analyser les dossiers des requérants au Visa Vert afin que les projets de végétalisation n’entravent pas l’usage de l’espace public. Rares sont les refus. Plutôt qu’un refus, des modifications (type de contenant, type de plante, diminution de l’emprise au sol, hauteur  ou envergure de végétaux…..) sont proposées au requérant afin de lui permettre de concrétiser son projet de végétalisation.

Sans Visa Vert, le « végétaliseur » s’expose à l’enlèvement de son installation par les services de police si elle gêne l’usage des services techniques (gaz, eau, électricité…) et de secours (police, pompiers…) dans l’espace public. L’usage des autres passants (valides ou PMR), peut également être entravé par une installation mal positionnée qui prendrait trop de place sur un trottoir insuffisamment large (la largeur résiduelle pour les piétons doit être de 1,40 mètre) ou indétectable au sol par des personnes mal voyantes.

Les collectifs  »Jardinons au Panier » et  »Jardinières in Marseille » ont refusé le  »Visa Vert » jugé fastidieux, trop contraignant et censeur de toute spontanéité. Des dispositifs de végétalisation des rues existent à Paris, Bordeaux, Grenoble, Rennes, Lyon.

 

  • Les villes les plus vertes de France (info ici)

  • Histoire du collectif ‘’Jardinons au Panier’’ –  Avec Dominique Jouan, coloriste de textile, cofondatrice du collectif ‘’Jardinons au Panier’’ :

« Quand je suis arrivée en 2013 à Marseille, j’ai tout de suite installé avec ma fille deux gros pots de fleurs au pied de notre maison. J’habite au Panier, c’est un quartier populaire, le plus vieux de la ville, où il n’y a ni arbre, ni espace vert. Moi qui venais de Rennes avec une belle expérience de végétalisation au pied des façades d’immeuble, cet environnement minéral m’agressait et la rue était jonchée de déjections canines. Je me disais aussi que mes voisins seraient heureux de passer devant ces compositions florales réalisées autour de deux bougainvilliers… qui ne sont restées que deux jours. J’ai donc planté chou rouge, betterave, artichaut et personne n’y a touché ! Au fil des saisons, j’ai rajouté des petites plantes. Peu à peu, j’ai remarqué que les touristes commençaient à s’aventurer dans cette rue, que mes voisins d’en face ouvraient plus souvent leurs volets. On a commencé à se parler, à échanger sur mon initiative. Puis deux habitantes sont venues me voir pour végétaliser leur rue… et nous avons créé le collectif ‘’Jardinons au Panier’’. Depuis, nous multiplions les journées plantation, quatre par an environ. Le principe ? On va chercher la terre, les pots, les plantes chez les donateurs et le jour J, on rempote dans une ambiance festive (musique, atelier maquillage, repas partagé). Je me souviens de la première fois : on était une vingtaine à planter toute la journée, il pleuvait, on s’est absenté 45 minutes et tout a été dévasté. Un mois de travail foutu en l’air. Le Panier est un village, avec des codes. Les néo arrivants doivent prendre le temps de se faire accepter. Sans les encouragements d’Alexandra et Anne du collectif, j’étais prête à tout laisser tomber. Aujourd’hui, nous sommes près de 250 et une vingtaine de rues ont été végétalisées. L’engouement pour la végétalisation s’est répandu, beaucoup d’habitations ont fleuri par elles-mêmes. Prochainement, nous ouvrirons un jardin à partager, 600 m2 mis en commun pour tous les habitants avec des plantes comestibles, médicinales, tinctoriales…  »

 

 

  • Bombe à graines à faire soi-même avec l’association Jeunes Pousses Avignon – Quesako ? Une boule d’argile, de terreau et de graines de fleurs mélangés pour végétaliser la ville. Facile à fabriquer, on peut les lancer n’importe où, le mélange suffit aux graines pour germer et fleurir dans les rues, sur les balcons et les toits. Lancée dans les années 70 aux Etats-Unis par les Guerrilla Gardening, la bombe à graines a servi de symbole aux urbains pour reconquérir l’espace public laissé à l’abandon pendant la crise économique.

Ingrédients :

– Argile (celle qu’on trouve pour les enfants fonctionne très bien)

– Terreau (bio de préférence)

– Graines mellifères (pour préserver les abeilles en ville)

Comment les fabriquer ?

  1. Préparez un mélange 1/4 d’argile, 3/4 de terreau avec un peu d’eau (la couleur de votre préparation doit se rapprocher le plus possible de la couleur du terreau).
  2. Roulez la boule dans les graines en exerçant une légère pression pour que les graines tiennent. Préférez les graines mellifères : lin, coquelicot,…
  3. Ça y est c’est prêt ! Profitez-en pour sortir et lancer vos bombes à graines dans le quartier. Revenez 2 à 3 semaines plus tard pour observer vos fleurs.
  • Une vidéo ici de ce botaniste toulousain qui trace à la craie le nom des plantes sauvages