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Les ados, « philanthrokids » ou épicuriens ?

Par Paul Molga, le 31 août 2020

Journaliste

Photo Gonghuimin468 - Pixabay

Les moins de 20 ans sont-ils vraiment plus sensibles au réchauffement climatique qu’à la consommation ? Ma fille m’a répondu sans hésiter : « Je m’en fiche bien des ours blancs et de la banquise. Je préfère le lèche-vitrines ». Du coup, j’ai creusé et découvert comment la « génération Thunberg », celle de la transition écologique, compose avec les paradoxes, tiraillée entre les injonctions à sauver la planète et les sirènes consuméristes. Je me demande quelle tentation sera la plus forte…

 

Ils font grève pour le climat, bloquent les centres commerciaux, réclament la sortie des énergies fossiles et la fin de l’obsolescence programmée, érigent Greta Thunberg en idole, mais consomment à outrance… Les « millenials » et leurs cadets de la génération Z, nés après 2000, veulent-ils vraiment changer le monde ou seulement en profiter ? « Ils sont pétris de contradictions », observe la chercheuse Patricia Croutte. Au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), elle analyse les pratiques environnementales des Français. L’an passé, elle notait que le changement climatique, et l’écologie au sens large, figuraient bien en tête des préoccupations des moins de 30 ans, devant l’immigration (19%) et le chômage (17%). Près de 12% d’entre eux, quatre fois plus qu’en 2016, s’étaient même engagés dans une cause.

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Photo Sergei Tokmakov – Pixabay

Leurs modèles s’érigent en contestation contre la passivité des « boomers », ce qualificatif méprisant faisant référence à l’insouciance destructrice de leurs aînés. Comme Melati et Isabel Wijsen, deux sœurs à peine majeures aujourd’hui : fin 2018, alors âgées de 15 et 17 ans, elles obtenaient des autorités de Bali l’interdiction du plastique à usage unique sur l’île indonésienne après cinq années de lobbying répété auprès du gouverneur. Leur mouvement Bye Bye Plastic Bags est aujourd’hui présent dans 25 pays pour porter l’utopie d’un monde sans sacs plastiques.

 

Climatosceptiques
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Photo Peter Fischer – Pixabay

Étonnamment pourtant, la vertu de ces icônes transpire moins dans la société que dans les médias. « Le réchauffement climatique ? Une lubie intello des sections littéraires ! », juge Céline, lycéenne en terminal scientifique à Marseille. Après le confinement, elle a repris sans complexe le lèche-vitrine, son activité favorite. « Consommer, se faire plaisir, c’est mon monde », explique-t-elle en moquant ces défenseurs de l’ours polaire « dont je n’ai pas grand chose à faire ». Elle n’est pas la seule. Comme elle, 36% des 18-24 ans seraient convaincus que les activités humaines, les leurs en particulier, n’ont rien à voir avec le réchauffement climatique, contre 23% à l’échelle du pays.

En plus d’être climatosceptiques, les jeunes adultes sont aussi des consommateurs hédonistes, attirés par les produits innovants et par l’achat malin lors des soldes par exemple. « Ils ne se situent pas vraiment en rupture vis-à-vis du modèle de société consumériste dans lequel ils ont grandi et vivent aujourd’hui », explique le Crédoc. Un cinquième des 18-24 ans (+8 points de plus que la moyenne de la population) affirme même que consommer est un acte de plaisir, et ils montrent une attirance particulière pour les produits technologiques (+6 points au-dessus de la moyenne).

Ces achats conduisent souvent à un gaspillage conscient : 33% des 18-24 ans sont tout à fait d’accord avec l’idée qu’ils jettent de manière trop systématique les produits électroniques et produits électroménagers (contre 23% de moyenne). Et quand on leur demande enfin pourquoi ils font les soldes, ils sont plus nombreux (30% contre 18% de moyenne) à répondre que c’est pour acheter plus.

 

Peu concernés

L’étude du Crédoc nous apprend aussi que les jeunes sont en conséquence moins sensibles à l’environnement que leurs aînés : ils trient moins leurs déchets (64% contre 80% pour l’ensemble de la population), consomment moins de légumes locaux et de saison (44% vs 64%) et rechignent à mettre les appareils électriques en veille pour économiser les énergies (39% vs 54%). Les jeunes sont enfin moins nombreux à acheter des vêtements écoresponsables (-7 points sous la moyenne pour les 18-24 ans) ou fabriqués en Europe (-4 points en dessous de la moyenne). Seulement 56% (contre 63% en moyenne) affirment réduire leur consommation de biens et de vêtements en prolongeant leur durée de vie.

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Photo Kathy Bugajsky – Pixabay

Alors pourquoi ces manifestations de rue en faveur de l’écologie ? « Les mobilisations sont une pratique collaborative appréciée car sociales, mais individuellement, les comportements des jeunes ne sont pas en adéquation avec leur engagement », explique le Credoc. Logique, selon un autre décryptage de l’Adème sur l’attitude des moins de 30 ans face aux nouveaux enjeux collectifs et planétaires réalisé auprès de 4 000 jeunes : « Ils expriment une vision pessimiste du futur de la planète », résument ses auteurs. Autant, donc, se faire plaisir. Si 82% des moins de trente ans restent confiants en ce qui concerne leur avenir personnel, moins d’un jeune sur deux (42%) dit en effet être optimiste sur l’état de la planète dans les dix ans à venir. Cette donnée est particulièrement basse en France : seuls 17% de la « génération réseaux » ont une vision positive de l’avenir, contre 42% en Allemagne par exemple.

« De fait, les jeunes qui deviendront adultes dans quelques années auront moins la tâche de changer le monde que celui de le réparer, analyse le sociologue Rémy Oudghiri. Elle a grandi sous l’emprise du principe de précaution : protéger, préserver, maintenir, reconstruire, modérer, réguler, recycler… bref, réparer ce que des décennies de consumérisme aveugle ont produit. L’enjeu pour cette génération sera de transformer cette tâche ingrate de réparation du monde en une utopie ».

 

Épris de virtuel

On en est loin. Plus gloutonne que jamais, l’humanité rend notamment de plus en plus irrésistibles les technologies dont sont friands les plus jeunes. Ericsson ConsumerLab anticipe ainsi dix grandes tendances de consommation qui naîtront d’ici 2030 autour d’un « internet sensoriel » : arômes numériques, bulles sonores numériques, saveurs digitalisées, textures transmissibles en lignes, avatars compagnons, interface cérébrale de commande… Sous couvert de simplifier la vie, cet appétit de technologies confirmé par les 12 500 jeunes interviewés par le laboratoire, dans plusieurs grandes villes du monde, aura un coût écologique faramineux en termes de consommation de données stockées dans des data-centers gourmands en énergie. D’après les estimations du think tank The Shift Project, le simple visionnage de vidéos en ligne a généré en 2018 plus de 300 mégatonnes de CO2, autant que les émissions de gaz à effet de serre de l’Espagne. ♦

 

Bonus

  • Quel commerce demain ? – Comment la demande des jeunes générations va-t-elle faire évoluer la consommation ? Les experts de l’Échangeur BNP Paribas et de L’Observatoire Cetelem se sont penchés sur la question et ébauchent quatre scénarios sur le commerce futur. Le premier est marqué par l’accélération des usages digitaux qui vient confirmer la suprématie des leaders du commerce au détriment de certains distributeurs. Ces grandes enseignes du e-commerce prônent un modèle libéral et ont la mainmise sur la consommation des ménages érigés en consommateurs starifiés.

Le second scénario imagine nos vies sous contrôle : le tracking se banalise, les objets connectés se démultiplient au cœur de notre intimité… Il fonde sa légitimité sur le progrès pour tous.

Un troisième scénario érige au contraire le local en grand champion de l’après Covid : les pays se recentrent sur eux-mêmes, le commerce de proximité se renforce, en même temps que l’activisme territorial qui milite pour une forme d’indépendance stratégique, économique et sociale. Ce modèle valorise un progrès à échelle humaine qui légitime les actions locales.

Le dernier scénario prédit la victoire de l’intérêt collectif : il remet en cause l’idée même du progrès et de la croissance à tout prix et ouvre une réflexion à long terme en faveur d’une société durable et solidaire. Les experts ne disent pas laquelle de ces quatre options a le plus de chance de se produire.