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Festivals annulés : Arles prend le taureau par les cornes

Par Olivier Martocq, le 25 juin 2020

Journaliste

ACT - frame still de la video Ursae Majoris, 2020 © Joana LUZ

La décision de supprimer les festivals prise en mars, dès le début du confinement, se paie cash dans une région qui en avait fait le fer de lance de son attractivité estivale. L’impact sur Avignon [bonus] et Arles est considérable car ces deux villes ont fait du tourisme culturel le poumon de leur économie. Si Avignon est définitivement sinistrée, les Arlésiens ont réussi à mettre en place une programmation ambitieuse 100% bénévole !

 

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© Jacques Leonard – Anne Clergue Galerie

Son nom incarne les Rencontres internationales de la photographie, lancées en 1969 par son père Lucien et d’autres passionnés de l’image, comme Jean-Maurice Rouquette ou Michel Tournier. Toujours investie, la galeriste Anne Clergue fait partie de ceux qui ont décidé de relever le challenge d’un été, sans festivals peut-être, mais pas sans expos. « Ce n’est pas une 51e édition au rabais, explique-t-elle en préambule. Il ne s’agit pas, pour nous, de faire payer quoi que ce soit à ceux qui viendront cet été, mais de sauver des emplois ». La mise au point est directe et a le mérite d’expliciter ce que proposent soixante et quelques contributeurs arlésiens. Bénévolement.

 

L’esprit du off
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© Charlotte Abramow- Fisheye Gallery – They Love Trampoline – 2017

Comme pour le théâtre à Avignon, Arles a su se régénérer en s’adjoignant dès la fin des années 90 un festival non officiel qui, progressivement, a gagné ses lettres de noblesse. « Voies Off » proposait l’an dernier 230 expositions contre 50 pour l’officiel. Accroc à ce rendez-vous, je partage mon temps entre les deux univers. Le In garantit une qualité et des thématiques chaque année renouvelées. Le Off permet de découvrir des photographes contemporains, moins célèbres, qui pour certains exposent pour la première fois et souvent dans des lieux improbables. L’occasion de découvrir des arrière-cours, des appartements sous les toits, des ateliers ou garages transformés en autant de galeries éphémères. Ça vit, ça grouille. C’est parfois moyen, mais comme l’auteur est présent, on peut essayer de comprendre sa démarche. C’est parfois génial et le Off aura alors permis à des galeristes ou des musées de repérer un nouveau talent, passé sous les radars des cercles avisés malgré le Net ou les réseaux sociaux. En 2020, il n’y a officiellement pas plus de Off que de In, car l’administration, jusqu’à cette semaine, se montrait intransigeante sur la jauge et les mesures barrières. Mais c’est ce modèle qui cependant donne à la ville un espoir. La manifestation aurait pu s’appeler « Y’a pas photo ! » ; le courant consensuel l’a emporté avec « Arles, l’art au cœur de la ville ».

 

L’enjeu de la qualité 
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© Hervé Hôte – La Chapelle de la Madeleine.jpg

Les Rencontres et, dans une moindre mesure, le festival de musique Les Suds, attirent près d’un million de visiteurs durant l’été. Quelque 140 000 d’entre eux paient pour visiter les expositions. Sur un budget qui tourne autour de 6 millions d’euros, la moitié provient de la billetterie. Dès lors : exigence, qualité mais aussi liberté d’action sont les maîtres-mots qui guident le commissariat général dans sa démarche. Au-delà, la ville est le camp de base de nombreux photographes professionnels, artistes, comédiens et amateurs de culture qui essaiment dans les festivals alentours. Il y en a une centaine habituellement chaque été. Ils se compteront sur les doigts d’une main pour la saison qui s’ouvre. Autant dire que la clientèle habituelle ne fera le déplacement que si le programme le mérite. La quasi-totalité des lieux d’exposition se sont mobilisés et la programmation a été imaginée à plusieurs. Arles a la chance de pouvoir compter parmi ses habitants des professionnels reconnus dans de multiples domaines. Les carnets d’adresses ont joué à fond durant le confinement tandis que Françoise Pams, qui a travaillé entre autres à La Villette et à Beaubourg, et siège actuellement au Centre National du Cinéma (CNC) assurait le suivi. « Cela a extrêmement bien répondu. On a une programmation que nous envierait bon nombre de festivals installés. Les artistes ont joué le jeu dans des lieux qu’ils ont réinventés ». Ce qui est intéressant c’est que les artistes ont dû innover sous la contrainte, durant le confinement. Sans savoir ce qui serait autorisé en termes de jauge ou de distanciation. Au final, une approche totalement nouvelle pour les expositions conçues autour de parcours fluides, ce qui change le regard du visiteur.

 

Y’a pas photo !
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@ Bessompierre

Les galeries et ateliers dédiés à la photo ont rapidement fait front et se sont fédérés. Il existait un réseau endormi, Arles Contemporain, qui a trouvé là une bonne raison de se réveiller. « À l’annonce de l’annulation du Festival, nous nous sommes tout de suite appelés les uns les autres, rapporte Marianne Hueber, de la boutique-galerie CirCa. Nous ne pouvions pas ne rien imaginer, mais nous surpasser, oui ». « Arles a beaucoup à offrir, en toutes circonstances, avec une diversité de propositions impressionnante, renchérit Anne Clergue. Nous avions déjà organisé des événements ensemble, mais à cette échelle, c’est inédit ». Des galeries qui n’en faisaient pas partie ont rejoint le réseau, ils sont 67 aujourd’hui. Mélanie Bellue qui dirige la galerie LHOSTE, a vu l’inauguration de son nouvel espace annulé et décalé en raison du confinement. Mais son enthousiasme est resté intact : « À côté de l’exposition Reeve Schumacher, nous avons décidé de faire vivre la galerie sans programmation formelle, en laissant de la place à l’improvisation. J’ai demandé à disposer des trois places de parking devant la vitrine et nous allons organiser des happenings, des ateliers, des démonstrations, des petits concerts ».

Comme d’habitude, les WIP (work in progress) des élèves de l’ENSP, l’école de photo d’Arles, seront présentés, ce sera à l’espace Croisière. Des ateliers d’artistes comme Kiki Tonnerre ou Bessompierre participent également à l’opération.

 

« On n’est pas là pour se faire emmerder »
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ON N_EST PAS LÀ POUR SE FAIRE ENGUEULER. © Cohérie Boris Vian – boris

Huit lieux habituels et majeurs, dépendant d’institutions, vont permettre de recevoir le public traditionnel, le musée Réattu notamment. Parmi les professionnels – tous bénévoles – de ce sauvetage de la saison 2020, Nicolas Havette. Le directeur artistique de la Fondation Manuel Rivera-Ortiz, a ouvert l’hôtel particulier durant le confinement pour qu’une dizaine d’artistes en résidence puissent continuer à travailler. Cette production particulière sera exposée et vendue cet été dans les étages ; ce projet a été baptisé ACT, pour Action collective temporaire. Sur d’autres plateaux, 600 mètres carrés accueilleront une moitié de la programmation « Les Pionniers » originellement prévue pour cet été, dont le fer de lance est l’expo consacrée à Boris Vian, « On n’est pas là pour se faire emmerder ».

Dans ce contexte, on le voit, les espaces privés jouent un rôle majeur. Notamment les galeries qui drainent un public de visiteurs éclairés, notamment de collectionneurs. Une des plus insolites est sans conteste la galerie Huit, située à mi-chemin entre les arènes et la mairie.

 

Heureuses surprises

C’est une anglaise, Julia de Bierre, qui est à l’origine du sauvetage d’un autre hôtel particulier hors normes, qu’elle a « laissé dans son jus » fin 18e. Plus Arlésienne qu’Anglaise désormais, puisque pour cause de Brexit, elle va demander la nationalité française, la galeriste a néanmoins pu compter sur ses compatriotes pour présenter une collection de photographies uniques tirées des clichés du plus vieux journal spécialisé britannique : The British Journal of Photography. « Je m’attendais pourtant à être gentiment éconduite », glisse-t-elle. Si vous plaisez à la maîtresse de maison qui dispose également de chambres d’hôtes, vous aurez accès au bar qu’elle vient d’ouvrir à l’étage. Sur les murs, des photos grand format de plusieurs figures du concert de Woodstock – manifestation impromptue qui laissa une sacrée trace dans l’histoire. Arles 2020 pourrait aussi rester comme une date mythique dans cette ville, pour l’élan généré par un collectif généreux et passionné… ♦

* Le La Villa Médicis de Cassis parraine la rubrique « Culture » et vous offre la lecture de cet article *

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TransHumance Pano MP13 © Lionel Roux – Galerie Volver

 

Bonus [Pour les abonnés] – Avignon, les chiffres – Le meet-up arlésien des Napoléons annulé –

  • Pour comprendre les enjeux économiques – Quelques chiffres sur l’édition 2019 du Festival d’Avignon. Rien que pour la SNCF, le festival représente 6 millions d’euros de bénéfice. En trois semaines, les commerçants de la ville réalisent en moyenne 20% de leur chiffre d’affaire annuel. De quoi justifier donc, d’après les organisateurs, les 13 millions d’euros de budget, des subventions qui viennent avant tout de l’État, pour plus de la moitié, puis de la ville d’Avignon, du Grand Avignon, de la Région et enfin du Département.

En ce qui concerne le In et sa 73e édition, 106 700 billets (pour 43 spectacles et 413 représentations) avaient été délivrés, soit un taux de fréquentation de 95,5% auquel il convient d’ajouter 131 rencontres, lectures et projections représentant 31 600 entrées libres.

Du côté du Off, et d’après le pré-bilan des organisateurs de cette 54e édition, qui s’est déroulée du 5 au 28 juillet, 97 530 places ont été vendues (contre 46 015 en 2018 !) et 63 949 cartes d’abonnement public. 1 592 spectacles ont été présentés (dont 1 134 pour la première fois à Avignon) dans 139 lieux différents (dont 124 théâtres). Plus de 85 rencontres sur des thèmes de sociétés et liées au spectacle vivant étaient également proposées sous le chapiteau du Village des professionnels et sous l’agora du Village Off.

 

  • Autre manifestation arlésienne annulée, Les NapoléonsLe réseau social qui mixe partage d’idées, inclusion et business ne connaîtra pas une 11e édition arlésienne. L’équipe investira le stade de Roland-Garros le 16 juillet prochain pour une « édition spéciale » d’une journée en live, pour échanger sur le monde du futur aux lendemains d’une crise sans précédent. Lisez ou relisez notre article sur leur fonctionnement  !

Les Napoléons, le réseau social qui mixe partage d’idées, inclusion et business