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Un filet pour empêcher les eaux de pluie de transformer la mer en poubelle

Par Hervé Vaudoit, le 3 septembre 2020

Journaliste

L’un des premiers prototypes du filet D’Rain. Photo Guillaume Ruppolo

Plus de 80% de la pollution marine est d’origine terrestre. Le ruissellement des eaux de pluie participe grandement à ce phénomène que personne n’avait encore cherché à combattre efficacement. Jusqu’à l’invention du système D’Rain par une start-up marseillaise, Green City Organisation. Le dispositif doit être installé dans le Vieux-Port mi-septembre, à titre expérimental.

 

Depuis que les communes littorales ont l’obligation de surveiller la qualité de leurs eaux de baignade, l’orage de fin de saison est devenu la hantise des autorités, particulièrement à Marseille. Parce qu’en lessivant les sols après une longue période sans pluie, les trombes d’eau emmènent en effet avec elles toute une collection de polluants visibles ou invisibles. Ceux que l’on ne voit pas – résidus de pneus, hydrocarbures, détergents, bactéries, virus…- sont directement à l’origine des interdictions de baignade qui frappent régulièrement les plages de la cité phocéenne. Ceux que l’on voit – plastiques de toutes sortes, emballages, canettes, mégots… – ont peu d’effets immédiats sur la qualité des eaux, mais leur action est plus insidieuse.

Charriés par le ruissellement des eaux de pluie, ils finissent immanquablement à la mer, via le réseau d’évacuation pluvial marseillais, dont les insuffisances sont devenues légendaires. Pour les retrouver, il suffit de mettre un masque de plongée et de regarder sous la surface. Dans le bassin du Vieux-Port, où de courageux bénévoles plongent de temps à autre pour une opération de nettoyage, on découvre ainsi une véritable décharge sous-marine, où reposent en silence les rebuts de la civilisation sur plusieurs mètres d’épaisseur. Une accumulation que 40 années de renforcement de la réglementation environnementale ont pour l’heure échoué à juguler.

 

Des capteurs qui renseignent en temps réel

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Posée en sortie d’exutoire, cette collerette permet d’accrocher le filet de récupération des déchets. Le petit tube situé au-dessus permet d’envoyer dans le filet des capsules qui captent les polluants comme une éponge. (Photo XDR)

Un état de faits que Thierry Dubourdieu et Isabelle Gerente ne veulent plus considérer comme une fatalité. Jeunes entrepreneurs sensibilisés aux questions environnementales, ils se sont donné pour objectif d’en finir avec cette triste réalité. C’est Green City Organisation, la start-up créée par Isabelle Gerente en 2017, qui porte leur projet de dispositif de captage des pollutions marines. Baptisé D’Rain, l’ensemble a fait l’objet de plusieurs brevets internationaux et bénéficie du label de deux pôles de compétitivité, le Pôle Mer Méditerranée, à La Seyne-sur-Mer, et Aqua Valley, à Montpellier.

Concrètement, il s’agit d’un filet de récupération à fixer à la sortie des exutoires sous-marins du réseau pluvial – il y en a plus de 150 le long du littoral marseillais, entre l’Estaque et Callelongue -, afin de « filtrer » les eaux de ruissellement et empêcher les macro-déchets de se répandre en mer. « L’un des atouts de notre filet, c’est qu’il permet de récupérer ces déchets sans remettre le réseau d’évacuation en pression au fur et mesure qu’il se remplit », précise Thierry Dubourdieu, le directeur technique. Le secret, ce sont les capteurs qui équipent le dispositif et renseignent en temps réel l’équipe à terre sur le contenu de chaque filet,  polluants solides et liquides y compris. « Une alarme se déclenche quand un filet est plein », détaille Isabelle Gerente, fondatrice et présidente de Green City Organisation, expliquant que « lorsqu’un polluant est détecté, qu’il s’agisse d’hydrocarbures, de résidus de médicaments ou d’autres polluants chimiques, nous pouvons envoyer dans le dispositif des capsules hydrosolubles développées par Lactips, l’un de nos partenaires. Ces capsules captent les produits indésirables comme une éponge le ferait avec de l’eau. »

Un dispositif couvé et doté
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Thierry Dubourdieu et Isabelle Gerente, inventeurs du dispositif anti-pollution D’Rain. (Photo H.V.)

En développement depuis deux ans, le dispositif D’Rain a été couvé chez Incoplex Green Sud, l’accélérateur de start-up environnementales installé à la Belle-de-Mai, et a bénéficié de soutiens importants, notamment d’une dotation financière de Total Développement Régional et d’un appui technique et scientifique du laboratoire de l’École des Mines d’Alès (Gard). Ces derniers mois, Isabelle Gerente et Thierry Dubourdieu ont également présenté leur produit à deux concours pour start-up : « My Med », lancé au début de l’année par le club d’entrepreneurs marseillais Top 20 – ils sont parmi les finalistes – et « Tech for Island », organisé par la French Tech en Polynésie. Ils ont aussi répondu à l’appel à projet de la Région Sud « Pour une Méditerranée Zéro Plastique », en novembre 2019 – résultats attendus dans les prochaines semaines.

 

Des millions de lingettes

Entretemps, les deux partenaires ont prévu de frapper un grand coup, en installant leur système à titre expérimental sur l’exutoire qui recrache ses eaux sales à proximité du pavillon flottant de la Société Nautique de Marseille (SNM), dans le Vieux-Port. L’opération de pose est programmée pour la mi-septembre. L’idée, c’est de faire la preuve de la pertinence du dispositif, à un endroit où les déchets d’origine humaine n’ont cessé de s’accumuler depuis 26 siècles. Thierry Dubourdieu les connaît bien : chaque année, il fait partie d’un groupe de plongeurs bénévoles qui vont chercher les cochonneries au fond de l’eau pour les remonter à l’air libre. « Il y a deux ans, explique-t-il, nous avions rempli 17 conteneurs de 6 mètres cubes en 2 heures. Ce qu’on voit dans le masque est juste repoussant, poursuit-il. Aujourd’hui, ce qu’on retrouve en quantité au fond du Vieux-Port, ce sont les lingettes soi-disant biodégradables. Il y en a des millions… » L’irrespect séculaire de l’humanité à l’égard de son environnement naturel s’y trouve concentré en strates archéologiques. De quoi réserver de belles surprises aux fouilleurs du futur lorsqu’ils découvriront la couche datée du début du XXIe siècle. ♦

* Nos soutiens 9parraine la rubrique « Environnement » et vous offre la lecture de cet article *

Bonus

  • Un musée d’art contemporain sous la mer  – Il y a tout juste 10 ans, le Département de recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM) créait l’événement en ré-immergeant une collection d’amphores romaines à proximité du Frioul, dans le but de créer un spot de plongée pour les amateurs et ainsi, les soustraire à la tentation d’aller piller de véritables sites archéologiques sous-marins.

Dix ans plus tard, ce ne sont pas des amphores, mais des sculptures contemporaines, œuvres d’artistes reconnus, qui vont suivre le même chemin. Le 15 septembre, Thierry Dubourdieu, Isabelle Gerente et leurs amis plongeurs vont en effet installer une dizaine de statues entre 5 et 10 mètres de profondeur au large de la plage des Catalans. Un simple masque suffira pour aller visiter cet embryon de musée sous-marin, comme il en existe déjà quelques-uns aux quatre coins de la planète. Une opération spectaculaire qu’il sera possible de suivre depuis le rivage, ou – mieux – directement sur le site, pour peu que l’on possède un petit bateau.