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Le potager bio, graine de valeurs dans les entreprises

Par Frédérique Hermine, le 24 juin 2020

Journaliste

©F.Hermine

Dans le Var, Laurence Berlemont et Julien Vert viennent de créer Potagers & Cie : un modèle de permaculture bio pour faire vivre correctement des maraîchers et fournir des paniers hebdomadaires de fruits et légumes aux salariés dans le cadre de la politique RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises).

 

C’est un joli petit bois entre vignes et rivière dans l’enceinte de la ferme Saint-Georges du Val, au cœur du Var, entre Brignoles et Correns. En descendant de la cour par un escalier en pierre recouvert de mousse, on Le potager bio, graine de valeurs dans les entreprises 1débouche sur une clairière maraîchère sillonnée de larges bandes de culture de chaque côté du chemin central. Deux grandes serres, bientôt trois, abritent tomates, courgettes, herbes et salades. À l’autre bout du potager qui va compter cette année une trentaine d’espèces, un poulailler mobile pour une cinquantaine de poules rousses avec récupération des œufs à l’extérieur. Ici tout est bio, poules et œufs compris. De l’autre côté du champ, une jachère fleurie accueillera dans quelques mois une ponette shetland, Harley, déjà en cours de dressage pour les labours au ranch de Correns.

 

Naissance d’un projet

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L.Berlemont-J.Vert©F.Hermine

« Toute lergonomie du potager a été minutieusement étudiée pour éviter le tassement des sols et faciliter lorganisation du travail car la journée dun maraîcher est en fait une somme de dizaines de micro-tâches, doù limportance de bien étudier en amont la circulation et le confort de travail » , explique Julien Vert. Ce polytechnicien et ingénieur des eaux et forêts a préféré abandonner la fonction publique pour fonder ce projet innovant baptisé Potagers & Cie avec Laurence Berlemont, à la tête du CAP (Cabinet d’Agronomie Provençale) spécialisé en expertises et conseils viti-vinicoles. Celle-ci foisonne toujours d’idées, en général côté vignes mais également dans le secteur oléicole et trufficole, question d’analyses de terroir et de matériel végétal. Au fil des années, elle avait déjà diversifié l’activité de la société basée dans son domaine de la Ferme Saint-Georges au Val, une quinzaine d’hectares pour partie en zone Natura 2000 et à quelques arpents de Correns, premier village bio de France. Parallèlement au suivi de vignobles, majoritairement en bio, le Cabinet s’est peu à peu spécialisé dans la production de miel, de safran, de truffes, d’olives… Autant de cultures qui participent à la diversification des domaines viticoles et à la biodiversité au cœur de la Provence.

 

Faire vivre des maraîchers
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Mais cette fois, la nouvelle idée a pris une autre ampleur.  Il s’agit de « développer un système de permaculture bio au sein du domaine tout en nourrissant les maraîchers qui d’habitude en France travaillent 50 heures par semaine, 50 semaines par an pour 500 euros par mois, déplore la dynamique chef d’entreprise. Nous en sommes encore à la préhistoire, c’est la triste réalité. À nous de trouver un modèle de production bio vendu au juste prix pour faire vivre correctement le maraîcher et prendre en charge les risques du métier et les aléas climatiques dans le cadre de politique RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) ». En clair, la « variable d’ajustement » sera prise en charge par la collectivité et non subie par le maraîcher. Ce qui devrait représenter pour le CAP une somme de 10 à 15 000 euros par an. « Ça n’est pas énorme sur un bilan et c’est mieux qu’un cadeau de fin d’année. De plus, ça incite à une prise de conscience qui correspond à nos valeurs. Le CAP a donc entrepris d’inventer son propre modèle d’abord pour ses salariés (35 personnes) avant de le proposer à d’autres entreprises. »

 

Travail et valeurs partagés
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Un état des lieux faune et flore a été dressé en 2019 pour identifier les enjeux écologiques à la ferme Saint-Georges. Forêts, zones humides, prairies ont été passées au microscope afin de répertorier arbres, fleurs, insectes, reptiles, grenouilles, oiseaux, chauve-souris, sangliers, renards, chevreuils, blaireaux… mais pas de raton-laveur sur la zone. S’en sont suivies quelques recommandations telles que le maintien de buissons, la préservation de vieux arbres, la plantation d’une prairie fleurie, la mise en place d’une mare entre la rivière Ribeirotte et la source… Une trentaine de ruches redescendront cet automne du plateau de Valensole où elles sont en transhumance pour l’été. Des nichoirs à mésanges et à chouettes ont été installés dans les arbres et le domaine pourrait devenir à terme un refuge LPO.

« L’idée est de se créer une servitude sur un environnement donné pour empêcher l’exploitation commerciale pendant 99 ans », avoue Laurence Berlemont. Une réflexion a été menée pour économiser l’eau afin de Le potager bio, graine de valeurs dans les entreprises 2s’adapter au réchauffement climatique. Un goutte-à-goutte a été installé pour rationaliser l’arrosage et aboutir progressivement à une irrigation gravitaire. Pruniers (de Brignoles bien sûr), figuiers, pommiers, pêchers, abricotiers… soit environ 200 arbres seront plantés l’hiver prochain dans le verger en collaboration avec le Conservatoire Méditerranéen Partagé ;  les légumes ont été semés cet hiver, les premières récoltes ont commencé ces dernières semaines. « Ils sont vendus chaque semaine à 20 euros le panier de fruits et légumes pour deux personnes, un prix sans marge en circuit court afin que chacun prenne en compte la valeur des produits. Nous voulons aussi que chaque salarié donne un peu de son temps au jardin, deux jours par an chacun, c’est peu pour une personne mais cela soulage le maraîcher qui décide de son besoin en main d’œuvre chaque semaine ». Cela implique de créer un potager pour une communauté d’au moins 70 personnes. À Saint-Georges, elle a donc été étendue aux voisins, aux facteurs, aux meilleurs clients, à la Bastide de Fangouse à Entrecasteaux (83) qui a déjà commencé à acheter les légumes de saison pour ses restaurants… Ce système permet de ne pas se déconnecter du monde agricole et vise à mettre en place un nouveau modèle de paysannerie qui ne serait pas hors-sol.

 

Outil de pédagogie et de management
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« Potagers & Cie pourra ensuite essaimer, mettre en place le système dans d’autres entreprises, proposer des formations sur les micro-organismes des sols, l’installation de ruches ou de poules pondeuses, l’agro écologie du potager…, activer des bourses d’échanges de produits », précise Julien Vert. Le potager peut également devenir un outil de management, de cohésion des équipes, de pédagogie concrète en matière de RSE et Développement Durable, et même d’aide au recrutement ou à la fidélisation du personnel. Certaines entreprises sur la liste d’attente veulent vendre les produits à leurs salariés, d’autres pensent les réserver à la cantine.

Le premier groupe varois d’équipements photovoltaïque Soleil du Sud dirigé par Joël Cros est la première entreprise à s’être enthousiasmé pour le projet ; le carnet de demandes se remplit vite et l’équipe de Potagers & Cie devra choisir deux ou trois entreprises en 2021 à partir de la philosophie des projets, mais aussi de la faisabilité technique. « Il faut disposer d’au moins un demi à un hectare et pas sur un parking, même si nous étudions des cubes potagers en bois avec Sup Agro comme il pourrait y avoir au printemps prochain sur la place des Lices pour l’événement Les chefs à Saint-Tropez ». Il est également envisagé de replanter de la vigne et d’acheter un gros cheval de trait pour épauler Harley. Les idées ne manquent pas à la Ferme Saint-Georges. L’inauguration officielle début juillet pourrait permettre de sensibiliser également quelques élus et organismes pour trouver des aides au financement ♦