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Cyprien Fonvielle, de la Fondation Camp des Milles à Acta Vista

Par Nathania Cahen, le 9 juillet 2020

Journaliste

photo Var Matin

Que peut-il y avoir de commun entre le mémorial d’un camp de concentration et une entreprise de réinsertion par les métiers du bâtiment ? « L’éducation à la citoyenneté, l’inclusion », nous explique Cyprien Fonvielle, qui vient de passer du Camp des Milles à Acta Vista. Il évoque son parcours, ses choix et engagements.

En février 2019, il m’avait reçue dans son bureau de la Fondation Camp des Milles. Seize mois plus tard, changement de décor, je l’interroge dans une petite pièce baignée de soleil du Fort Saint-Nicolas, siège d’Acta Vista, à Marseille.

 

Comment change-t-on aussi radicalement d’univers ?

J’ai passé onze ans à la Fondation Camp des Milles, et j’ai le sentiment d’avoir participé à une très belle aventure. D’en avoir fait un lieu qui compte dans le domaine de la mémoire, de l’éducation et de la citoyenneté. Même si on ne fait jamais vraiment le tour de toutes ces questions.

cyprien-fonvielle-acta-vistaL’activité du Camp des Milles peut sembler bien éloignée de l’ESS, l’économie sociale et solidaire mais il y a en réalité de nombreuses passerelles.

J’ai découvert avec Acta Vista un magnifique projet d’inclusion active par le patrimoine, plaçant l’Homme au cœur de ses préoccupations. Acta Vista œuvre tous les jours pour permettre à chaque individu de trouver sa place au sein du collectif et pour permettre à la société de reconnaître la valeur des individus qui la composent.

Le patrimoine historique constitue le socle de ces actions, comme trait d’union entre l’individu et le collectif.

J’intègre aussi ce projet en y apportant mon expérience et ma vision. Après avoir œuvré pendant près de 20 ans pour l’inclusion active des individus au travers d’actions dans le champ de la formation et de l’insertion professionnelle, l’association va désormais développer un nouvel axe éducatif et culturel. Une nouvelle étape nécessaire.

À chacun des nouveaux chantiers seront ainsi associés des ateliers pédagogiques à destination de publics jeunes des territoires. Nous avons la chance d’intervenir dans des monuments historiques prestigieux, nous souhaitons désormais en faire bénéficier le plus grand nombre. Nous développerons donc à partir du mois de septembre des actions pédagogiques en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, le ministère de la Justice et le ministère de la Cohésion des territoires. Ainsi qu’avec les collectivités locales.

Acta Vista va même plus loin et propose désormais de redonner vie à certains monuments historiques en y ouvrant des équipements éducatifs et culturels. La Ville de Marseille a d’ailleurs décidé de travailler avec nous en ce sens en nous confiant le Fort Saint-Nicolas pour que nous puissions y développer le projet de la Citadelle.

 

Le patrimoine est un vecteur de sociabilisation efficace ?

Cyprien Fontvielle, de la Fondation Camp des Milles à Acta Vista 2Les monuments historiques sont le trait d’union entre l’individu et le collectif. Ils incarnent ce collectif, l’histoire d’une société, sa grandeur, sa puissance, sa décadence. Chacun d’entre eux symbolise une partie de l’Histoire commune et de l’identité partagée. Nos sociétés les protègent car ces monuments représentent un point de repère stable dans la construction de l’identité commune.

Ce n’est donc pas un hasard si Acta Vista utilise la restauration des monuments pour rapprocher l’individu du collectif et permettre au collectif de prendre conscience de la valeur des individus.

Lorsqu’un individu s’intéresse à un monument historique, il s’intéresse au commun. S’approprier ces monuments et leurs histoires est en soi considéré comme une démarche d’intégration au collectif. Lorsque la société décide de confier ce qu’elle a de plus précieux à un individu, elle lui accorde sa confiance et reconnaît sa capacité à participer au commun. C’est à partir de ce lien qu’Acta Vista développe son modèle social.

 

Qu’est-ce qui vous a convaincu de rejoindre Acta Vista ?

acta-vista-rehabilitation-patrimoineC’est un projet magnifique qui a une réelle utilité sociale. L’approche inclusive me parle, à moi qui ai travaillé sur les fragilités des sociétés. Il s’agit d’une entreprise de l’ESS qui s’implique au quotidien pour le collectif. C’est important, car une société qui ne prend pas en compte l’ensemble des individus qui la compose prend de très gros risques, elle se fragilise et finit par se fissurer.

Je suis aussi séduit par le potentiel de développement d’Acta Vista : vers de nouveaux territoires, de nouveaux acteurs, de nouveaux supports.

Nous avons par exemple développé un partenariat avec le Centre des Monuments Nationaux, gestionnaire de plus de 100 sites majeurs sur l’ensemble du territoire français et sommes en lien avec de grands domaines nationaux. C’est un beau défi que d’associer à chaque restauration d’envergure menée sur des édifices emblématiques, un volet social, culturel et éducatif.

 

Les résultats sont aujourd’hui à la hauteur des ambitions d’Acta Vista ?

Acta Vista compte aujourd’hui 40 salariés permanents et accompagne chaque année plus de 500 personnes en insertion. Depuis 2002, plus de 3 000 salariés se sont déjà formés sur ses chantiers. 60% ont retrouvé le chemin de l’emploi et 90% se sont qualifiés aux examens présentés.

Dans les prochaines années, Acta Vista va poursuivre et accélérer son déploiement sur le territoire national, développer ses nouveaux axes dans le domaine éducatif et culturel et ouvrir un équipement culturel majeur à Marseille.

 

Quels sont les chantiers actuels ?
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L’abbaye de Montmajour, à côté d’Arles

Le Fort Saint-Nicolas, et l’Hôpital Caroline à Marseille, l’abbaye de Montmajour à Arles, le château de Port-Miou à Cassis, le fort de Feyzin à Lyon, le Château de la Morinière et le domaine national de Chambord en Loir-et-Cher. Nous avons aussi des projets en cours de développement dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, en Île-de-France et en Nouvelle-Aquitaine.

Nous cherchons à développer dans chaque nouvelle région un chantier sur un site d’ampleur permettant de déployer une action dans la durée et de générer un fort impact social. Ce site servira de base pour accueillir nos équipes et permettra ensuite de développer d’autres actions sur le territoire.

Nos projets se mettent en œuvre à la faveur des partenariats opérationnels et financiers tissés avec les acteurs du territoire : services de l’État, collectivités territoriales, entreprises et partenaires mécènes.

 

En quoi consistera « Citadelle » ?

acta-vista-fort-saint-nicolasCe projet va prendre place dans le Fort Saint-Nicolas, un lieu de réclusion édifié en 1660, sous Louis XIV.

Nous allons faire de ce site symbolique un lieu éducatif et culturel majeur dans lequel les visiteurs pourront découvrir l’histoire passionnante du Fort, mieux comprendre la complexité de notre ville et de son identité, porter un regard différent sur la ville. Ils pourront s’emparer de ce que les marseillais ont longtemps appelés la « Bastide du Roi ». Participer à sa construction, au développement de sa vie artistique, échanger, partager. Ce projet trouvera son équilibre entre culture, éducation, formation, insertion et développement durable.

L’ouverture du jardin est prévue pour 2022. L’ensemble devrait être prêt à échéance 2026.

 

Acta Vista fait partie depuis 2015 du Groupe SOS. Quels avantages en découlent ?

Le Groupe SOS n’est pas une baleine mais un banc de poissons. Une organisation qui fédère 21 000 salariés issus d’associations et entreprises de tailles diverses – Acta Vista compte parmi les plus importantes de la branche culture – et les fait travailler et avancer de concert vers un changement de société.

Cela nous permet de compter sur un réseau, de bénéficier de services généraux mutualisés, d’échanger sur des expérimentations, des solutions, des retours d’expérience. Côtoyer des personnes qui nous aident à faire un pas de côté.

 

Sur les questions du racisme et de la citoyenneté, on est encore loin du compte ?

De nombreux acteurs se mobilisent autour des questions liées à l’éducation à la citoyenneté et à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations. Il faut saluer leur énergie et la qualité de leur travail. Mais oui, malgré tout cela on est encore loin du compte, tout simplement parce que nous traversons une période de fragilité importante.

Quand on parle d’éducation à la citoyenneté on pense immédiatement aux valeurs, aux droits et devoirs. Mais il ne suffit pas de distribuer le manuel du parfait citoyen, il s’agit de questionner dès le plus jeune âge le sens du commun, les valeurs qui nous rassemblent et les objectifs que nous partageons. C’est certainement là que nous rencontrons actuellement les plus grandes difficultés, partager un objectif commun, avoir une vision partagée à moyen et long terme de ce que nous voulons vivre ensemble et des raisons qui nous conduisent à rester ensemble.

Une société qui ne projette plus ses citoyens vers un projet commun voit le collectif se fissurer. Les questions liées à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations sont étroitement liées à ce commun. Quand le collectif ne fait plus sens, quand l’avenir inquiète, les individus ont besoin de trouver les responsables, les boucs émissaires. Des stéréotypes aux préjugés, qui structurent trop souvent nos pensées, nous risquons alors de développer des approches discriminantes, parfois racistes, antisémites. Là aussi, l’éducation et les actions de sensibilisation sont essentielles pour freiner ces dynamiques mortifères. C’est un travail au long court qui ne se termine jamais ♦

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Bonus
  • La bio de Cyprien Fonvielle. Natif de Marseille, il se distingue par un parcours professionnel atypique, oscillant entre fonction publique et secteur privé, ayant toujours eu à cœur la promotion de valeurs humanistes et citoyennes.Dès ses premières expériences, en tant que chargé de mission au sein de collectivités, en menant une mission autour de l’usage des nouvelles technologies dans le développement local en Finlande, ou encore comme directeur de cabinet du maire de Privas (Ardèche), il a défendu et promu l’instauration d’une démarche participative et citoyenne, vectrice d’engagement et d’action.

Entre 2007 et 2009, parallèlement à ses fonctions de directeur du Pôle Développement Local de la Communauté de Communes Moyenne Durance, il fonde avec Robert Pasquier le Théâtre Durance, scène conventionnée jeune public, pôle transfrontalier. Convaincu du rôle fondamental que joue la culture dans la construction de la citoyenneté, il œuvre pour son ouverture et son accessibilité au plus grand nombre.Cyprien Fonvielle est un bâtisseur.

En croisant la route d’Alain Chouraqui, il décide d’intégrer la naissante Fondation du Camp des Milles pour créer le Site-Mémorial. Secrétaire Général puis Directeur, il assurera le pilotage des travaux de réhabilitation, l’ouverture du site au public, et la construction de son identité actuelle : un lieu unique en France et en Europe d’éducation à la citoyenneté, où la prévention contre les discriminations, la lutte contre les racismes, l’antisémitisme, les radicalisations et la transmission des valeurs de la République sont pour lui des engagements phares.

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  • Dates et chiffres clés d’Acta Vista

2002 : création de l’association par Arnaud Castagnède (aujourd’hui à la tête du village d’entrepreneurs sociaux Le Cloître) et développement de chantiers de formation et d’insertion professionnels dans la Région PACA et Corse

2016 : premiers essaimages en Centre-Val-de-Loire et Région Auvergne-Rhône-Alpes

2019 : création de l’association Citadelle portant un projet de développement d’un équipement éducatif et culturel majeur au Fort Saint-Nicolas

2020 : arrivée de Cyprien Fonvielle, qui succède à Vincent Nicollet.

 

Camp des Milles : se souvenir pour résister