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L’hébergement solidaire n’est pas un délit !

Par Nathania Cahen, le 17 septembre 2020

Journaliste

Image par planet_fox de Pixabay

Inspiré des villes « sanctuaires » américaines qui protègent les immigrés en situation irrégulière, le Réseau Hospitalité s’efforce d’accompagner les migrants et réfugiés qui hantent le centre-ville de Marseille.

C’est au centre Le Mistral, une maison diocésaine proche de la gare Saint-Charles, que je retrouve quatre bénévoles du réseau Hospitalité. Dans la salle de la pastorale des migrants. Le mouvement n’est en rien religieux mais c’est son point de chute actuel. Jean-Pierre Cavalié et sa compagne Françoise Rocheteau, d’anciens délégués régionaux de la Cimade, sont à l’origine de ce réseau baptisé Hospitalité. Autour de la même table, deux bénévoles plus récents, Michel Bellebouche, un retraité de la DDE, et Nicola, salariée d’une association du secteur de la culture.

 

Palerme, un modèle d’hospitalité

« Hospitalité ». Le nom n’a pas été choisi par hasard. « C’est un mot très subversif, glisse Jean-Pierre Cavalié. Nous retenons la définition étymologique plutôt que la définition sociologique. Elle brouille les cartes en désignant à la fois les personnes qui accueillent et celles qui sont accueillies. Ce n’est pas chez moi mais chez nous ». Et de prendre pour modèle le maire de Palerme, Leoluca Orlando, dont la diatribe de 2016 est restée célèbre : « J’ai honte d’être européen, quand on voit le sort qui est fait aux migrants. […] Il n’y a pas de différence entre les Palermitains qui sont nés à Palerme et ceux qui y arrivent, et c’est pour ça qu’il faudrait abolir le permis de séjour. »

L'hébergement solidaire n'est pas un délit
Réunion d’information du Réseau Hospitalité.

L’idée de monter un réseau d’accueil est présente depuis longtemps chez Jean-Pierre Cavalié. Mais elle s’ancre davantage à partir de 2007 et l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. Rien de concret n’émerge alors, les débats sur la désobéissance civile sont passionnés, la volonté de protéger ceux qu’une expulsion menace est tenace, mais les associations restent frileuses. Il existe cependant des exceptions, comme la paroisse du père Paul Daniel à la Belle de Mai, qui n’hésite pas à s’engager.

En 2015, l’arrivée massive de réfugiés, en provenance de Syrie notamment, change la donne. « Subitement, la société était touchée. En un an, nous avons été sollicités par une soixantaine d’associations et de collectifs qui voulaient savoir comment procéder, où se former », raconte Jean-Pierre Cavalié. Une résurgence de la culture de l’accueil. Le Réseau Hospitalité voit le jour, « un réseau, plutôt qu’un collectif qui est éphémère ou une association, trop lourde ». Avec une antenne à Marseille, et une autre dans les Hautes-Alpes, avec une direction distincte.

 

Mise en réseau et hébergement solidaire

À Marseille, on estime à quelque 15 000 les personnes sans domicile. Souvent concentrées dans un triangle Halle Puget – gare Saint Charles – Porte d’Aix. Des hommes, des femmes, des enfants, des mineurs non accompagnés contraints de passer la nuit dans la rue faute de place dans le dispositif d’hébergement d’urgence de la ville. « À cause de défaillances qui incombent à l’État et au Département », pointe-t-on ici.

Le « bien vivre ensemble » est au cœur du Réseau Hospitalité. Cela recouvre différents domaines, de l’assistance juridique à l’apprentissage du français (bonus). Mais l’urgence se résume souvent à un endroit où dormir. À des possibilités d’hébergement citoyen et solidaire.

Le réseau compte actuellement une cinquantaine d’hébergeurs – ce qui est loin de suffire. Des personnes qui selon leurs disponibilités proposent un lit, une chambre pour un jour, une semaine, un mois. Les besoins remontent via le réseau : des associations partenaires (Médecins du Monde, Éducation sans Frontières…) ou encore Ramina, le Réseau d’accueil des minots non accompagnés (bonus). Les volontaires savent que l’hébergement au titre de la solidarité est légal, tant qu’aucune contrepartie n’est réclamée.

Michel par exemple s’est rapproché du Réseau Hospitalité après avoir hébergé des migrants en 2016. Il revient sur cette expérience.

 

« Nous décidons d’héberger les trois jeunes Kurdes »

L'hébergement solidaire n'est pas un délit !
Visite de la région avec les trois jeunes migrants.

« Un peu comme un conte de Noël, tout débute en effet un 25 décembre. Une amie fait une maraude, avec d’autres, autour de la gare St Charles, pour distribuer à manger aux SDF et migrants qui se trouvent là. Trois jeunes Kurdes Irakiens se présentent, un jeune garçon, sa sœur et un jeune homme. Ils ont respectivement 17 ans, 19 ans et 22 ans. Ils ne savent pas où loger et dorment dans la rue. Mon amie les héberge ce soir-là et, dès le lendemain, elle nous téléphone ainsi qu’à d’autres amis pour voir ce qu’on peut faire. On est une dizaine à se réunir dans la foulée, et nous décidons d’héberger les trois jeunes Kurdes, chez nous, à tour de rôle. » Leur groupe, les « informel.les » est né à cette époque, de façon informelle.

Durant huit mois, les uns puis les autres ont logé et se sont occupés de leur mieux de ces trois jeunes, pour des périodes de 15 jours à un mois. « On les a aussi accompagnés dans leurs démarches de demande d’asile à la préfecture, démarches aussi pour l’apprentissage de la langue et pour l’accès aux soins, poursuit Michel Bellebouche. C’est à cette occasion, nous qui n’y connaissions rien sur ce sujet, sinon par internet, que nous avons contacté la Cimade et le Réseau Hospitalité, qui nous ont bien aidés. Et quand le trio a décidé de gagner l’Allemagne, nous avons aidé un autre migrant kurde. »

Sur le plan financier, une cagnotte commune avait été créée. Et, comme les « informel.les » sont pour la plupart artistes, comédiens, chanteurs, techniciens son et lumières, un concert privé au bénéfice des trois jeunes kurdes a été organisé.

« Tous ces jeunes nous ont beaucoup appris, concernant leurs problèmes, leur parcours, leurs attentes vis-à-vis de la France et de l’Europe, leurs déceptions, leurs espoirs ; ils sont devenus des amis très appréciés », conclut Michel.

 

En attendant une Maison de l’hospitalité

L’hospitalité rêvée serait de passer d’un monde où l’autre serait bienvenu. Plus réaliste, le projet de Réseau Hospitalité est de créer des lieux-refuge disséminés dans Marseille, « pour éviter les ghettos, et en attendant que l’État propose des solutions pérennes », souligne Jean-Pierre Cavalié. Avec des pôles distincts pour les mineurs non accompagnés, les hommes seuls et les familles. Mieux encore, ce dispositif dépendrait d’une Maison de l’hospitalité, un lieu autogéré qui associerait les différents partenaires et associations impliqués dans ce combat. « Mais attention, pas une maison pour les étrangers, insiste Jean-Pierre Cavalié. Elle serait ouverte à tous. » ♦

*Tempo One, parrain de la rubrique « Solidarité », partage avec vous la lecture de cet article dans son intégralité *

 

Bonus [pour les abonnés] Les autres missions du Réseau Hospitalité – Le Réseau d’Accueil des Minots Non-Accompagnés (RAMINA) – Les villes sanctuaires – L’abrogation du délit de solidarité –

  • Les autres missions du Réseau Hospitalité – Il s’occupe également d’intenter des actions judiciaires quand il y a infraction ou négligence par rapport aux textes internationaux en matière d’accueil, d’hébergement et de droits sociaux, quels que soient le statut et la situation administrative des personnes étrangères. Il est épaulé en cela par des avocats ou des militants compétents en la matière (asile, titres de séjour…).

Un espace d’échange baptisé « L’Observatoire asile » a également été créé, qui recueille la parole des différents acteurs pour rendre compte de la situation des demandeurs d’asile.

Un réseau d’apprentissage au français s’efforce de mettre en lien les structures et bénévoles qui assurent des cours et le public en demande.

L’hebdo « Ech@ du réseau » aborde toute l’actualité de ces différents sujets. On peut télécharger les derniers numéros.

Le Réseau Hospitalité est toujours à la recherche de bonnes volontés.

 

  • Ramina – Le Réseau d’Accueil des Minots Non-Accompagnés s’est mis en place à Marseille à partir de 2019. Le réseau recherche des bénévoles pour trois fonctions : accompagnant, référent et hébergeant. Le 1er mercredi de chaque mois entre 18h et 19h30, une réunion d’information collective se tient à KATILLA (5 bd Françoise Duparc, Marseille).

 

  • Les villes « sanctuaires » – Plus de 200 villes et 300 juridictions locales américaines revendiquent ce statut, parmi lesquelles Los Angeles, New York, Chicago ou Philadelphie. Ces villes affirment haut et fort leur volonté d’empêcher les expulsions de clandestins, estimés à quelque 11 millions aux États-Unis. Leurs élus assurent que pousser encore davantage dans la clandestinité des étrangers entrés illégalement a des effets néfastes, ces personnes n’osant plus contacter la police.

 

  • L’abrogation du délit de solidarité – En 2018, le Conseil constitutionnel a estimé qu’une aide désintéressée au « séjour irrégulier » ne saurait être passible de poursuites, au nom du « principe de fraternité ». Cette décision fait suite à une question prioritaire de constitutionnalité, déposée par Cédric Herrou, cet agriculteur condamné en 2017 à quatre mois de prison avec sursis pour avoir aidé 200 migrants. Il était devenu le symbole de l’aide aux migrants à la frontière franco-italienne.

Pour la première fois, le Conseil constitutionnel consacre le « principe de fraternité », rappelant que « la devise de la République est Liberté, Egalité, Fraternité » et que la loi fondamentale se réfère à cet « idéal commun ». Il censure partiellement l’article concerné du Code de l’entrée et du séjour des étrangers, sortant du champ des poursuites toute aide humanitaire au « séjour » comme à la « circulation » des migrants. Mais « l’aide à l’entrée irrégulière » reste sanctionnée. On peut relire la page que les Inrocks avaient consacrée au sujet.

 

Ils ont hébergé deux jeunes migrants mineurs