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Profession, berger

Par Agathe Perrier, le 10 août 2020

Journaliste

Adèle, 21 ans, apprentie bergère au centre de formation du domaine du Merle de Salon-de-Provence © AP
Première publication le 6 novembre 2019

La vie au grand air, le contact avec les animaux, la possibilité de produire soi-même de quoi se nourrir… sont les plaisirs du métier de berger. De plus en plus de jeunes et de salariés en reconversion veulent s’initier à cette profession aussi passionnante qu’épuisante. Et c’est à Salon-de-Provence que se trouve la seule formation diplômante de France. Contrairement aux idées reçues, les débouchés sont nombreux.

 

Au domaine du Merle, à Salon-de-Provence, brebis, béliers et agneaux broutent paisiblement l’herbe, bien verte après quelques jours de pluie. Quand une bonne dizaine de nouveaux nés restent abrités avec leurs mamans dans l’une des quatre bergeries. C’est Adèle qui prend soin d’eux aujourd’hui. À seulement 21 ans, elle a en tête depuis plusieurs années de devenir bergère. « Toutes les portes lui étaient pourtant ouvertes. Elle a eu 20/20 au bac, commencé des études à la Sorbonne, validé une licence en géographie… », liste Frédéric Laurent, responsable pédagogique au centre de formation du Merle, rattaché à l’Institut national d’études supérieures agronomiques de Montpellier (SupAgro).

La jeune femme s’explique : « Le déclic pour moi, ça a été de voir que tout allait ensemble : les animaux, la montagne, l’environnement. Chacun a sa place ici et on ne se pose pas de questions existentielles ». Depuis le mois de septembre, elle suit les cours qui lui permettront de valider en douze mois le brevet professionnel agricole (BPA) « Berger transhumant ».

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Les nouveaux-nés et leurs mamans à l’abri dans la bergerie © AP

De la théorie mais pas seulement

La formation s’étale sur une année complète à raison de 1 710 heures. Un peu plus de la moitié se passe à l’école, mêlant enseignements théoriques, travaux pratiques et chantiers chez des exploitants locaux. « Ce que j’attendais beaucoup, et que j’ai trouvé, c’est le fait que la théorie et la pratique ne sont pas séparées mais au contraire liées », souligne Adèle. Car la jeune femme a déjà de l’expérience, après plusieurs estives – garde de troupeaux en montagne l’été – effectuées ces dernières années. Un bagage acquis sur le tas auprès de professionnels, qu’elle souhaite compléter par des bases théoriques. Au programme : 15 jours de cours spécialisés sur l’agnelage, la période de mise bas des brebis. Immédiatement suivis par six semaines d’apprentissage chez des éleveurs au moment, justement, de la naissance des petits.

« Les stagiaires reviennent ensuite en formation et on continue sur des modules liés à l’alimentation, au pastoralisme, à la conduite des chiens de troupeaux, à la reproduction », énumère Frédéric Laurent. Un cursus complet qui a attiré Vincent, 24 ans. Après différentes expériences, il a décidé de suivre la petite voix intérieure qui l’appelait à plus de nature. Il sera servi tout au long de l’année et particulièrement sur la fin, avec la préparation à l’estive et un stage de trois ou quatre mois en montagne avec les animaux. « On les prépare aussi bien physiquement que psychiquement. Suivant les alpages où ils se trouveront, certains seront seuls pendant des semaines, ce qui peut engendrer stress et fatigue ». Un passage obligé que beaucoup ne feront pas en tant que stagiaires, mais comme salariés.

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L’un des troupeaux de béliers du domaine du Merle © AP

Recherche berger désespérément

Car la demande de gardiens de troupeau est en forte hausse, notamment dans la région Provence. Raison principale : la présence du loup et la multiplication des attaques. « Les éleveurs ont tendance à prendre désormais deux bergers ou un aide berger pour soulager le premier », précise Frédéric Laurent. Tant et si bien que les stagiaires du BPA sont débauchés avant la fin de leur formation (qu’ils valident toutefois via un entretien à la fin de l’estive). Cela apporte des avantages à l’exercice de la profession puisque les tâches sont partagées. Même si doubler les effectifs n’est cependant pas la solution « miracle » pour faire face aux canidés, mais permet de « réduire les risques » d’après Frédéric Laurent. À condition de la combiner à d’autres actions, comme la mise en place de barrières électrifiées ou le recours aux patous, les chiens de montagne des Pyrénées.

L’importante demande en bergers s’explique également par de nombreux départs à la retraite. D’après les chiffres de la Fédération nationale ovine, 50% des éleveurs ovins vont s’arrêter d’ici 10 ans. C’est pourquoi la filière a lancé un programme baptisé « Inn’Ovin » avec l’objectif de recruter 10 000 nouveaux bergers sur le même laps de temps, à raison de 1 000 profils par an. Elle mise en partie sur l’amélioration des revenus et des conditions de travail pour rendre le métier plus attractif.

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Vincent, 24 ans, berger en devenir © AP

N’est pas berger qui veut

Certaines compétences restent indispensables pour devenir gardien de troupeau. « Un grand sens de l’observation pour comprendre les animaux et beaucoup d’humilité. L’aspirant berger ne doit pas croire que c’est lui qui sait tout et les brebis qui suivent. Au contraire, elles ont énormément de choses à lui apprendre », glisse Frédéric Laurent. Avoir un mental d’acier également, pour faire face à la fatigue et à la solitude de l’estive où il arrive de ne pas croiser âme qui vive pendant plusieurs jours.

Seulement 14 places sont ouvertes chaque année pour la formation de berger-transhumant (bonus). Elles sont accessibles aux demandeurs d’emploi quels que soient l’âge et le diplôme – il n’est d’ailleurs pas obligatoire d’en avoir. 50 dossiers de candidature ont été reçus pour cette session. « La sélection s’est faite principalement sur la motivation et sur des actes concrets. Si quelqu’un nous dit qu’il aime les animaux, on va chercher à savoir s’il fait partie d’une association par exemple ». Dans le cas de Vincent, son esprit nature a joué en sa faveur. Pour Adèle, c’est son expérience en estive. Ainsi que « la petite étincelle dans les yeux » au moment de défendre sa place. La passion jusque dans les tripes, clé indispensable pour tenir le coup dans ce métier aussi beau que complexe. ♦

*article publié le 12 novembre 2019
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Les béliers broutent l’herbe du domaine. Après la parcelle de gauche, où il ne reste plus un brin vert, c’est la parcelle de droite © AP

 

Bonus 

  • La formation est entièrement financée par la région PACA pour les demandeurs d’emploi. Son prix s’élève à environ 9 500 euros par stagiaire. Le BPA est également accessible à tout salarié qui souhaite se reconvertir dans le cadre d’un congé individuel de formation par exemple.
  • Le Brevet Professionnel Agricole Berger-Transhumant ne date pas d’hier puisque la formation est dispensée depuis 1931 au domaine du Merle. Le terrain appartenait à un banquier marseillais, Félix Abram, qui l’a légué à SupAgro sous réserve de garder les exploitations (notamment le foin de Crau), de faire de la R&D et de former les professionnels. Les services administratifs de l’école ont pris place dans l’ancienne bastide, appelée « Le château ».
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L’ancienne bastide du domaine du Merle, appelée « Le château », où se trouvent les services administratifs du centre de formation © AP
  • Berger, un métier masculin ? Faux. Chaque année, la formation attire des femmes. Ces dernières composent environ 40% des effectifs du BPA.
  • D’après les analyses statistiques dont dispose SupAgro, sur les vingt dernières années, 75% des stagiaires passés par la formation sont restés dans le milieu ovin. Parmi eux, 20% ont créé leur propre exploitation. Les autres sont bergers en CDD, ou encore saisonniers : ils travaillent en station de ski l’hiver et s’occupent des troupeaux l’été. Les 25% restants ont changé de voie.