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Le don de lait maternel : un geste solidaire trop peu connu

Par Agathe Perrier, le 30 juin 2020

Journaliste

On connaît le don de sang. Mais celui de lait maternel ? Il permet pourtant lui aussi de sauver des vies, celles de bébés prématurés notamment. Si, sur le papier, la France peut sembler exemplaire – au nombre des pays comptant le plus de structures de collectes en Europe – la réalité est plus nuancée : disparités géographiques, dons insuffisants et manque de visibilité.

 

C’est un sujet dont on entend parler généralement grâce au bouche-à-oreille : le don de lait maternel. 70 000 litres sont collectés chaque année dans toute la France auprès de mamans allaitantes, grâce à des structures appelées lactariums. Cela vous est totalement inconnu ? Rien d’étonnant puisque, même si la situation évolue positivement, le manque d’information autour du don de lait est criant. Y compris auprès des futures mamans, seules à pouvoir donner. C’est l’une d’entre elles – amie en premier lieu – qui m’a fait découvrir cette pratique au travers de sa récente expérience. Un sujet qui a immédiatement résonné à mes oreilles comme Marcelle compatible. Encore plus après quelques recherches et les paradoxes qui en sont ressortis.

 

don-lait-maternel-franceDes dons insuffisants

Des mamans se demandent peut-être pourquoi personne ne leur a proposé de donner leur lait au moment de leur maternité. L’une des raisons est que toutes ne sont pas concernées. « Cela s’adresse aux mamans qui sont en surplus de production de lait. Celles qui ne sont pas dans cette situation peuvent mettre en péril leur propre allaitement en donnant leur lait », alerte Stéphanie Habenstein, fondatrice de la plateforme dédiée à l’allaitement maternel Vanilla Milk (bonus).

Concrètement, pour donner son lait, une maman tire le trop-plein comme elle le ferait d’ordinaire (bonus). Puis une équipe du lactarium le plus proche passe le collecter. Il est alors contrôlé, pasteurisé et enfin congelé. La pasteurisation altère quelque peu la qualité du lait mais ce dernier reste néanmoins meilleur qu’un lait reconstitué. Il est ensuite distribué sur prescription médicale, prioritairement aux bébés prématurés ou atteints de pathologies. « On arrive à peine à couvrir tous les besoins », souffle le docteur Jean-Charles Picaud, président de l’association des lactariums de France (ADLF) et chef du service de néonatologie et de réanimation néonatale de l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon. La France fait pourtant partie des pays comptant le plus de lactariums au niveau européen avec ses 36 établissements. C’est même le seul au monde à produire du lait maternel lyophilisé.

 

Les seuls à lyophiliser le lait maternel

Tous les lactariums de France et du monde fonctionnent sur le principe de pasteurisation et congélation du lait maternel. Tous, sauf un. « À Marmande, le lait est également lyophilisé sous forme de poudre pour l’envoyer en Outre-Mer afin que ces territoires disposent de stocks de lait maternel », précise le docteur Picaud.

Situé dans le sud-ouest (Lot-et-Garonne), le lactarium de Marmande – qui a fusionné en 2011 avec celui de Bordeaux – a aussi la particularité d’être le plus grand de France, puisqu’il collecte à lui seul 14 000 litres de lait maternel par an. 20% est congelé, 80% lyophilisé, c’est-à-dire pasteurisé puis transformé en poudre. « C’est un processus de conservation et non de traitement. Sa qualité n’est donc absolument pas altérée. Cela permet de le conserver plus longtemps – 18 mois contre six pour le congelé – et de le transporter plus facilement », explique le docteur Delphine Lamireau, pédiatre et médecin responsable des lactariums de Marmande et Bordeaux.

Les territoires d’Outre-Mer sont prioritaires pour en acheter, aucune île française ne disposant d’un lactarium. Viennent ensuite les services de néonatologie de métropole dans la même situation. « Le lait lyophilisé permet de répondre aux besoins urgents car il se reconstitue instantanément. Contrairement au lait congelé qui doit être sorti la veille pour pouvoir être utilisé », précise la responsable. Son usage reste limité à ces urgences tant il est précieux et finalement rare. Les coûts liés à la mise en place du processus de lyophilisation ont en effet refroidi plus d’un lactarium.

 

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Répartition du nombre de lactariums sur le continent européen (cliquez pour agrandir) © European Milk Bank Association
La France, vice-championne d’Europe des lactariums…

La France ne manque d’ailleurs pas de lactariums si l’on ne regarde que les chiffres. Avec 36 établissements, elle se classe à la deuxième place des pays européens. Derrière l’Italie (37) et devant l’Allemagne et la Suède (28). « La France a toujours été en avance sur ce sujet », indique le docteur Picaud. Avant l’ouverture de son premier lactarium en 1947 à Paris, le pays comptait sur des nourrices qui donnaient leur lait ou allaitaient les bébés des autres. En parallèle, les médecins ont « toujours été très attentifs au cytomégalovirus, une infection toute bête qui rend malade les immunodéprimés. Les prématurés étant considérés comme tels, on a pasteurisé le lait maternel. Il fallait pour cela des structures de collecte et de traitement », ajoute l’expert.

Au niveau mondial, la première banque de lait a ouvert ses portes en 1909 à Vienne en Autriche. Leur nombre est en explosion ces dernières années : +70% depuis 2010 en Europe, qui totalise aujourd’hui 248 établissements. Autre exemple : les États-Unis en comptent une trentaine, contre seulement cinq il y a dix ans.

 

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Répartition des lactariums en France (cliquez pour accéder à la carte interactive) © Association des lactariums de France
… et des inégalités

Mais lorsque l’on se penche sur la répartition géographique des lactariums en France, les disparités sautent aux yeux. Si l’ouest ne manque pas de structures, tel n’est pas le cas du sud. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur n’en compte même aucune (!). « Sinistrée » est le terme qu’emploie Corinne Lena, puéricultrice et coordinatrice du lactarium de Montpellier, pour qualifier la situation. C’est donc cet établissement qui se charge de récupérer les dons de toute la région Paca et d’autres départements d’Occitanie.

L’Agence régionale de santé Paca – les lactariums sont sous la responsabilité des ARS – apporte un premier éclairage sur les raisons de cette disparité géographique. « En France, chaque région ne dispose pas d’un lactarium, car cela nécessite des investissements coûteux, avec des règles d’hygiène très strictes pour la conservation du lait et le dépistage par ailleurs de certaines maladies (VIH VHC…) », fait savoir le service communication. Outre le côté financier, l’aspect humain joue également un rôle majeur. « Il a toujours fallu énormément d’énergie pour ouvrir un lactarium, parce qu’ils ont longtemps été négligés et sans moyens. La répartition s’est faite en fonction des volontés de chacun au niveau local, sans implication gouvernementale », regrette le docteur Picaud. Il reste néanmoins optimiste : « Ça coûte très cher, ça demande beaucoup d’investissement humain et une vraie motivation, mais les choses ne sont pas figées ».

 

don-lait-maternel-pacaLa gestion de la région Paca déléguée à Montpellier

Avec 13 départements à couvrir et un total de 6 500 litres de lait maternel recueillis chaque année, le lactarium de Montpellier ne chôme pas. « C’est un atout d’être le seul mais cela présente aussi des contraintes en termes de traitement du lait et de redistribution. Nous avons six agents qui se déplacent jusqu’à Gap, Nice, Toulon… Les journées de collecte commencent à 6h du matin et s’achèvent vers 21h-22h », glisse Corinne Lena. Ces collectes sont assurées par secteur (autour d’une grande ville) à raison d’un passage tous les deux mois. Seule exception : Marseille où des collectes et distributions ont lieu chaque semaine.

À l’origine, deux agents passaient au domicile des mamans pour récupérer leur lait congelé. Une pratique encore en vigueur, bien que le lactarium essaye de développer le système de points de collecte mis en place depuis quelques années à Nice. « Les tournées étaient devenues ingérables, se finissant parfois à plus de minuit. Des cliniques et hôpitaux se sont proposés comme lieux de collecte où les mamans viennent déposer leur lait, pour réduire le nombre de passages à domicile ».

Questionnée sur l’éventuelle ouverture d’un lactarium sur les terres provençales, l’ARS Paca l’écarte au motif que « le système avec Montpellier donne toute satisfaction ». Un avis partagé par Corinne Lena, qui ne serait tout de même pas contre une structure en Paca afin de permettre à Montpellier de se « recentrer sur sa région ». « On est au bout du bout de nos capacités », ne cache pas la coordinatrice.

 

vanilla-milk-allaitementParler, parler, parler

Reste un constat partagé par l’ensemble des professionnels touchant de près ou de loin au don de lait : il manque cruellement de visibilité. Un peu moins ces dernières années d’après Corinne Lena. « Nous étions toujours en pénurie avant. Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux et à une très bonne prise en charge des mamans de bébés prématurés, on a un afflux de dons de lait maternel ».

La coordinatrice du lactarium de Montpellier concède que, dès que la communication faiblit, les dons en pâtissent. La mise en lumière de la pratique est jugée tout autant essentielle par le docteur Picaud. Stéphanie Habenstein appuie : « Il faut en parler au maximum afin que le grand public sache qu’on peut donner son lait au même titre que son sang ou son plasma. Et faire comprendre que lui aussi peut sauver des vies ». Celles de bébés venus au monde trop tôt et qui se battent pour vivre.

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Bonus [réservé aux abonnés] : Faire don de son lait – Des contrôles stricts – L’histoire de l’association des Lactariums de France (ADLF) – Notre précédent reportage sur le lait maternel

  • Comment savoir si je peux donner ? Le docteur Rachel Buffin, médecin responsable du lactarium de Lyon, répond à toutes les questions sur ce sujet. À lire sur le blog de Vanilla Milk en cliquant ici.

 

  • Le lait maternel, un produit ultra-contrôlé. Les lactariums analysent et contrôlent le lait maternel avant de le redistribuer sur prescription médicale à des enfants prématurés ou présentant certaines maladies digestives immunologiques et allergiques. Le recueil du lait maternel obéit à des règles strictes : suivi médical, contrôle HIV, hépatite B, hépatite C, examens bactériologiques pratiqués sur le lait de chaque mère. Ils consistent à dénombrer la flore totale par millilitre de lait et, en particulier, la présence de staphylocoques. Ces examens sont une garantie essentielle en matière d’allaitement.
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  • L’histoire de l’ADLF. L’association des lactariums de France est une association française régie par la loi de 1901 fondée le 8 mai 1981. Son but est de promouvoir l’allaitement maternel, d’améliorer les conditions de collecte et de distribution ainsi que la qualité du lait humain en France.

 

  • À (re)lire : notre reportage sur la plateforme Vanilla Milk, qui crée des liens autour de l’allaitement maternel. En fin d’article, un pédiatre explique les bienfaits du lait maternel pour les nourrissons. Cliquez ici.

L’allaitement maternel a sa communauté… enfin !