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Si discret, si précieux, l’écomusée de la Crau

Par Olivier Martocq, le 8 juillet 2020

Journaliste

La plaine de la Crau, entre Martigues et Arles. Que l’on traverse sans jamais s’y arrêter. Cette étendue plate et désertique est pourtant l’unique exemple européen de « coussoul », une steppe semi-aride. À Saint-Martin-de-Crau, un écomusée permet de découvrir la richesse de ce biotope particulièrement riche. Et l’exposition de l’été présente le fruit d’un travail de plusieurs années mené par quinze photographes passionnés d’ornithologie. Avec une centaine de photos hors normes sur les espèces d’oiseaux menacées de la région. Deux bonnes raisons pour une visite !

Légèrement à l’écart de la nationale qui relie Marseille à Arles, Saint-Martin-de-Crau n’est pas une ville touristique. Il faut s’y rendre dans un but précis, ce qui ne m’était jamais arrivé en 30 ans de pérégrinations journalistiques dans la région. Au-delà du charme classique des bourgades provençales, ce qui peut inciter le touriste à s’y rendre est… une ancienne bergerie. Située en plein centre-ville, juste en face de l’église, elle a été transformée en 1987 en écomusée.

 

Un Écomusée ?

Si discret, si précieux, l'écomusée de la Crau 1Merci Internet ! Il en existerait donc, selon la toile, 602 en France. Il existe même une fédération nationale, domiciliée à Marseille, au Mucem, qui les regroupe et tente de valoriser leur action auprès des ministères concernés – culture, environnement ou agriculture. « Un Écomusée, c’est une vision globale qui permet de comprendre les interactions entre les activités humaines comme l’agriculture ou l’élevage et la biodiversité, dans une zone donnée, explicite Audrey Hoppenot, directrice de l’Écomusée de la Crau. Un lieu dédié à la découverte du territoire sous tous ses aspects ».

À Saint-Martin-de-Crau, le bâtiment en lui-même est déjà intéressant. Totalement rénové il y a cinq ans, il permet d’aborder différentes thématiques à travers un parcours ludique composé de panneaux didactiques, de films, de diaporamas, de Si discret, si précieux, l'écomusée de la Crau 4bornes multimédias. Mais il a aussi conservé une dimension classique, presque désuète dans notre monde numérique et connecté, avec des objets archéologiques exposés dans des vitrines. Au passage, on apprend que la plaine de la Crau que l’on pensait sans intérêt aucun est aussi une Réserve naturelle nationale.

« C’est vrai que, de prime abord, quand on aborde cette surface de 60 000 hectares on se dit qu’en-dehors du foin très particulier qui pousse ici et de l’irrigation gravitaire, il y a peu de choses à voir ! C’est une erreur » Audrey Hoppenot est passionnée par son sujet. Elle vous cite des noms d’oiseaux, d’insectes ou de lézards que vous ne soupçonniez pas d’habiter cette steppe si proche de grandes agglomérations. « Pour les apercevoir il faut être patient car toutes ces espèces ont la particularité d’être des reines du camouflage ».

 

103 photos d’oiseaux exceptionnelles !
Si discret, si précieux, l'écomusée de la Crau 2
Claude Agnès, Audrey Hoppenot et Michel Raphaël.

La passion, c’est également ce qui motive les 140 adhérents de l’association ornithologique La Chevêche. Certains sont spécialisés dans le texte et la recherche sur la spécificité des espèces. D’autres, une quinzaine, ne jurent que par la photo. « Ce n’est pas la technique qui est le plus difficile mais avoir l’œil et surtout la patience, raconte Michel Raphaël. La photo animalière, c’est 90% de patience et de chance. Un peu de connaissance aussi, car si on ne connaît pas, on a du mal à repérer les habitats et habitudes des oiseaux. Notre credo est de les approcher sans les déranger ».

Ancien rédacteur en chef d’un magazine économique régional, il consacre une partie de son temps libre à photographier des oiseaux. Le jour, la nuit, scrutant la nature comme le ciel. Des milliers de clichés ont été pris par lui et ses collègues amateurs et bénévoles pour enrichir des banques d’images sur la richesse de la nature aviaire en Provence. Les téléphones sont bannis de cette quête d’images. Des boîtiers munis de téléobjectifs puissants sont la base du matériel idoine. S’y ajoutent de multiples tenues de camouflage qui permettent de se mettre à poste de longues heures, sans se faire repérer.

 

48 espèces menacées

Si discret, si précieux, l'écomusée de la Crau 3Claude Agnès a accepté d’endosser le rôle de commissaire de l’exposition. « Elle découle logiquement de l’atlas des oiseaux nicheurs de Marseille, réalisé avec La Chevêche entre 2010 et 2015 ». Et ce photographe passionné depuis 35 ans d’expliquer qu’ils ont voulu aller plus loin, en contribuant aux observations qui servent à établir la liste internationale des oiseaux menacés et ses déclinaisons en France et en régions. « Dans cette liste, on a choisi 47 espèces et on est parti à leur recherche entre Sainte-Victoire et Camargue ». L’association a édité un mini-catalogue sur ces oiseaux, pour les présenter et expliquer au grand public leur habitat, leur mode de reproduction, les menaces qui pèsent sur eux, etc.

Cet outil pédagogique met ainsi en lumière le cas de l’aigle de Bonelli, qui ne compterait plus que 38 couples en France, dont 21 dans la région et 17 dans les Bouches-du-Rhône en 2019. L’aigle de Bonelli ne pond que deux œufs par an. Toute la problématique est illustrée dans une photo qui montre le rapace dans son nid avec l’oisillon de sa nichée : « Ce cas emblématique est connu, mais nous avons découvert que les flamants roses, espèce très répandue, était aussi menacée. Ainsi, aucune reproduction n’a eu lieu dans une grande colonie de l’étang de Vaccarès parce qu’un drone avait tourné au-dessus à l’époque de la nidification ! » Pour les scientifiques, ce constat est une alerte  sur les nouvelles techniques d’approche. Même celles qui paraissent silencieuses, modernes et inoffensives peuvent avoir des conséquences imprévues. Fort heureusement, certains veillent ! ♦

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* Le La Villa Médicis de Cassis parraine la rubrique « Culture » et vous offre la lecture de cet article *

 

  • Écomusée de la Crau. 2, place Léon Michaud. Saint-Martin-de-Crau. Tél. : 04 90 47 02 0. Ouvert du mardi Si discret, si précieux, l'écomusée de la Crau 5au dimanche de 9h à 17h
    Fermé le dimanche en juillet-août, ainsi que les 25 décembre, 1er janvier et 1er mai. Tarif écomusée : 5 euros.

Le sentier d’interprétation – Pour continuer votre découverte de la Crau, vous pouvez emprunter le sentier d’interprétation « Peau de Meau », également appelé la « Draille des Coussouls de Crau », situé au cœur de la Réserve naturelle nationale des Coussouls de Crau. L’entrée est payante et les autorisations sont à retirer à l’accueil de l’Écomusée.

 

Bonus
  • Le premier écomusée de France – Depuis 1968, l’écomusée du Niou Huella à Ouessant propose une immersion complète dans la vie des îliens, au 19e siècle. Le musée est constitué de deux maisons typiques en pierre de taille orientées vers le sud, comme la plupart des habitations ouessantines, pour se protéger tant bien que mal des vents dominants. La visite permet d’apprécier l’instinct écologique des îliens et de comprendre comment ils ont adapté leurs maisons pour résister aux conditions climatiques en construisant des murs solides avec des pierres de granit, des ouvertures de taille réduite, et des façades orientées au Sud afin de se protéger du vent du large… Il prouve aussi que l’île d’Ouessant était bien « l’île aux femmes » qui, en l’absence des hommes partis en mer, devaient se débrouiller pour tout, à savoir les travaux agricoles, l’élevage des animaux, la construction, l’empierrement des chemins et des parcelles…
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  • La réserve naturelle nationale des Coussouls de Crau – La Crau est une plaine alluviale de 60 000 ha située aux portes d’Arles, entre Alpilles et Méditerranée. Si discret, si précieux, l'écomusée de la Crau 6C’est le delta fossile de la Durance, qui y a charrié pendant cinq millions d’années des galets arrachés aux massifs des Alpes. Il y a 18 000 ans, le lit de la Durance est dévié, et son delta s’assèche pour laisser place à une steppe semi-aride : le « coussoul ».
    Le coussoul est parcouru par les moutons depuis l’Antiquité (et même le Néolithique), comme en témoignent les nombreux vestiges de bergeries romaines. La Crau reste aujourd’hui le principal terroir de l’élevage ovin transhumant de Basse Provence.
    Le coussoul est renommé pour ses oiseaux, typiques des steppes ibériques et du Maghreb. Espèce phare, le ganga cata ne niche nulle part ailleurs en France. Le faucon crécerellette, l’alouette calandre, et l’outarde canepetière ont ici une part importante de leurs effectifs nationaux. L’œdicnème criard, le rollier d’Europe, le pipit rousseline, l’alouette calandrelle et la chevêche d’Athéna sont aussi des nicheurs remarquables.
    Vous en saurez plus encore en parcourant la page du site Réserves naturelles de France dédiée au cossoul de la Crau.